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Le secret de la Médiocrité et les origines de la Nullité

Publié le 07 août 2009 par Collectifnrv
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Causerie estivale en quatre parties

Le secret de la Médiocrité et les origines de la Nullité 

Troisième partie :

De la médiocrité  comme expression d’un rapport social générique 
au spectaculaire intégré.

Résumé des épisodes précédents. 
Après l’avoir caractérisée comme détermination principale de la médiocrité (en tant que nature et manifestation de l’opinion « moyenne »), les deux premières parties de cette causerie ont porté sur les modalités d’usage de l’opinion dans ses deux principaux domaines d’application sociale : la politique et l’esthétique ( circonscrite ici à la représentation spectaculaire) , en mettant en évidence la symétrie inversée qui a marqué l’évolution des modalités de l’opinion dans ces deux domaines. Le mode de démocratie « directe » ( sans médiation) étant progressivement passé du domaine politique au domaine esthétique de la représentation spectaculaire, tandis qu’inversement le mode de la « médiation représentative » désertait le terrain  esthétique et spectaculaire pour s’imposer sur le théâtre politique. Cette inversion modale ( de l’opinion) a été stigmatisée dans la désignation contemporaine de « démocratie d’opinion », modalité de la démocratie elle-même marquée par le dernier rejeton en date de idéologie (libérale) dominante : le « démocratisme ». 
Au prix d’un petit détour ontologique nous avons également pointé les contradictions inhérentes à cette idéologie dominante, reposant sur le primat (ontologiquement inconsistant) de la « liberté » sur l’égalité, notamment la vaine prétention (démocratiste) consistant à « émanciper le spectateur ».  
Ce troisième épisode va être l’occasion d’éclaircir la relation entre ces notions dérivées (  des vicissitudes de l’opinion), essentielles à la compréhension du secret de la médiocrité : distinction ( du divers esthétique) ,  primat libéral de la « liberté » sur l’égalité , nécessité induite de la médiation ( de la distinction), et représentation ( de l’opinion, de son sujet et de son objet). 
Petit détour historique en forme de repoussoir idéologique. 
La vulgate répandue « à l’ouest » tenait jadis les pays de l’au delà du « rideau de fer » pour soumis à la tyrannie de la « médiocrité ». Une manière de reconnaître le communisme (assimilé au stalinisme) comme une forme de démocratie « directe » puisque l’application totale et absolue de jugements et décisions issus de l’opinion majoritaire n’est rien d’autre que la promotion de ce type de « dictature ». De fait les « pays de l’est » , ceux du « socialisme réel », ne furent pas plus ceux de ce genre de tyrannie que ceux de la « dictature du prolétariat ». On y vit bien plutôt prospérer cette forme d’oligarchie bien connue qu’est la « bureaucratie », sans doute « médiocre » à bien des égards mais assurément pas au sens qui nous intéresse de « manifestation de l’opinion moyenne ». Il n’est pas indifférent cependant de s’intéresser à ce que fut le sort réservé à la représentation spectaculaire, dans un contexte de rapports sociaux où l’opinion individuelle ne disposait plus du moindre espace de « liberté », et où la distinction opérée parmi le « divers esthétique » relevait d’un formalisme totalement figé, réputé servilement appliqué par des artistes et intellectuels « organiques », fonctionnaires d’état. Or quiconque est un peu averti des choses de l’art sait que du plus profond de la période stalinienne à l’effondrement ( 60 ans plus tard) de la gérontocratie des apparatchiks et du « mur » qui les « protégeait », pendant toute cette longue période contrainte par une oligarchie bureaucratique omniprésente et omnipotente , la création artistique persista, aussi vivace dans cet « au delà » du rideau de fer qu’en deçà de ce dernier. 
Pour se limiter à notre point de vue du moment, donc restreint au cinéma il suffira de passer en revue les cinéastes et les œuvres qui ( pour ne parler que des russes) de Eisenstein à Tarkovski, en passant par Vertov, Paradjanov, etc. attestèrent ( en même temps que leur grande disparité) de cette créativité vivace des artistes ayant émergé à la notoriété au sein de la « grisaille soviétique », et cela en dépit du dogme idéologique omnipotent, de la contrainte formelle du « réalisme socialiste » et de la très pesante idéologie dominante du « communisme de caserne ». 
D’où on ne conclura pas que le stalinisme fut, jusque dans sa phase « gérontocratique », le géniteur fécond, pourvoyeur constant d’une pépinière de talents, mais plus prosaïquement qu’à cette époque éminemment dialectique ( la « guerre froide ») la diversité artistique la plus improbable trouvait à se manifester dans les contextes les plus hostiles .  
Quand je dis manifester il est important de bien voir que sous ce terme il s’agit bien de désigner tout un processus « d’apparition » (au sens phénoménologique) qui va de l’émergence des artistes (en tant qu'auteurs et agents effectifs du processus), à la diffusion généralisée et « visible » de leurs œuvres , en passant par la production de ces œuvres . Un processus qui ne trouva à accomplir sa finalité ultime (la réception des œuvres par un public déjà « mondialisé ») que par ce que les médiations nécessaires permirent leur distinction ( leur filtrage et leur sélection parmi les « divers esthétique » des œuvres concurrentes, faites ou à faire), c’est à dire, à proprement parler leur médiatisation.  
