LA RÉPONSE DU CHRIST
La réponse NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS, met un terme au murmure. Le Seigneur en effet y coupe court, mais lève ensuite l’incertitude qui l’avait suscité.
I. JÉSUS RÉPONDIT DONC ET LEUR DIT: "NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS; NUL NE PEUT VENIR À MOI SI LE PÈRE QUI M’A
ENVOYÉ NE L’A TTIRE ET MOI JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR. IL EST ECRIT DANS LES PROPHÈTES: TOUS SERONT ENSEIGNÉS PAR DIEU QUICONQUE S’EST MIS À L’ÉCOUTE DU PÈRE ET À SON ÉCOLE VIENT À MOI
NON QUE PERSONNE AIT VU LE PÈRE, SI CE N’EST CELUI QUI EST DE DIEU: CELUI-LÀ A VU LE PÈRE. "
Après avoir mis un terme au murmure, le Christ en dévoile la cause.
JÉSUS RÉPONDIT DONC ET LEUR DIT: "NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS. "
Jésus, connaissant leur murmure, leur répond en y mettant fin: NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS. C’est là, assurément, un avertissement salutaire: en effet, celui qui murmure révèle que son esprit n’était pas établi en Dieu, et pour cette raison il est dit dans le livre de la Sagesse: Gardez vous donc du murmure, car il ne sert à rien.
C’est parce qu’ils n’ont pas la foi que les Juifs murmurent, et le Seigneur le dévoile par ces mots: NUL NE PEUT VENIR A MOI... Le Christ montre d’abord que l’attraction du Père est nécessaire pour venir à lui, puis comment elle s’accomplit. Si l’attraction du Père est nécessaire, c’est parce que l’homme n’a pas, par lui-même, le pouvoir de venir au Christ par la foi; il a besoin d’un secours divin, qui est efficace; quant à l’accomplissement ultime, ou au fruit de cette attraction, il est excellent.
NUL NE PEUT VENIR À MOI SI LE PÈRE QUI M'A ENVOYÉ NE L’ATTIRE.
Jésus, donc, dit d’abord: il n’est pas étonnant que vous murmuriez, parce que vous n’avez pas encore été attirés à moi par le Père. En effet, NUL NE PEUT VENIR A MOI, en croyant en moi, SILE PERE QUI M’A EN VOYE NE L'ATTIRE.Mais ici trois questions se posent. La première d’entre elles concerne cette parole du Christ SI LE PERE NE L’ATTIRE. En effet, nous venons au Christ par la foi, puisque, ainsi que nous l’avons déjà dit, c’est une même chose de venir à lui et de croire en lui. Or on ne peut croire qu’en le voulant. Mais le terme "attraction" exprime une certaine violence; celui qui vient au Christ en étant attiré vient donc à lui contraint et forcé.
Je réponds en disant que ce qui est affirmé ici de l’attraction du Père n’implique pas de contrainte, car tout ce qui attire ne fait pas nécessairement violence. Ainsi donc, le Père a de multiples manières d’attirer au Fils sans exercer de violence sur les hommes. En effet, on peut attirer quelqu’un en le persuadant par une démarche de l’intelligence. Et de cette manière, le Père attire les hommes au Fils en leur démontrant qu’il est son Fils, soit par une révélation intérieure — Heureux es-tu, Simon fils de Jonas, parce que ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, à savoir que le Christ est le Fils du Dieu vivant, mais mon Père qui est dans les cieux —, soit par des miracles accomplis par la puissance qu’il tient du Père: Les oeuvres que le Père m’a données pour que je les accomplisse (...) rendent témoignage de moi.
D’autre part, certains attirent par leur charme: Par la douceur de ses lèvres, elle l’a entraîné. Ainsi, ceux qui s’approchent du Christ à cause de l’autorité de la majesté du Père sont-ils attirés par le Père. Quiconque en effet met sa foi dans le Christ parce qu’il le croit Fils de Dieu, celui-là, le Père l’attire au Fils par sa majesté. Arius n’a pas subi cette attraction, lui qui ne croyait pas que le Christ est le vrai Fils de Dieu ni qu’il est engendré de la substance du Père; Photin non plus, lorsqu’il a affirmé comme étant de foi que le Christ n’est qu’un homme. Ainsi, ils sont attirés par le Père, ceux qui sont saisis par sa majesté; mais le Fils aussi les attire par l’amour de la vérité et le fait d’y trouver une joie prodigieuse; car la vérité est finalement le Fils de Dieu lui-même. Si en effet, ainsi que le dit Augustin, chacun est entraîné par ce qui lui donne de la joie, combien plus l’homme doit-il être entraîné vers le Christ s’il trouve sa joie dans la vérité, la béatitude, la justice, la vie éternelle, et si le Christ est tout cela? Si donc c’est par lui que nous devons être entraînés, laissons-nous entraîner par la joie que procure la vérité: Mets ta joie dans le Seigneur, et il te donnera ce que demande ton coeur; c’est pourquoi l’épouse disait: Entraîne-moi à ta suite, nous courrons à l’odeur de tes parfums.
