Dès l'âge de dix-huit ans je réalisais tous mes rêves de jeunesse. J'étais en pleine santé et je menais une vie simple, heureuse et sans histoire. La vie me souriait. J'avais un amoureux, des amis(es), un automobile, un superbe travail sur la route dans le domaine de l'assurance-vie. Je poursuivais en plus des cours de perfectionnement au Cégep et à l'Université, pour réaliser mon rêve de devenir courtier. Mes désirs se réalisaient les uns après les autres: le mariage, la maison et la venue d'un enfant pour embellir ce conte de fée, devenu réalité.
En 1981 à l'âge de 26 ans, un banal accident de la route au travail est survenu, au moment où je ne m'y attendais pas du tout. Du jour au lendemain, j'ai dû apprendre à composer avec la douleur physique chronique « qui rendrait fou n’importe quelle personne en excellente santé mentale », et qui empoisonnait jour après jour, mon existence paisible. Hélas, j’ai porté dans mon patelin, la robe des fous. Du moins, jusqu'à ce qu'en 1997, où l’on a finalement découvert que ma hanche gauche était complètement détruite., égrenée et pourrie jusqu'à l'os. Une opération en urgence m’a permit de recevoir une hanche artificielle. Une seconde chirurgie semblable fut pratiquée à nouveau en 2008; et ainsi de suite, pour l’avenir qui ne s’annonce pas toujours rose et facile pour moi; en santé physique. L'essentiel est qu'en 2001, un professionnel de la santé a mit fin à ces insupportables souffrances physiques, en me prescrivant des importants remèdes contre la douleur. Par contre, je les prends au strict minimum, pour continuer à écrire jusqu'à mon dernier souffle de vie..Enfin, c'est ma prière quotidienne !
Tout quitter, pour retrouver l'espoir et l’essentiel
Malgré ma persévérance à essayer de travailler pendant des années, avec ces malaises agaçants, mes revenus diminuaient d’années en années. En 1992, il a bien fallu que je quitte définitivement mon travail de courtier en assurance-vie. Lorsque nos principales valeurs dans la vie, sont la santé, la famille et le travail, ce n’est pas évident de se retrouver face à la maladie, la pauvreté et la solitude. En réalité, on se retrouve devant l’inconnu et cela fait très peur. On a le sentiment de se retrouver face au vide; du moins en apparence.
L’assistance sociale et les rentes d’invalidité
Ce n'est pas facile de se rendre au bureau de l'aide sociale et à la Régie des rentes d’invalidité, pour regarder impuissante, sa vie basculée dans tous les domaines de sa vie: faillite personnelle, divorce, burn-out, pauvreté financière, tentative de suicide. Tous mes rêves s'écroulaient les uns après les autres, comme un ridicule château de cartes bâti sur le sable; pourtant je croyais l’avoir réellement construit sur le roc, avec des valeurs profondes. Toutes les valeurs auxquelles j'avais adhérées depuis ma tendre enfance, s'effondraient jusque dans leurs plus solides fondations. Les illusions et les ignorances tombaient les unes après les autres. Je côtoyais difficilement mes limites humaines, ainsi que mes faiblesses et mes pauvretés.
L’homme ne peut découvrir de nouveaux océans, à moins d’avoir le courage de perdre de vue le rivage. (André Gide)
Une trop grande impuissance logeait dans mon être, face à la douleur physique et morale. Un désespoir indescriptible accompagné d’un cruel sentiment de honte s’emparait de mon être impuissant et inconsolable. J'ai atteint le baril, jusqu'à tenter d'en finir avec la vie, par une tentative de suicide en 1993. Ce fut mon bas-fonds à moi. Cela m’a permit de découvrir les nouveaux visages de l’Amour. Même si je n’ai pas encore atteint le Nirvana, ni rencontré le Christ, les minimes bonheurs quotidien devenaient de plus en plus précieux; du moins après mon réveil du semi-coma / coma, suite à mon geste de désespérance.
La chaîne du suicide se poursuit
Dans le fond de ma détresse humaine, je me prépare le 25 avril 1993, pour une très longue nuit de sommeil. Agenouillée pour une dernière prière du cœur, je m’adresse à mon véritable ami que l’on m’a présenté dans mon enfance, réel ou irréel: Jésus, merci de m’accompagner dans ce grand voyage et pardonne-moi sincèrement ce geste de désespoir. Je ne suis plus le maître à bord de mon navire. Convaincue de la validité de mon billet de transport aller seulement pour l’au-delà, j’avale à une vitesse incroyable les nombreux comprimés pour dormir à tout jamais.
À travers l’épais brouillard de mon esprit souffrant et malade, une minuscule pensée de sagesse intérieure me dissuade, le temps de deux interminables secondes, de rebrousser chemin. Comme une vague impression que mon compagnon intérieur m’accompagne toujours, peu importe mon choix. Tout se passe trop rapidement. Seule la douleur chronique au dos, tenace et insoutenable, m’incite à poursuivre la plus souffrante et désespérante de toutes mes expériences humaines.
L’homme est à son meilleur, quand toutes les choses sont au pire
Mon cercueil temporaire fut la baignoire froide et heureusement vide située à côté de l’évier où je consommais les multiples remèdes pour tenter d’en finir définitivement avec la souffrance. Je séjourne, prisonnière de ce tombeau, deux longues journées entières. Ici, il n’y a plus vraiment de temps. Il me semble que je vais y rester toute l’éternité. Le bref souvenir conscient de ce tragique instant restera toujours gravé dans ma mémoire. Comme si j’étais dans une dimension nouvelle, mais tout à fait platonique et ennuyante, j’observe, impuissante mon ami me crier à tue-tête : « Patricia, pourquoi tu as fait cela ? ». Quelle immense et indescriptible douleur morale de ressentir jusqu’au plus profond de son être, ce désagréable sentiment de regret et d’impuissance !