On observera également au passage que le type de « marché mondialisé » où s’échangeait cette production n’avait guère de rapport avec ce qu’on met sous ces termes aujourd’hui. 
On observera enfin, sur la foi de ce même constat historique, qu’en dépit de ( et sans doute largement à cause de) déterminations réciproques et contraires, les idéologies dominantes ( à l’Est comme à l’Ouest) laissaient une large place à l’expression d’une représentation symbolique des rapports sociaux qui ne relevait aucunement du culte du « fétiche de la marchandise », et encore moins de la « tyrannie de la médiocrité » ( le moins qu’on puisse dire est que les œuvres de Tarkovski ou Paradjanov, pour ne parler que de ceux-là, ne répondaient guère à une « demande du grand public », à l’Est comme à l’Ouest)  .  
Ce bref détour historique illustre dialectiquement (et contradictoirement) les thèmes ( d’élucidation de la médiocrité ) , posés en préambule de cet épisode, en associant la distinction ( du divers esthétique), le primat libéral de la « liberté » sur l’égalité, et les rapports déterminants entre les formes de médiation , la représentation et l’opinion « qu’on s’en fait ». 
On peut déjà en conclure en effet ( du fait des contraintes de brièveté de ce genre d’exercice je développerai ce point , au besoin, dans les commentaires) qu’une seule contrainte se présente comme véritablement décisive : celle de la distinction, c’est à dire l’étape du processus qui permet de sélectionner parmi les artistes et les œuvres constituant le « divers esthétique » offert aux opinions individuelles, celles qui seront effectivement produites et considérées (par ces opinions).  
On observera aussi le caractère de nécessité de la médiation en regard de à la distinction, au sens que j’ai initialement posé pour ce terme : pour que l’opinion s’exerce ( et d’abord individuellement) elle ne peut le faire que séquentiellement sur des œuvres préalablement distinguées et portées à son attention. 
Or la nécessité de la médiation se déduit de l’impossibilité de produire individuellement une hiérarchie ( un ordre sur lequel appuyer cette sélection ) autonome et individuelle, et individuellement produite, s’appliquant « spontanément » et im-médiatement sur l’ensemble du donné esthétique *. Cette impossibilité se déduit elle même de celle produite ( dans le contexte socio-historique du démocratisme libéral ) par le « primat de la liberté » ( sur l’égalité) : sur quoi ( et comment) fonder cette hiérarchie si « l’être social » est d’abord déterminé comme « libre » et secondairement « égal » ; c’est à dire l’aporie pratique de la distinction. 
On peut en conclure enfin ( et c’est le point essentiel) que cette médiation, et elle seule, détermine les conditions « a priori » de manifestation de la « médiocrité », et aussi bien ses effets , notamment en rapport avec la qualité des œuvres distinguées . Une conclusion qui peut spontanément s’exprimer en termes purement marxistes : la médiocrité n’est pas une qualité , elle est simplement et factuellement l’expression ( l’idée, la mesure et la conséquence) d’un rapport social, et même la mesure la plus im-médiate du rapport social le plus général : celui du nombre. De ce fait elle n’est pas dissociable de ce rapport social, de son contexte et du processus sous-jacent.  
Si donc nous rapportons (ce que je me suis efforcé de faire jusqu’ici) cette expression au rapport social qu’elle exprime et au contexte de la représentation de l’opinion, singulièrement dans le domaine des arts (exemplifiés dans la représentation spectaculaire), et après avoir dégagé les traits spécifiques de ce type de représentation et ses modalités au fil de leur généalogie historique (en parallèle avec la généalogie concomitante de la représentation politique) au sein de la « société du spectacle », alors nous parvenons à ce point d’élucidation du « secret » que la « clef » de l’énigme est totalement extérieure et indépendante de la médiocrité en tant que telle, et qu’elle réside dans la modalité actuelle de la médiation opérant la distinction
Pour parvenir au terme de notre enquête et résoudre l’énigme il ne reste plus qu’à identifier les traits caractéristiques qui font de cette modalité actuelle ( dont le projet est le « spectateur émancipé » au sein de la « démocratie d’opinion ») une modalité nouvelle dans la mesure ou elle produit des effets nouveaux, tels la « nullité » généralisée (en voie de généralisation) de la représentation spectaculaire et politique. 
Après avoir décrit, au fil des épisodes précédents, les évolutions de la distinction opérées par la « société du spectacle » au cours de sa gestation jusqu’au présent stade du post-modernisme démocratiste, nous verrons dans le prochain (et dernier ?) épisode comment ce stade du « spectaculaire intégré » , modalité actuelle de la médiation, voudrait que « Désormais, le spectacle soit présent partout » et corollairement (ou du moins « tendanciellement » comme on dit aujourd’hui) « l’art, nulle part ». 

Urbain Glandier

* Pour faire « court » j’ai volontairement éludé ici quelques questions pourtant passablement problématiques, en regard de la distinction « sans médiation », telles que : 
- sous le rapport de l’égalité : la possibilité concrète de la distinction supposant comme préalable que chacun , individuellement, ait atteint le même niveau d’information de son jugement, permettant de poser chaque opinion ( produite par un tel jugement individuel) comme équivalente à n’importe quelle autre de ce point de vue. 
- sous le rapport de la liberté : le problème de l’autonomie des jugements et opinions induites, notamment à l’égard de leur contexte social et culturel.


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