Mais puisque la révélation extérieure et l’objet n’ont pas seuls la puissance d’attirer, puisque l’instinct intérieur qui pousse et meut à croire la possède aussi, le Père en attire beaucoup au Fils par cet instinct, effet de l’opération divine qui meut intérieurement le coeur de l’homme à croire: Dieu lui-même est celui qui opère en nous le vouloir et son accomplissement. — Avec des liens humains, je les attirerai dans les liens de la charité — Le coeur du roi est dans la main du Seigneur: il l’incline partout où il veut.
La deuxième question est la suivante: puisqu’il est dit que le Fils attire au Père — Nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils et celui auquel le Fils aura voulu le révéler et plus bas j’ai man ton nom aux hommes que tu m’as donnés —, comment affirme-t-on ici que le Père attire au Fils?
Disons qu’on peut répondre à cela de deux manières. En effet, nous pouvons parler du Christ soit selon qu’il est homme, soit selon qu’il est Dieu. En tant qu’homme, le Christ est la voie: Moi, je suis la voie. Ainsi considéré, le Christ conduit au Père comme la voie conduit au terme ou au but. Le Père nous attire au Christ-homme en tant qu’il nous donne par sa puissance de croire dans le Christ: C’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu. En tant que le Christ est Verbe de Dieu et manifestation du Père, ainsi le Fils attire au Père. Le Père, lui, attire au Fils en tant qu’il le manifeste.
La troisième question concerne l’affirmation d’après laquelle personne ne peut venir s’il n’est attiré par le Père; parce qu’alors, si quelqu’un ne vient pas au Christ, ce n’est pas à lui qu’il faut l’imputer, mais à celui qui ne l’a pas attiré.
Je réponds en disant que, en vérité, personne ne peut venir s’il n’est attiré par le Père. En effet, de même que ce qui est pesant par nature ne peut par lui-même se porter vers le haut s’il n’y est pas attiré par un autre, de même le coeur de l’homme, se portant de lui-même vers les réalités inférieures, ne peut s’élever s’il n’est pas attiré vers le haut. Mais s’il n’est pas élevé, la défection n’est pas du côté de celui qui attire, parce que, quant à lui, il ne fait défaut à personne; c’est parce qu’il y a un obstacle en celui qui n’est pas attiré.
Mais à ce sujet, il faut distinguer l’homme qui est dans l’état de nature intègre de celui qui est dans l’état de nature corrompue. En effet, dans la nature intègre, il n’y avait aucun empêchement capable de nous soustraire à cette attraction, et dans cet état, tous les hommes auraient pu avoir part à cette attraction. Mais dans la nature corrompue, tous y sont également soustraits par l’obstacle du péché et, pour cette raison, ont besoin d’être entraînés.
Quant à Dieu, il tend la main à chacun pour l’attirer et, qui plus est, non seulement il attire celui qui la saisit, mais il fait revenir aussi ceux qui se sont détournés de lui: Fais-nous revenir à toi, Seigneur, et nous reviendrons; et dans le psaume 84, selon la version des Septante: Reviens, toi ô Dieu, et tu nous donneras la vie. Du fait que Dieu est prêt à donner sa grâce à tous et à attirer à lui, si quelqu’un ne le reçoit pas, ce n’est pas imputable à Dieu, mais à celui qui ne le reçoit pas.
Mais pourquoi, de tous ceux qui se sont détournés, n’en attire-t-il que certains, bien que tous se soient également détournés? On peut, d’une manière générale, donner pour raison qu’en ceux qui ne sont pas attirés apparaît et resplendit l’ordre de la justice divine, et en ceux qui le sont l’immensité de la miséricorde divine. Mais pourquoi attire-t-il précisément celui-ci et pas celui-là? Il n’y a à cela aucune autre raison que le bon plaisir de la volonté divine. C’est pourquoi Augustin dit: "Quel est celui qu’il tire et celui qu’il ne tire pas, pourquoi il tire celui-ci et ne tire pas celui-là, questions dont tu ne dois pas te faire juge si tu ne veux pas te tromper. Saisis-le bien une fois pour toutes et comprends-le: tu n’es pas encore tiré. Prie pour être tiré".
On peut montrer cela par un exemple: pourquoi l’artisan place-t-il certaines pierres en bas, d’autres en haut, et d’autres sur les côtés? La raison en est le bon arrangement de la maison dont la perfection exige cet ordre. Mais pour quoi place-t-il ces pierres à cet endroit, celles-là à cet autre endroit? Cela dépend de son seul vouloir. De là vient que la raison première de l’arrangement se rapporte au vouloir de l’artisan. Ainsi donc, pour la perfection de l’univers, Dieu en attire certains pour qu’en eux apparaisse sa miséricorde, mais il en est d’autres qu’il n’attire pas, pour qu’en eux sa justice soit manifestée. Mais qu’il attire ceux-ci et non pas ceux-là, cela relève du bon plaisir de sa volonté. De même aussi, pourquoi dans l’Église fait-il de certains des apôtres, d’autres des confesseurs, d’autres des martyrs? La raison en est la beauté de l’Eglise et sa perfection. Mais pourquoi a t-il fait de Pierre un Apôtre, d’Etienne un martyr et de Nicolas un confesseur? Il n’y a pas à cela d’autre raison que sa volonté.
Ainsi donc sont manifestes la déficience de la capacité humaine et l’assistance que lui porte le secours divin.