Mathieu Bédard – Le 27 juillet 2009. Le 22 juillet dernier paraissait un rapport de l’OMC sur le protectionnisme « légal », c'est-à-dire l’usage des mesures protectionnistes permises par l’OMC comme les procédures antidumping, et les procédures de sauvegarde. Les premières se font lorsqu’un produit est vendu moins cher que dans son pays d’origine, et la seconde peut s’engager lorsqu’une entreprise nationale est menacée. Il y a bientôt deux mois, les professeurs Jagdish Bhagwati et Arvind Panagariya mettaient déjà en garde dans le Financial Times contre une flambée, toujours non chiffrée, de ce protectionnisme « légal ».
L’OMC tente, par la publication de ce rapport, d’encourager les États à substituer les protectionnismes qu’elle dénonce par ceux qu’elle autorise. C’est que, même si les pays du G20 s’étaient engagés à combattre le protectionnisme le 2 mars dernier, des fuites dans la presse d’une note interne de l’OMC font état d’une situation alarmante. Alors que la Banque mondiale dénonçait déjà quelques jours plus tard les quelque 47 mesures protectionnistes « traditionnelles » apparues en 2008, dont 17 au sein des pays du G20, la tendance semble s’accélérer. Selon la note non publiée de l’OMC, ce serait maintenant plus de 83 nouvelles mesures protectionnistes « traditionnelles » qui seraient apparues de par le monde sur la seule période allant de mars à la mi-juin.
Toutefois, les mesures antidumping et de sauvegarde ont beau être qualifiées de « légales », il n’y a pas de différence fondamentale entre ces protectionnismes et ceux dénoncés par l’OMC. Chaque fois, il s’agit d’assister les entreprises nationales en les protégeant de la concurrence venue de l’étranger, et chaque fois elle appauvrit les consommateurs.
En effet, qu’il s’agisse de mesures ouvertement protectionnistes ou de termes juridico-techniques établis par l’OMC, entraver la division internationale du travail en « protégeant » l’industrie réduit le pouvoir d’achat des consommateurs. En diminuant la concurrence sur les produits « protégés », on fait augmenter les prix. Ces prix plus élevés se font au détriment des consommateurs, qui sont les seuls à véritablement prendre en charge le coût de la protection.
Souvent justifié par la sauvegarde d’emplois, le protectionnisme est pourtant très onéreux pour le consommateur. Elles portent souvent le coût de la protection par emploi à des sommets insoupçonnés ; l’estimation pour l’Europe des années 1990 portait ce coût par emploi en moyenne à 10 fois le salaire pratiqué dans l’industrie. C’est donc que pour « sauver » un emploi d’un salaire mensuel de 1000 €, les consommateurs déboursent 10000 € de plus par emploi par mois (Messerlin, 2001).
Non seulement ces diminutions de pouvoir d’achat sont tragiques pour les consommateurs à petits revenus, mais ces coûts entrainent un gaspillage des ressources rares de la société. En forçant les consommateurs à payer plus alors qu’ils pourraient payer moins, une partie des ressources rares de la société est transférée de tous les secteurs de l’économie vers l’industrie protégée. Par exemple, des mesures protectionnistes sur les denrées alimentaires se font au détriment des soins de santé par exemple, ou encore de l’éducation. L’économiste français du 19e siècle Frédéric Bastiat rappelait ainsi que le protectionnisme donnait lieu à deux pertes pour un profit ; pour que la protection de l’industrie rapporte un franc à celle-ci, il faut non seulement que le consommateur soit lésé de la même somme, mais aussi que ce franc n’aille pas chez les autres commerçants.
Mais encore, même si l’on suggère régulièrement à l’Afrique de protéger l’industrie naissante, elle doit éviter ce piège, que ce soit par le protectionnisme « légal » ou le protectionnisme « traditionnel ». Tenter de protéger l’industrie naissante le temps qu’elle puisse faire face à la compétition internationale impliquerait que les gouvernements sachent d’avance quelles seront les industries qui seront rentables demain, un jeu qui s’avère risqué même pour les investisseurs les plus aguerris. S’ils font erreur, ils auront diminué le pouvoir d’achat des consommateurs sans raison. Pire, puisque les autres pays répondent souvent au protectionnisme par le protectionnisme, l’industrie naissante voit alors ses opportunités de commerce international diminuer, mettant ainsi un sérieux frein à sa croissance. En bout de compte, non seulement les industries naissantes protégées atteignent rarement la compétitivité internationale, mais une fois les mesures protectionnistes en place, difficile de les déloger !
Et c’est là un autre des risques des recettes protectionnistes ; susciter chez ses voisins d’autres mesures protectionnistes. La situation actuelle n’est pas sans rappeler celle de 1929-1930 où des mesures protectionnistes adoptées par les États-Unis, le Smoot-Hawley Tariff Act, avaient suscité les mêmes procédures chez les pays avec lesquels les Américains commerçaient. Cette course au protectionnisme fit chuter le commerce international de près de 70 % en deux ans. Cet abandon de la division internationale du travail endigua la crise et la fit durer près de 10 ans.
Que le protectionnisme se fasse à visage découvert ou qu’il prenne la forme de mesures antidumping ou de « sauvegarde », qu’il prétende protéger l’emploi ou les industries naissantes, le protectionnisme punit toujours et partout le consommateur en diminuant son pouvoir d’achat. Malgré l’engagement du G20 à lutter contre le protectionnisme, la fermeture des frontières au commerce s’amorce franchement, même au-delà des protectionnismes dits « légaux ». Alors que la crise économique fait rage, l’abandon de la division internationale du travail serait tragique pour tous les consommateurs de par le monde.
Mathieu Bédard est économiste, assistant pour le projet www.unmondelibre.org