Pour sa 117ème semaine à l'Elysée, Nicolas Sarkozy a découvert que le travail pouvait être mauvais pour la santé. Situation cocasse pour le chantre du "Travailler plus"! Dimanche dernier, la France s'est arrêtée de respirer, l'espace de quelques heures. Le Monarque avait flanché lors d'un jogging dans les bois du Chateau de Versailles. On nous a expliqué qu'il était "surmené".
Le travail peut nuire à la santé
Frédéric Lefebvre n'a pas conseillé à Nicolas Sarkozy de travailler pendant son arrêt maladie. Le prolixe porte-parole de l'UMP, qui a perdu son mandat de député il y a peu, avait suggéré d'autoriser les salariés en congés pour maladie à poursuivre leur activité à domicile. L'idée avait été rapidement retoquée. Pour Nicolas Sarkozy, son "coup de pompe" à Versailles lui a valu un transport express en hélicoptère à l'hôpital militaire du Val de Grâce, 24 heures d'examens médicaux intensifs et l'annulation totale de tous ces déplacements et réunions prévus lundi et mardi. On a peine à croire que l'accident fut bénin. Les proches du président ont eu peur. Mais du malaise au martyr, il n'y eut qu'un pas, aisément franchi. La communication élyséenne a été réactive, opaque et schizophrène. Réactive car dès 15 heures et quelques minutes, un communiqué laconique de l'Elysée informait la France du malaise présidentiel; opaque car l'Elysée n'a fourni que le lendemain de premières explications ("un malaise lipothymique"). Schizophrène, car les services présidentiels ont tenté de concilier l'assurance que le malaise était bien bénin malgré la surenchère de moyens médicaux et de précautions déployés.
Surtout, l'Elysée a habilement retourné cet accident. On a vendu l'image d'un président "surmené", "éprouvé" par une année chargée et son "activisme" légendaire. Le "story-telling" est à l'oeuvre. Dimanche soir, l'Elysée innove: peu avant les journaux radio-télévisés de 20 heures, Franck Louvrier, le conseiller en communication du Président a transmis aux médias le "prêt-à-raconter" des évènements de la journée. Tout ça pour un coup de chaleur lors d'un jogging par 30 degrés à l'ombre !
Quoiqu'il en soit, le mythe du président hyper-actif qui dompte les éléments, y compris sa propre santé physique, a vécu. Nicolas Sarkozy doit maintenant trouver comment positiver la réalité de son âge, et l'abandon du mythe du président "jeune", "sportif". Il a 54 ans, point barre. Vendredi, on a même appris qu'il allait devenir grand-père. "Papi" a même reçu 4000 boîtes de chocolats à l'Elysée d'admirateurs transis d'inquiétude.. Comme sur les terrains politique et économique, la réalité reste le pire ennemi de la communication sarkozyenne.
Les ministres ne chôment pas
Profitant de cette absence présidentielle inattendue, les ministres n'ont pas chômé. Mardi, Christine Lagarde a dressé un rapide bilan de sa Loi de Modernisation de l'Economie, votée il y a un an. A l'entendre, la France n'est plus en crise: 182 000 auto-entrepreneurs, des créations d’entreprise en hausse de 60 %, la "résistance" de la consommation des ménages, etc... Elle se félicite même d'une baisse de l'inflation, les prix des produits de grande consommation ayant baissé de 0,65 % depuis décembre 2008 . la ministre oublie sans doute que la crise a failli nous faire tomber en déflation, et qu'une mesure récente, la baisse de la TVA sur la restauration, n'a toujours pas produit d'effet concluant dans nos assiettes... Anachronique comme toujours, Mme Lagarde s'est aussi réjouie des 23 813 opérations de soldes "libres" organisées depuis un an. Les commerçants indépendants ne l'entendent pas de cette oreille, fustigeant l'échec des soldes d'été, qui se sont clôturées mardi: étaler les soldes tout au long de l'année détruit les marges et n'a jamais augmenté le pouvoir d'achat.
