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Provocation féministe à Jérusalem ?

Publié le 04 août 2009 par Marc Lenot

valie-export009.1249382880.JPGÀ 500 mètres d’ici, des femmes au crâne rasé portant perruque. À un kilomètre, des femmes voilées, parfois élégamment, parfois tristement; de plus, quelques cornettes. C’est dans cette ville plutôt traditionnelle et religieuse qui n’est guère, à la différence de Tel Aviv, un lieu de ‘licence’ et de plaisir, qu’on peut voir (mais les visiteurs y sont rares et ceux que j’y ai croisés étaient plutôt choqués) une exposition sinon révolutionnaire, en tout cas déton(n)ante. Ticho House est une jolie maison arabe assez ancienne qu’occupa longtemps un ophtalmologiste réputé, le Dr Ticho; on peut passer rapidement devant les gentils dessins de sa femme et on profiterait volontiers du restaurant dans le jardin si le vacarme et la poussière du chantier voisin ne vous en chassaient vite.

1de863f47a.1249384135.jpgEt donc, à l’intérieur, la première exposition de VALIE EXPORT (majuscules de rigueur) en Israël (jusqu’en octobre); une quinzaine de photos, autant de dessins, huit vidéos, une petite exposition, très sélective. Cette artiste autrichienne a conçu son travail autour de son affirmation en tant que femme, face à un monde masculin plein de stéréotypes qu’elle détourne avec violence ou avec humour. En 1967, elle change son nom en celui de VALIE EXPORT, marque de cigarettes, présente ‘immer und überall’ ou ’semper et ubique’, partout et tout le temps : affirmation de la position de la femme dans la société (autrichienne d’alors, hiérosolymite d’aujourd’hui ?), une commodité toujours présente, disponible et banale.

1valie-export028.1249382459.jpgL’exposition commence par des photos de 1972 de la série ‘Body Configurations’ où le corps rond et souple de l’artiste se confronte à la dureté géométrique de l’architecture ‘K und K’ viennoise : comment se mesurer à la ville, comment faire du corps un étalon de mesure ? Les formes corporelles se plient aux normes architecturales : comment affirmer un corps féminin dans un univers minéral si structuré ? Comme avec la jeune Barbora Klimova, vue à Spectator Novus, ce corps est incongru, dérangeant, mais révélateur.

4valie-export030.1249382353.JPGQuoi de plus sexuellement fantasmé qu’une jarretelle ? Symbole même du caché à peine entrevu et plein de promesses, affirmation de la soumission du corps féminin au désir masculin. Dans Body Sign Action, VALIE EXPORT se fait tatouer sur la cuisse le dessin d’une jarretelle, inscrivant sur son corps même le signe de la soumission sexuelle.

5valie.1249382614.jpgL’image sans doute la plus connue de VALIE EXPORT est celle où, les cheveux en bataille, une mitraillette à la main, elle exhibe son pubis (guère épilé) par une découpe de son pantalon (Genital Panic : Action Pants). C’est le résultat d’une performance où elle entrait dans des cinémas pornos ainsi accoutrée et marchait dans l’allée afin que les spectateurs (hommes) détournent leur regard de la nudité sur l’écran et portent leur attention sur la nudité bien réelle ainsi exposée. Outre le courage inconscient qu’il lui a fallu, cette performance questionne non seulement l’exhibition et le voyeurisme, mais surtout le rapport entre image et réalité, l’attraction partagée entre l’original et sa représentation.

3valie-export021.1249382307.jpgDans Tapp und Tastkino (ciné taper/toucher), c’est un cinéma d’un nouveau genre qu’elle invente, cinéma porno non plus pour voyeur, mais pour toucheur. Une boîte en carton couvre ses seins nus, fermée par un rideau que les passants (masculins) ameutés peuvent soulever pour poser leurs doigts sur sa poitrine. Travailleuse du sexe efficace, elle chronomètre le temps alloué à chacun, marchandisation ultime de son corps. Notons que cette performance urbaine gratuite date de 1968, neuf ans avant qu’Orlan ne vende ses fades baisers à la FIAC. C’est le premier film réellement féminin, dit-elle; la vidéo montre l’air béat des passants et la maîtrise de l’artiste face à cette dénonciation ironique de la banalisation marchande du sexe. A un moment, on voit l’affiche d’un cinéma voisin, qui projette ‘L’homme au bras doré’. Dans ces performances ’sociales’ VALIE EXPORT s’expose, dans tous les sens du terme, montrant son corps et se mettant elle-même en danger

valie-export008.1249382861.JPGParmi les vidéos présentées, la plus complexe est Syngtama qui décompose le langage de l’artiste de manière très stimulante. J’y ai en particulier beaucoup aimé les séquences où son corps réel (couleur chair) se superpose à l’image photographique de son même corps en noir et blanc. Ces échos et ces contrastes sont très beaux, et en même temps soulèvent à nouveau le lien entre réalité et représentation. Même si mes vues d’écran sont médiocres, je ne me lasse pas de les regarder.

Et si cette exposition révolutionnait la vie des femmes de Jérusalem, juives, musulmanes et chrétiennes ? Et si elles décidaient de prendre leur vie en main, de se défaire du machisme qui les opprime, de reprendre la propriété de leur corps ? Irions-nous vers un peu plus d’humanité dans cette ville désespérée ? On peut toujours rêver.

VALIE EXPORT étant représentée par l’ADAGP, les photos seront retirées du blog à la fin de l’exposition.


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