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Le père de l'Allemand

Publié le 15 août 2009 par Cetaitdemainorg
Depuis que sa femme l'a quitté et que sa fille est partie vivre sa vie à Berlin, Franz se laisse vieillir tout doucement dans son pavillon de la Kaiserstrasse à Hambourg. Un soir, alors qu'il éteint la télévision dans le salon, le téléphone sonne dans sa chambre. Franz regarde l'heure, fronce les sourcils, va décrocher. Une femme se présente, jeune encore, dans un allemand approximatif. Franz dit qu'il s'agit d'une erreur, qu'il y a plusieurs Franz Herbert à Hambourg. La voix insiste, demande un peu de temps pour s'expliquer. Franz s'assoit au bord de son lit, colle le téléphone à son oreille et comprend enfin que la femme l'appelle depuis le Sud Ouest de la France. Peu à peu, son visage se décompose. Ce n'est pas une erreur. L'histoire est vraie. Les dates correspondent. Les lieux et les noms aussi. 1945. L'armée américaine envahit la Ruhr. Sous un hangar, un Polonais qui a choisi de rejoindre Patton, fait l'amour avec un paysanne. Franz la connaît bien, s'égare dans le souvenir de son visage. Au bout du fil, la voix angoissée demande s'il y a toujours quelqu'un. Franz met un temps infini à répondre. La paysanne était sa mère, morte l'an dernier. La Française est sa soeur. Et le Polonais, évidemment, oui, oui, c'est stupéfiant... Mais c'était la guerre, n'est-ce pas ! Des populations jetées sous la mitraille. Du sang. Des larmes. La soeur de Franz prend soudain un ton plus grave, plus vibrant. Il est en train de mourir, dit-elle. Il faudrait que vous veniez. Il voudrait vous voir. Je vous attendrai sur le quai de la gare. Une heure plus tard, dans le silence de la maison, la conversation téléphonique chuchote encore à l'oreille de Franz. Dormir ? Ce n'est même pas la peine d'y songer. Appeler sa fille pour lui annoncer la nouvelle ? Franz ne s'en sent pas capable. Il ouvre le bas du buffet où il range un gros dictionnaire encyclopédique et cherche la carte du Sud Ouest de la France. Il lit ce nom inconnu, mystérieux : Angoulême. Il imagine ce qu'a pu être la vie du Polonais là-bas, si loin. Dans trois jours, il descendra du train en gare d'Angoulême. Sa soeur l'attendra comme convenu sur le quai. Ils se rendront sans tarder à l'hôpital, pousseront doucement la porte d'une chambre. Franz, soixante-quatre ans, connaîtra en fin son père. Mort ou vif. (Histoire vraie, en train de "s'écrire" ; toutes les familles sont romanesques.)

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