La ministre a pu également commenté les fausses bonnes nouvelles du chômage : 33 000 chômeurs ne se sont pas réinscrits à pôle emploi. Le nombre total de demandeurs d’emploi, toutes catégories confondus, a encore progressé, pour atteindre 3.634.800 personnes (+18,7% sur un an, et + 9000 personnes par rapport à mai 2009). Son collègue du ministère du Travail, Xavier Darcos, est franchement pessimiste pour la fin de l'année. Les 650 000 chômeurs suppléme,taires seront dépassés. Ce triste constat s'est complété d'une annonce de l'iNSEE: en France, on dénombre 8 millions de pauvres, soit 13% des ménages français. Entre 2004 et 2007, plus de 500 000 personnes sont tombés sous le seuil de pauvreté. C'est l’un des bilans de la droite classique au pouvoir depuis 2002. Le taux de pauvreté remonte depuis ... 2003. Bizarrement, Nicolas Sarkozy a reporté sine die son grand chantier sur le partage des richesses.
Mercredi, on parlait démantellement des services publics. Christian Estrosi a défendu la réforme de la Poste, un changement de statut qui prépare l'ouverture du capital, et, sans doute, la privatisation à terme de l'établissement public. Le gouvernement tente de rassurer une opinion plus que réticente. Rien n'y fait. Surtout, il se garde bien de rendre possible l'organisation d'un référendum d'initiative parlementaire et populaire. Cette possibilité, l'une des rares mesures démocratiques de la réforme constitutionnelle de juillet 2008, n'a toujours pas été traduite, un an après, dans une loi organique.
Alain Marleix, le discret secrétaire d'Etat à l'Intérieur, a dû présenter la future carte électorale, mercredi en conseil des ministres. Le Conseil d'Etat lui a donné raison sur l'essentiel. Au total, 33 circonscriptions seront supprimées, dont 18 actuellement tenues par la gauche. Et les Français de l'étranger, qui ont toujours voté majoritairement à droite à chaque élection présidentielle depuis 1965, héritent de 11 députés. La gauche crie au scandale.
Mercredi encore, l'attention s'est aussi portée sur la taxe carbone: Michel Rocard rendait sa copie, le rapport d'une commission d'experts sur cette contribution "Climat-Energie". L'unanimité est de façade sur le bel objectif de réduire la pollution générée par la consommation d'énergies fossiles. A y regarder de plus près, les divergences sont nombreuses. A droite, certains se préparent à vider de son sens cette proposition inédite. On critique son niveau (32 euros par tonne de CO2), on évite la question sociale, on laisse les lobbies industriels s'indigner. A gauche, on s'inquiète donc que cette taxe ne tienne pas compte des revenus les plus modestes. Borloo l'a promis, mais Christine Lagarde - encore elle - a refusé d'entériner une compensation intégrale, se contentant de promettre que le niveau général des prélèvements obligatoires en France ne sera pas augmenté. Les écologistes souhaitent que l'électricité soit également taxée, au motif que chaque surconsommation d'électricité conduit EDF à puiser dans ses centrales à charbon pour faire face à la demande, et que l'énergie nucléaire est sous-tarifée en France.
Les casseroles de Sarkofrance
L'ampleur médiatique donnée au malaise "lipothymique" du président a permis de cacher certaines casseroles de Sarkofrance. Ces derniers jours furent pourtant riches en révélations. On n'avait d'abord pas fini de commenter l'affaire des sondages manipulés par la Présidence de la République. Divers articles ont toutefois détaillé l'importance de la manipulation, reprenant un à un les différents sondages publiés l'an passé, aux questions complaisantes et à l'agenda sarko-compatible. Depuis deux ans, les Français sont abreuvés de sondages dont les questions, pour une soixantaine d'entre eux d'après la Cour des Comptes, ont été financées par l'Elysée. Voici comment le chef de l'Etat manipule le débat public.
Mardi soir, un court article du Monde révélait que Patrick Buisson, le consultant à 1,5 millions d'euros de l'Elysée et par ailleurs directeur d'une petite chaîne thématique (Histoire), avait convaincu le ministère de la Culture d'acheter certaines de ses émissions et de parrainer sa chaîne à 3 reprises entre 2008 et 2009, le tout pour 270 000 euros. Pour une chaîne qui culmine à quelques dizaines de milliers de téléspectateurs en part d'audience moyenne, cela fait cher l'achat d'espace publicitaire pour une mention aux génériques !
