On dit que le cinéma est l’art du XXe siècle ; au début du troisième millénaire, partisans d’une ouverture des salles au public (lesquelles sont prêtes depuis longtemps), et adversaires d’un art qui symbolise un way of life farouchement refusé continuent à se disputer en Arabie saoudite.
Les premiers semblaient avoir marqué des points durant les derniers mois, avec l’organisation, plus ou moins discrète, de festivals et plus encore, en décembre dernier, avec la projection publique, du second film « saoudien », Menahi, une gentille comédie tous publics produite par Rotana Studios.
Mais la contre-offensive que laissait deviner la vigueur des réactions suscitées par cette manière un peu abrupte de forcer la main aux milieux conservateurs vient de se traduite par l’annulation, à la dernière minute, du pourtant très officiel 4e festival cinématographique de Jeddah.
Rotana, énorme société de production multimédia, propriété d’une des plus grosses fortunes du globe, le prince Waleed Ben Talal, en a été pour ses frais – c’est le cas de le dire ! – en ayant sponsorisé et prévu toute une série d’émissions autour d’un événement finalement annulé à la suite de pressions à l’évidence très politiques (présentation, en anglais, de l’affaire sur le site Menassat et, en arabe, un article du site Elaph qui laisse entendre un peu plus les dessous de l’affaire).
L’Orient est compliqué car en Palestine la donne est totalement différente. En effet, alors que les Saoudiens pro-occidentaux s’obstinent à ne pas vouloir de cinémas (tout en consommant force images en home-cinéma), voilà que le Hamas, pourtant estampillé « islamiste férocement hostile à la civilisation [occidentale] », se met à faire son cinéma !Il y a quelques jours, les Gazaouis, qui n’en ont pas souvent l’occasion, ont pu aller au cinéma pour assister à la projection du premier film « réalisé par le Hamas ». Plus exactement, du premier film tourné dans la « cité des médias » - il faut beaucoup de guillemets, voir cet article dans Foreign Policy - de Khan Younes, au sud de la bande de Gaza dévastée depuis les terribles bombardements du début de l’année.
Produit, pour la modique somme de 200 000 dollars, grâce au soutien du « ministère de la Culture » (de Gaza) et réalisé par Majid Jundieh (ماجد جندية), le film retrace la vie de ‘Imad ‘Aqal (Emad Akel, عماد عقل), un héros de la résistance palestinienne, tué par les forces israéliennes en décembre 1993. La vie du dirigeant des brigades al-Kassem, la « branche armée du Hamas », a été scénarisée par Mahmoud Zahar (محمود الزهاار), membre du bureau politique du Hamas, une des figures importantes de Gaza.
Fort de ce premier succès, le Hamas envisage déjà une nouvelle production (de quoi égaler le résultat de l’Arabie saoudite !!!) avec un autre biopic, sur une figure tout autant mythique, celle de Izeddine Kassem (عز الدين القاسم). Les barbus rétrogrades continuent par conséquent d’en remontrer aux modernes du Fatah sur la question de la maîtrise de la communication (voir cet article de J.-F. Legrain dans Confluences).
Mais il y a d’autres images tournées à Gaza toutefois. On ne fait pas allusion à L’anniversaire de Leila - bande annonce ici - réalisé par Rashid Masharawi, un réalisateur élevé à Gaza dont on a déjà parlé dans ce blog, mais à un film audacieux réalisé en mars 2008 dans le territoire de Gaza par Sawaylim Al-Absi (سويلم العبسي).
Il s’agit de Intizâ’ (انتزاع : ce que l’on prend de force, comprendre : la liberté), un film qui raconte l’histoire d’un jeune couple de Gaza dont le mari est emprisonné par les Israéliens peu de temps après son mariage.
Si son épouse lui reste fidèle, quinze années durant, elle refuse de se voir privée du droit à être mère à cause de cette détention et elle va s’efforcer de récupérer le sperme de son mari pour une fécondation in vitro.
On ne s’attend pas forcément à voir aborder de la sorte et dans cette région du monde, une telle histoire, inspirée de faits réels, paraît-il… Mais pour être tout à fait complet, il faut préciser que Sulaymi al-Absi, est proche du Fatah. Le film avait été produit par son fils, Muhammad, qui aurait été la victime des milices pro-Hamas (article en arabe)…
Ci-dessous, le début d’Intizâ’, avec une bande son poignante.
Photos : AP Photo/Hatem Moussa