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Le Conseil d’Etat veut voir les dessous de CRISTINA (CE, 31 juillet 2009, Aides et a., N° 320196)

Publié le 14 août 2009 par Combatsdh

La cousine Edvige ayant été soustraite à son contrôle, par son retrait par décret du 19 novembre 2008, le Conseil d’Etat est amené à se prononcer sur la mata-hari des fichiers : CRISTINA (Centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et des intérêts nationaux).

Classé « secret-défense », il ne fait pas l’objet d’une publication au Journal officiel l’article 26 III de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Dans la mesure où il est difficile de contrôler une décision dont on ne connaît pas totalement* le contenu, le Conseil d’Etat a, par décision avant-dire droit du 31 juillet 2009, ordonné au gouvernement de lui communiqué le décret portant création du traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé CRISTINA

Preuve du caractère exceptionnel de cette décision avant-dire droit: elle a été rendue en formation collégiale (en sous-section réunies) après lecture des conclusions du rapporteur public et sera publiée au Lebon.

Pourtant, dans la torpeur estivale, elle est passée quasi-inaperçue dans les grands médias et n’a pas fait l’objet d’un communiqué de presse du Conseil d’Etat.

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* Le Conseil d’Etat a, dans une formation consultative, rendu un avis sur le projet de décret.

Rappelons que dans le cadre de la fusion des Renseignements généraux et de la Direction de la surveillance du territoire pour former la nouvelle Direction centrale du renseignement intérieur, le décret n°2008-631 du 27 juin 2008 a prévu une restructuration des anciens fichiers des RG et de la DST.

Son article 2 a autorisé:

-  la création, au profit de la direction centrale de la sécurité publique, d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé EDVIGE, qui reprenait l’ancien fichier des RG autorisé en 1991 et une partie de l’ancien fichier de la DST (il a été retiré sans être, pour l’instant, remplacé - laissant sans fondement légal les actuels fichiers des RG);

-  la création, au profit de la direction centrale du renseignement intérieur, d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé CRISTINA se substituant au reste du fichier de la DST dans une optique de l’antiterrorisme et du contre-espionnage.

CRISTINA a fait l’objet d’une délibération de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) en même temps que le fichier EDVIGE (n° 2008-175 du 16 juin 2008).

Comme la plupart des textes réglementaires touchant au “secret défense”, il n’a pas été publié. Mais cela ne doit pas empêcher le Conseil d’Etat d’exercer son contrôle sur la légalité de ces actes même si cela réduit nécessairement l’application du principe du contradictoire.

Ainsi, par exemple, le statut des agents de la DGSE (décret du 27 novembre 1967) n’est pas publié au JORF. Cela n’empêche pas le juge administratif dans le cadre d’un contentieux individuel de le contrôler pour déterminer s’il s’agit d’un statut autonome  échappant aux règles du statut général des fonctionnaires de l’Etat (lois 13 juillet 1983 et 11 janvier 1984) en application de l’article 2 de la loi du 3 février 1953 (CE 21 juin 1972, le Roy) ou encore d’estimer, qu’en l’absence de publication au JORF, pour acquérir force obligatoire pour les agents de la DGSE, le statut doit faire l’objet d’une notification complète et individuelle (CE 24 juin 2002, Ministre de la Défense c/ Wolny, n°227983).

S’agissant de CRISTINA, dans le cadre du collectif “Non à Edvige”, 11 organisations associatives et syndicales avaient déféré au Conseil d’Etat le 29 août 2008 les deux décrets relatifs à ce fichier (le décret non publié qui en détaille le contenu et le décret n°2008-631 du 27 juin 2008 qui en autorise la création). L’article 2 de ce dernier décret a dispensé la publication du décret créant CRISTINA.
Pour fonder sa décision, le Conseil d’Etat devait trouver un point d’équilibre entre le respect de la contradiction et du droit à un recours effectif et la protection du secret défense.

C’est pourquoi il considère:

“que si le caractère contradictoire de la procédure fait obstacle à ce qu’une décision juridictionnelle puisse être rendue sur la base de pièces dont une des parties n’aurait pu prendre connaissance, il en va nécessairement autrement, afin d’assurer l’effectivité du droit au recours, lorsque, comme en l’espèce, l’acte attaqué n’est pas publié en application de l’article 26 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ; que si un tel défaut de publication interdit la communication de l’acte litigieux aux parties autres que celle qui le détient, dès lors qu’une telle communication priverait d’effet la dispense de publication de l’acte attaqué, il ne peut, en revanche, empêcher sa communication au juge lorsque celle-ci est la seule voie lui permettant d’apprécier le bien-fondé d’un moyen.

Le décret devra donc être communiqué au Conseil d’Etat mais pas transmis aux parties requérantes comme cela se fait lors de la communication de fiches des RG (voir par exemple CE 21 mai 2008, ministre de l’Intérieur, n°301178 ; CE 21 novrembre 2007, Mme A., n°258820)  ou encore, dans le cadre du contentieux des marchés publics, lors de la communication des offres ou du rapport d’analyse de celles-ci en référé précontractuel pour protéger des secrets commerciaux de ses concurrents et ne pas fausser les offres.

S’agissant de CRISTINA, la communication du décret au Conseil d’Etat est indispensable pour examiner le bien-fondé du moyen tiré de ce que le décret non publié ne serait conforme “ni au projet de décret soumis par le Gouvernement au Conseil d’Etat, ni à la minute de la section du Conseil d’Etat qui l’a examiné

C’est pourquoi le Conseil d’Etat ordonne, avant de se prononcer sur le fond, la communication dans un délai d’un mois du décret sans que communicationsoit faite aux requérants. Toutefois, il se réserve la possibilité d’ordonner un supplément d’instruction tendant à la production du texte soumis au Conseil d’Etat, de la minute de la section du Conseil d’Etat qui l’a examiné et du décret adopté.

Cette décision avant dire droit est conforme aux conclusions du Rapporteur public, présentées lors de l’audience du 15 juin 2009.

Réagissant sur son site le 1er août , le Collectif “Non à Edvige” estime qu’il s’agit là d’une “décision de toute première importance” car “le Conseil d’État se donne les moyens de le contrôler, sans laisser un blanc-seing au gouvernement, qui le revendiquait“.

CE, 31 juillet 2009, Aides et a., N° 320196
Publié au recueil Lebon

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