Jeudi, les deux dirigeants d'Opinion Way ont répondu aux attaques des précédents jours dans "l'affaire des sondages de l'Elysée" : il y a 15 jours, la Cour des Comptes révélait dans un rapport sur les dépenses de l'Elysée qu'un cabinet de conseil (depuis identifié comme étant Publifact, créé et géré par Patrick Buisson), avait déboursé pour le compte de la Présidence de la République 392 000 euros au titre des baromètres mensuels "Politoscope" réalisés par OpinionWay. Hugues Cazenave et Denis Pingaud, président et vice-président dudit institut, ont expliqué jeudi que l'Elysée était un client marginal (3% du chiffre d'affaires de leur entreprise), et que leurs sondages n'étaient pas "trafiqués". Ils ont surtout soigneusement évité de répondre aux questions qui fâchent : est-il normal, et moral, d'avoir caché que l'Elysée finançait une soixantaine de sondages publics (dont les trente "Politoscopes" réalisés par Opinion Way) ? Est-il normal, et moral, que l'Elysée manipule ainsi le débat public ? Reste que les deux sondeurs confirment une information embarrassante pour Sarkozy: Publifact refacturait leurs sondages à l'Elysée environ le double du montant payé à Opinion Way.
La semaine dernière, les médias français ont aussi négligé une belle information : le nouveau premier ministre bulgare a accusé son prédécesseur d'avoir payé 72 millions de dollars pour libérer les infirmières bulgares en juillet 2007. A l'époque, Cécilia Sarkozy était allée les chercher en Libye pour les ramener en Bulgarie, tandis que son mari Nicolas célébrait ce succès diplomatique. Quelques mois plus tard, il avait fallu accueillir en grandes pompes le colonel Khadafi à Paris, un jour de décembre 2007, et lui promettre une centrale nucléaire en dédommagement. On apprend donc maintenant que le leader libyen aurait également touché plusieurs dizaines de millions d'euros. Voici qui écorne sérieusement le mythe du talent diplomatique de l'hyper-président !
Mercredi, autre affaire: l'Elysée cherche à faire annuler une décision de justice qui constitue une fâcheuse jurisprudence. Depuis septembre 2008, Nicolas Sarkozy était partie civile contre des présumés pirates de son compte bancaire. Le tribunal de grande instance de Nanterre a déclaré les accusés coupables, sauf pour les comptes présidentiels: le TGI a en effet décidé de «surseoir à statuer» sur cette plainte, en argumentant noir sur blanc que le jugement ne serait pas "équitable" : il y aurait, selon la juge de Nanterre, "atteinte au principe de l’égalité des armes" : primo, l’article 67 de la nouvelle Constitution accorde une totale immunité au Président de la République, et, deuxio, ce dernier est "juge et partie" car il préside le Conseil Supérieur de la Magistrature qui décide de la carrière des juges. Selon Libération, L'Elysée cherche à faire annuler cette décision. En septembre, se profile le procès Clearstream. Sarkozy n'a pas envie que les juges s'appuient sur cette décision pour s'abstenir de se prononcer...
Le lendemain, le site Mediapart révèle qu'un proche du chef de l'Etat n'aurait pas été inquiété par la justice malgré des menaces de mort proférées à l'encontre du présumé coupable de violences contre l'un de ses collaborateurs. Robert F. Agostinelli - c'est son nom - est cet ami qui a accueilli Nicolas Sarkozy dans sa demeure de Wolfeboro, dans le Massachusetts aux Etats Unis, pour ses premières vacances de président en août 2007.
Il est vraiment temps de partir en vacances. Nicolas Sarkozy s'est donc envolé, dès mercredi. Trois semaines de repos au Cap Nègre, où il espère ne pas être dérangé par une nouvelle crise internationale, une explosion de grippe A ou des salariés licenciés menaçant de faire sauter leur outil de travail. Mais au Cap Nègre, il retrouvera d'encombrants riverains, et leur problème de tout-à-l'égoux que la copropriété ne veut pas financer... Petite consolation, le nouveau préfet, nommé grâce à la mutation express de son prédécesseur le 5 juin dernier, sera peut être plus conciliant.
Ami sarkozyste, où pars-tu en vacances ?
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