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Île de Sutvara et village de Vnik

Publié le 15 août 2009 par Argoul

croatie-kayaks-sur-sutvara.1248350200.jpgNous nous éloignons du quai sur la mer calme ; le courant nous pousse dans la bonne direction. Devant un ancien monastère, toute une tribu d’enfants et d’adonaissants s’agite et se baigne, aussi peu vêtus que des sauvages. Ils ont chassé les moines en robe de bure, bien en peine de se reproduire. C’est un centre de vacances. Nous traversons un bras de mer vers une petite île nommée Sutvara. Mais elle est loin d’être inhabitée : des colonies de baigneurs ont envahi les rares plages de galets gros, ronds et blancs. Les cinq kayaks alignés gênent un peu les gens, deux couples d’Italiens aux sept enfants, un couple de jeunes anglais sveltes, à la plastique grecque. La plage donne plein ouest et le soleil y tape fort. Nous prenons des couleurs un peu plus. Braque, allongé sur les galets aux côtés de sa sœur, après le bain, irradie. Avez-vous observé cette luminosité de la jeunesse dont les Grecs faisaient l’attribut des dieux ?

Quatre petites filles de 8 à 13 ans se baignent presque entre nos jambes. Elles sont graciles et joliment sauvages. J’entends le prénom de Nika la grande et de Suke sa cadette dont la poitrine pousse à peine, 11 ans environ. Avec ses cheveux blonds bouclés sur ses épaules nues, son corps bruni et souple, elle ressemble à Mowgli sortant de la jungle. Ses yeux bleus sont remplis de curiosité. Les parents ont un physique plus grossier. C’est toujours le mystère de l’hérédité : comment de beaux enfants peuvent-ils surgir de parents très quelconques ? Avec un petit Tomaso d’environ 8 ans, tout ce monde semble habiter une maisonnette de l’île et les tentes plantées auprès, dans la pinède au-dessus. Comme le soleil décline et que les plagistes ont remballés, nous faisons un feu entre deux rochers, près de l’eau pour éviter tout incendie. Sur la braise venue, Eff met des saucisses à griller, après avoir fait chauffer une bouilloire d’eau et de lait pour réhydrater la purée.

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Nous nous couchons au crépuscule, peu après 20h, pour rattraper la nuit dernière. Chacun se disperse, trouvant place sur les dalles calcaires en pente vers la mer. Nous faisons une « assez » grasse matinée, nous levant à 8h au lieu des 4h de la nuit précédente. Par rapport à la position initiale prise hier soir au coucher, tout le monde a viré, la pente des dalles et celle du confort ne coïncidant pas parfaitement.

Une fois pris le petit-déjeuner au soleil, nous rembarquons tout sur les bateaux. Nous traversons le bras de mer jusqu’à l’ancien monastère longé hier. Eff y a repéré des douches d’eau douce sur les quais et l’envie de se dessaler – pour une heure, avant le bain suivant – taraude les autres. C’est pure psychologie, impression de « se sentir » sale, car l’eau de mer nettoie. La fraîcheur de l’eau qui coule tonifie la peau et le soleil qui donne déjà sa tiédeur caresse par contraste. Quelques baigneurs sont déjà là, tôt, pour occuper le terrain. D’autres arrivent avec armes et bagages, masques et matelas de plage, décidés à s’installer pour la journée. Ils ont tous cet air repu et convaincu de leur « bon droit » à ne rien faire, typique des régimes socialistes.

Nous reprenons la mer pour faire le tour des îles. Vu du large, le village de Vrnik apparaît italien avec ses toits de tuiles rouges et ses cyprès noirs dressés droits vers le ciel. Nous allons prendre un bain en face avant d’y revenir, au soulagement d’un vieux couple de nudistes jusque là bien tranquille qui avaient réticence à sortir de l’eau en notre présence. Leurs enfants qui faisaient la course avec nos kayaks sur leur grosse bouée verte, lorsque nous sommes passés devant le village une première fois, sont partis.

Nous échouons les kayaks sur la cale de galets, près de l’église aux trois cloches suspendues en plein air au-dessus du porche. Nous pique-niquons sur un banc, devant une table en ciment, comme des pépés. Melon, sardines à l’huile, fromage, concombre, l’en-cas est spartiate mais on ne peut conserver longtemps des produits frais sous une toile cirée de kayak qui chauffe très vite au soleil. La place est presque déserte en cette heure. Seule une bande de vieux Allemands glapit encore dans l’eau en faisant des éclaboussures. Débarque un autre kayak, en plastique gonflable, celui-là. Il est occupé par un pâle Croate à lunettes et par sa femme, de l’espèce plate séchée sur pied, qui exhibe des seins nus que nul n’envie. Les voilà surnommés aussitôt Pinesèche et Matuvu. Le soleil, vertical, est assommant. Sortir une minute hors de l’ombre des arbres brûle la peau comme si l’on entrait dans un four. Sur la façade de ce qui est sans doute la « maison commune » sont affichés les horaires des navettes quotidiennes vers Korcula, la grande ville. Il y en a six par jour. Est aussi fixée une plaque aux morts de l’île durant la guerre de partisans entre 1941 et 1945, « grand souvenir » socialiste. Deux familles se partagent le triste privilège de voir leurs garçons y figurer en bonne place, les Foretic (prononcer Foretitz) pour trois gars, les Fabris pour deux.