Et si par hasard
Dans un semi coma aux soins intensifs de l’hôpital, j’entrevois à mon chevet les membres de ma famille réunis pour un dernier au revoir. J’aperçois avec des yeux nouveaux tous les visages de l’Amour. J’entends à deux reprises, une douce et apaisante voix intuitive intérieure, située dans la région de mon cœur: « Merci mon Dieu, tu me laisses une deuxième chance ».
Par contre, je ne peux exprimer aux miens que je reste vraiment avec eux. Je ressens alors une peine d’une intensité si profonde que je ne peux décrire. Depuis ce jour-là, je redis sincèrement chaque matin, un véritable OUI à la vie, et ce, peu importe le degré de douleur physique, morale ou spirituelle qui fait partie de la condition humaine.
J’ai demandé de l’aide
À travers ces difficiles années, j'ai livré la véritable bataille qui se situait de l'intérieur vers l'extérieur. Je me suis joins à divers groupes d'entraides et organismes communautaires de ma ville natale. Demander de l’aide est le premier pas d’action pour se sortir de la souffrance, et ce, autant l’Aide-d’en-Haut que l’aide extérieure visible.
Ne plus s’isoler dans sa souffrance
La Fraternité du mode de vie des douze étapes m’a apprit à composer avec les nouvelles émotions, parfois désarmantes. J'avais encore besoin des autres et les autres avaient aussi besoin de moi. Dans ces groupes comme auprès des jeunes dans les Polyvalentes, dans le cadre des cours sur la prévention du suicide, je suis allée témoignée à plusieurs reprises; tout comme dans les prisons. Entendre les témoignages des autres m’enrichissait énormément. Cela me permettait de ne plus m'isoler dans la souffrance, en donnant et en recevant de l’espoir. La joie et l'humour entrait à nouveau dans mon cœur. Ma vie prenait une toute autre dimension humaine. À partir de moment-là, je ne me suis plus jamais sentie seule, même dans la solitude apparente.
Se sortir de la pauvreté, même temporairement, peut changé notre quotidien misérable, Il ne faut jamais cesser de rêver, ni cesser de se battre
J'avais connu le succès et la réussite dans ma ville natale. Je me suis écroulée dans mon patelin et c’est dans ma région natale que j’ai remonté la pente. En 1999, ce fut le temps de réaliser un vieux rêve de jeunesse: déménager dans la grande ville de Québec. Loin d'être une cure géographique, je transformais un rêve en réalité. Comme j'habitais toujours dans les mêmes souliers, j'espérais toujours me retrouver du travail. Je me cherchais désespérément un loyer à bas prix, mais sans succès. Je me procurais ma nourriture et mes vêtements auprès des organismes de charité. Je gardais des enfants pour boucler les fins de mois. Je me suis encore impliquée dans des stages de travail à $100. par mois.
Jamais vous n’écrirez de grandes œuvres, si vous ne connaissez pas un jour, un effondrement mental total. ( Élias Conelli disait ces mots à Georges Steiner ).
C'est auprès d'un Organisme Communautaire que j'ai débuté un travail de gardiennage auprès des personnes âgées en perte d'autonomie afin de donner du répit aux familles. C'est au moment où je ne m'y attendais le moins que finalement, le soleil se pointait à l'horizon. Pendant plus de 5 ans, j’ai enfintrouvé un travail comme accompagnatrice auprès des personnes ayant vécues de multiples pertes dans la vie; tout comme moi. Il ne faut jamais cesser de rêver ni cesser de se battre. Le meilleur reste à venir et le pire se situe derrière nous. Un Vieux-Sage m’a alors dit cette parole de sagesse: « Patricia, cherche bien au fond de ton être, ce que tu aimerais le plus accomplir sur la Terre, et ce, autant dans la maladie, la pauvreté et la solitude, que dans la santé, la prospérité et la célébrité ». J’ai répondu sans aucune hésitation: Écrire.
Quant tout semblait noir et difficile, je me disais que le soleil était simplement caché derrière de gros nuages
Fini les stages de travail à $100. par mois, fini les interminables emprunts de $20. à des proches. J'ai aussi pu enfin réaliser un autre rêve, soit de me procurer un ordinateur et de vivre mon loisir préféré de l'écriture. J'ai même débuté un cours d'auteur par correspondance, afin de donner davantage de style à mes textes. Le but de ce cours fut par contre, de parvenir à libérer une énorme boule d’émotions refoulées au creux de mon cœur. Et ainsi, de parvenir à écrire sans aucune préparation ni censure; à la Marguerite Duras.
Aujourd’hui, je ne fais plus comme si ces luttes n’avaient jamais existées. Sauf que je m’en sers plutôt pour continuer mon pèlerinage sur Terre. Plus j’attendais d’avoir l’air d’un ange pour partager ces perles, et plus je risquais d’avoir l’air bête. C’est donc à travers mes faiblesses et mes pauvretés, que mes forces se lèvent peu à peu.
C'est extraordinaire de pouvoir enfin réaliser mes projets nouveaux qui sont différents de mon travail d'autrefois, mais combien plus intéressants et divertissants. Tous ces "merveilleux malheurs" portent leurs fruits. Je poursuis mon chemin d'évolution en partageant mes expériences lorsque l'occasion se présente. Tout n'est pas toujours simple et facile, puisque la douleur fait toujours partie de ma vie quotidienne. Seule mon attitude a changée face à ce problème. Je ne résiste plus et ma confiance en moi, aux autres et en la Vie a énormément grandit. Parfois, la douleur se tanne de moi en me laissant un répit. Je serai toujours une élève à l'école de la Vie.
Patricia Turcotte © Le 29 juillet 2009