La ville de NewYorka besoin de grandir, la ville de New YorK s’élève et s’enfonce à la fois, double mouvement vertical, l’un vers le ciel, l’autre, au plus profond de la terre. On jette des ponts par-dessus l’Hudson et on creuse des tunnels sous lui pour y faire passer le métro. Nous sommes en 1916 et la ville grouille d’exilés de toute l’Europe, employés comme ouvriers à cette tâche de bâtisseurs de la métropole dernier cri.
C’est dans ce territoire désolé, obscur, inhumain sous les ponts et dans les tunnels, que se déroule l’histoire de Nathan Walker, un noir du Sud qui épouse une blanche Irlandaise aux cheveux roux dont il aura trois enfants, en dépit du racisme de cette époque. Malgré un travail des plus pénibles étouffant, dangereux, mal payé, mal protégé, Nathan et ses amis sont heureux et solidaires. Ils ont appris à se jouer du vertige et de l’obscurité et courent de poutres en poutrelles comme si de rien n’était. Ils sont devenus des ouvriers acrobates, de vrais artistes dans leur genre et ils en ont conscience et ils en sont fiers. Al’occasion, ils découvrent la trace d’un premier essai de métro datant du XIX e siècle et qui devait égaler la splendeur de celui de Moscou. Mais les accidents de la vie les rattrapent vite et les vies se brisent tandis que New York s’affirme et resplendit de toute sa puissance et sa modernité.
Les personnages, de constructeurs forts et fiers et fraternels redeviennent de simples individus fragilisés qui se replient d’abord sur leurs familles, puis sur leurs camarades et qui finissent par s’enfermer en eux-mêmes, ne comptant plus que sur l’alcool, la drogue, la violence, la folie pour survivre à la misère dans laquelle ils vont sombrer. Les temps sont durs et nulle solidarité sociale ne peut les sauver d’eux-mêmes et de leurs souvenirs douloureux.
On suit le destin de la famille de Nathan sur plusieurs générations, à Harlem, de 1916 à 1991. C’est une grande fresque qui n’a de noir que le réalisme des événements mais que l’auteur magnifie en s’identifiant à chacun de ses héros, en les faisant vivre de l’intérieur, avec leurs rêves et leurs folies. Le monde des clochards que beaucoup sont devenusen est ainsi transfiguré. Ils demeurent pour toujours ces bâtisseurs du ciel qu’ils furent dans leur jeunesse ou que furent leurs pères. Tout leur est bon pour échapper à leur dure réalité.
Ce livre est magnifique, je l’ai lusans songer que le résumé ne meplaisait pas, que la misère dans un roman me fait plutôt fuir, depuis mes lectures de Zola ! La maîtrise de l’auteur quant à la construction de l’intrigue, le traitement des personnages et le style m’ont totalement conquise.
Je viens de me procurer son tout dernier livre, paru le 13 août : « Et que le vaste monde poursuive sa course folle». Il fera partie de mon challenge du 1% littéraire de la rentrée.
Les saisons de la nuit de Colum McCann( Belfond, 1998, 322 pages, traduit de l’anglais (Irlande) par Marie-Claude Peugeot) Titre original : This side of brightness