Scène 5
Les mêmes moins Rosie la Terreur
CUNEGONDE
Chère Scarlatina, me sera-t-il permis
D'entrer dans cette chambre où le malade gît ?
SCARLATINA
Si vous l'osez, allez, je ne vous retiens pas.
LEILA
Si ce généreux geste était un grand faux-pas ?
Madame prenez garde à la contagion*.
CUNEGONDE
Je veux suivre la loi de ma religion*,
Apporter du repos à cette âme souffrante
Et faire de mon mieux pour me montrer charmante.
SCARLATINA
Cette action* si noble et désintéressée
Qui vous pousse vers lui sans arrière-pensée
Du Grand Ciel vous vaudra mille bénédictions.
LA MADONE
Comme elle parle bien, et quelle componction !
Mais je veux moi aussi exprimer ma bonté
En allant de ce pas là-bas l'accompagner.
Car j'ai en moi je sais de grandes aptitudes
Pour donner aux gisants toute béatitude.
SCARLATINA
Je vous défends d'entrer, car vous auriez l'audace
De dire franchement, et cela face à face,
Qu'il est contaminé.
LA MADONE (Avec hauteur)
M'en croyez-vous capable ?
SCARLATINA
D'un coup si bas porté, oui, vous seriez coupable.
LA MADONE (Méprisante)
Fort bien. Du moribond, je me désintéresse.
Laissez la Cunégonde aller dire sa messe
Et vous verrez comment se porte le malade
Quand elle aura fini de vendre sa salade.
LEILA (Outrée)
Affreuse affirmation, Madone sans honneur !
Que veux-tu insinuer ? Quelle est cette fureur
Qui te prend tout à coup de calomnier Madame ?
Tu oses sur son front faire tomber un blâme ?
LA MADONE
Mais je n'insinue rien. Je dis, en vérité,
Que Madame n'a pas un grain de charité.
Sa visite céans cache sa vraie mission :
Savoir si le vaccin permet la rémission.
CUNEGONDE (riant)
Et qui donc, je te prie, m'aurait ainsi soufflé
De venir en ces lieux afin d'y espionner
Les progrès de la science et de la médecine
Contre la maladie qu'on dit grippe porcine ?
LA MADONE
Mais... Des gens. Etrangers
CUNEGONDE (haussant les épaules)
Ridicule à un point !...
Car si cela était, je n'avais pas besoin
D'entrer dans le Palais, risquant la contagion,
Pour avoir sur le champ toute l'information.
J'ai encor des amis dans cette belle Cour.
Il suffisait alors, et ce sans un détour,
De les interroger sur votre prévention
Ils m'auraient répondu sans protestation.*
Mais je n'ai pas, je crois, à toujours me défendre.
Sur ce point, chère amie, tu voudras bien comprendre
Que tes insinuations vraiment très malhabiles
Ne sont que les fumées d'un triste esprit débile.
FIFI
Bien répondu, Madame. Et j'ajoute à cela
Que nul ici vraiment ne soutient celle-là.
LANLAN
Te taire est trop pour toi, tu as donc oublié
Tout ce que tes discours t'ont bien fait ramasser.
Et te voilà encor en train d'ouvrir la bouche !
FIFI
Mais tout le monde sait qu'elle en tient une couche !
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Je ne permettrai pas qu'ici-bas l'on insulte
Celle qui fut pour moi une vraie catapulte.
Elle m'a tout appris, notamment à penser,
Grâce à elle je sais pour qui je dois voter.
LA MADONE
Laisse donc, mon amie, la meute dévorer
Celle que les médias ont tant martyrisée.
Car la postérité me rendra bien justice.
FIFI
Quand enfin tu seras au fin fond d'un hospice !
SCARLATINA
Je vous écoute bien, et suis abasourdie
Par vos méchancetés, j'en suis toute étourdie !
Avez-vous oublié pourquoi vous êtes là ?
Avez-vous oublié celui qui ne peut pas
Vous river votre clou, faire cesser la haine
Qui dans tous vos discours, oh mon dieu, se déchaîne ?
Soyez plus respectueux d'un lieu aussi sacré
Et montrez-vous enfin un peu plus éclairés.
CUNEGONDE
Chère enfant, excusez ces grands emportements.
Vous êtes dans le vrai. Pardon pour tout, vraiment.
Puis-je voir à présent celui qui tousse et crache
Avant que de ce lieu, bientôt, je ne m'arrache ?
SCARLATINA
Entrez, je vous en prie. Et que votre visite
Vers une guérison enfin le précipite.
(Cunégonde rentre dans la chambre, à droite.)
Scène 6
Les mêmes, moins Cunégonde
LA MADONE
Mais ne dirait-on pas que cette belle gueuse
Est là considérée comme eau miraculeuse ?
Il faudrait bien songer à la canoniser.
LEILA
Voilà la jalousie qui vous fait déparler.
LA MADONE
Face à cette guimauve, est-on vraiment jalouse ?
LEILA
On le croirait pourtant, espèce de ventouse.
FIFI
Ne recommençons pas. Ayons donc la décence
D'attendre sa sortie, et cela en silence.
SCARLATINA
Vous êtes, cher Fifi, le plus galant des hommes.
LA MADONE (Railleuse)
On le regrettera, ce très cher vieux bonhomme,
Quand il sera lourdé.
FIFI (Inquiet)
Tu sais donc quelque chose ?
LA MADONE
Je sais tout mon chéri, mais le dire je n'ose.
LEILA (A Fifi)
Ne vous inquiétez pas. Elle n'a qu'une idée,
Ennuyer tout le monde à coup d'insanités.
FIFI (A Scarlatina)
Avez-vous ouï, Madame, un bruit de corridor ?
SCARLATINA
Calmez-vous, mon ami ; je ne sais rien encor.
Avant qu'à l'hôpital il ne soit expédié,
Il disait qu'il fallait vraiment bien nettoyer
Le Palais impérial de tous les parasites
Qui chaque jour ici par les salles transitent.
Mais parlait-il de vous ? Ah, cela, je l'ignore.
Peut-être visait-il ces affreux doryphores
Qui mangent nos jardins.
FIFI
Puisse cette hypothèse
Etre la vérité. Si mes actes je pèse,
Je suis bien assuré de rester à ma place
Car jamais, je le dis, je n'ai eu cette audace
De lui désobéir.
LA MADONE (Moqueuse)
Pourquoi donc t'inquiéter ?
Premier il t'a nommé, tu resteras premier,
Même si pour cela, sans la moindre critique,
Tu dois tout comme lui te ramasser la grippe.
SCARLATINA
N'écoutez pas, Fifi, cette bouche menteuse.
L'heure n'a point sonné de chercher dans la Creuse
Comment reconvertir un homme politique
En laboureur soucieux de sillons esthétiques.
(Rosie entre tout à coup à gauche, dans un état d'excitation proche de la folie.)
(A suivre)