Une navette apporte sur le quai une cargaison de Français en visite culturelle pour seulement une demi-heure sur l’île. Ils regardent les kayaks et pontifient à haute voix sans avoir peur du ridicule. L’un d’eux déclare sentencieusement qu’un « kayak » est un bateau où l’on est tout seul alors qu’un « canot » permet d’engueuler le second. Le plaisir du bon mot passe avant la précision du vocabulaire car, justement, nos « kayaks » sont à deux places… Cette vanité est un trait culturel éminemment français dont on se rend compte surtout dans les pays étrangers.

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Passent près de notre banc quatre jeunes Italiennes en bikini, précédée d’un mâle du même âge en boxer-short. Le harem est mouillé et cherche une autre plage que la jetée pour s’y amuser. Ils sont frais, élancés, emplis de vitalité. Les autres se sont dispersés alentour, cherchant de l’ombre pour dormir à la sieste ou pour jouer aux cartes. Braque a laissé son dessin pour jouer avec sa maman, comme un petit garçon. Ce jeu de séduction-maternage entre mère et fils adolescent est une attitude qui m’a toujours beaucoup amusé. C’est très flatteur pour le garçon comme pour la mère. Le soleil demeure trop fort pour aller se promener plus loin que vers l’eau toute proche.

Passe une autre fille en bikini qui m’interpelle. Elle se prénomme Adriana, française d’origine serbe. Elle possède une maison familiale de vacances sur cette île croate et connaissait bien celui qui guidait les séjours en kayaks des années précédentes. Elle m’incite à aller visiter les carrières de calcaire, à l’intérieur de l’île, débitée traditionnellement à la main et ornées de stries régulières. Nous les avons aperçues du kayak, lorsque nous avons fait le tour de l’île au matin. Les maisons sont bâties de cette pierre blanche. Certaines habitations que l’on voit du large sont abandonnées, démontées et raclées jusqu’aux murs. Adriana m’apprend que ce sont les maisons des Serbes de l’endroit, démolies volontairement par leurs voisins Croates durant la guerre civile de 1991. La crainte que se crée une « Grande Serbie » a attisé le nationalisme et les premiers affrontements ont eu lieu le 2 mars 1991 entre policiers croates et réservistes serbes, générant guerre et massacres « ethniques ». L’une des façades en bord de mer, vue ce matin, portait cette inscription : « survival 1992 ». Etant serbes, Adriana et sa mère, qui a émigré en France depuis 1963, se sont abstenues de revenir dans cette île durant dix ans. Ils ont demandé à des amis croates de venir régulièrement occuper la maison pour éviter son pillage et sa destruction.

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La fin de l’après-midi voit revenir l’heure du bain. Un grand adolescent musculeux de 16 ans sort d’une maison proche en short, va se plonger dans les vagues quelques minutes, ressort tout ruisselant et part se promener ainsi sans plus de façons. Nous le reverrons au crépuscule, pas plus habillé, tenant par la taille sa blonde. Le couple se montrera aux yeux de tous dans la rue du village, pour s’afficher officiellement, avant de se retirer derrière quelque buisson à l’écart et passer un moment plus intime. Ce naturel méditerranéen me plaît. Les petits se baignent en dernier, les mères tiennent à être présentes pour les surveiller. Mais dès 8 ans, dès qu’ils savent bien nager, ils vivent et plongent en bandes indépendantes. Ils vont joyeux et en culotte tout le jour, libres comme ce jeune Marino tout brun malgré ses cheveux blonds, qui passe et repasse en vélo, vêtu en tout et pour tout d’un slip de l’an dernier devenu trop petit pour son âge. Il plonge dans l’eau, joue quelque temps avec un plus petit, puis repart, dégoulinant encore, sur son vélo, sans écouter le grommellement des grands-mères qui voudraient bien calmer « ce petit sauvage ». Je songe en cet instant que la beauté est tout ce qui fait vivre, tout ce qui célèbre la sève, la vitalité, l’énergie, tout ce qui suggère l’action, même au repos. Un fauve est beau, même affalé et non prêt à bondir, une silhouette d’enfant est belle car sa gracilité promet l’adulte et invite à la protection. La beauté vous prend aux tripes, elle incite, émeut, fait réfléchir, agit aux trois étages de l’humain, des instincts au cœur et à l’intelligence, vous saisissant tout entier. C’est pourquoi je crois profondément que c’est la beauté du monde qui fait vivre.

Une île sans voitures est un paradis d’enfants. Le soir venu, douchés et rhabillés, pour les fillettes de robes légères, pour les garçons de shorts et débardeurs, ils joueront à un jeu fort excitant à les voir, qui rappelle la delo et le cache-cache à la fois. Ils courent parmi les adultes, heureux de leur présence et absents parce que tout à leur jeu, s’élançant, criant, commentant. Avant notre dîner de concombre, riz (laborieusement cuit sur le réchaud indigent), thon et pâté, nous aidons les adultes mâles du village à remettre droit puis à pousser à l’eau de lourdes barques retournées pour leur couche de peinture annuelle. Ces barques sont indispensables, ici car aucune boutique, aucun bistro, n’existent sur cette île. Il n’y pas l’eau courante faute de source suffisante. L’eau à boire est importée en citerne depuis Korcula. L’électricité est cependant installée, même quelques réverbères municipaux, et le téléphone. Nous nous couchons le long de l’église, près de la mer, protégé du passage et des jeux bruyants des enfants qui se poursuivent tard dans la soirée. Presque tout le groupe a monté la tente, moins par « peur des moustiques » (prétexte officiel) que pour, à mon avis, échapper au regard public de ces îles où l’existence se déroule dehors, aux yeux de tous. Je suis le seul à dormir à la belle étoile, à l’air doux où flottent des odeurs de sel et de thym.

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