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Un sandwich de trop

Publié le 16 août 2009 par H16

Il y a des jours, comme ça, où on ne peut pas, ou on ne veut pas, faire la cuisine. Une baguette ? Du beurre ? Du Jorion ? Et hop, un bon sandwich qui colmate le trou prandial. Et pour ceux qui ne savent pas où se procurer un bon Jorion bien juteux, je ne peux que leur conseiller d'aller voir à la RTBF (l'ORTF belge) qui a été interviewer l'épiphénomène économico-comique. J'avais déjà évoqué cet aimable sexagénaire dans un précédent billet. L'interview qu'il a donnée confirme l'opinion que j'en avais...

Vous permettrez que je me cite, ça me fait des petits gouzi-gouzis et comme ce n'est pas très souvent, j'ai le droit. Voici donc ce que j'en disais en substance, en début d'année :

Jorion est un sympathique trublion de la webosphère proposant un blog chamarré et résolument crisophile. Mais voilà, il est terriblement keynésien, placé dans l'attente humide d'une fracture du système capitaliste et de son remplacement par... autre chose dont on ne sait jamais comment ou de quoi elle sera faite : "la solution est de type New Deal....il faut réaliser de grands projets, mettre le maximum de gens sur les énergies renouvelables, la recherche...". On n'est pas très avancé, si ce n'est, là encore, sur de voies (de garage) malheureusement déjà prises jadis comme ici : "Il est urgent de redistribuer l’argent là où on en a besoin. " Eh oui. La redistribution, qui consiste, en termes plats, à voler certains pour distribuer la rapine, est ainsi nommée parce que pour distribuer, il faut déjà créer de la richesse, richesse que le système proposé est bien en mal de produire...

Je notais aussi que les symptômes étaient correctement évalués, avec quelques problèmes d'interprétation cependant :

Comme bien souvent, on note une bonne analyse des symptômes (une utilisation galopante du crédit), plaquée sur une vision très particulière de la société (d'où les mots "classes" et "lutte" sont à peine cachés) qui donne une solution, toujours la même, désespérante de conformisme, où l'ensemble de l'Humanité serait mue dans un même élan vers un travail sur (au choix ou ensemble) les énergies renouvelables, les grands projets, la recherche, l'industrie médicale. Mais, bizarrement, jamais les biscuits, les OGM, l'industrie automobile ou les iPods.



Bah, c'est, finalement, du socialisme ou, mieux, du marxisme, ni plus ni moins, avec son capitalisme qui s'effondre, sa la luttephase finale afférente, et son auto-allumage où le marxisme fait des papouille au marxisme.

Muni de ce préambule, nous pouvons à présent lire avec avidité l'entretien proposé par la RTBF.

Et il ne faut pas très longtemps pour que notre sociologue / anthropologue enfile ses gros sabots pour nous sortir une pépite. Parlant des traders et de leurs commissions, il déclare ainsi, sans rire :

Le fait qu’ils gagnent de l’argent, pourquoi pas, mais le fait qu’ils le gagnent en puisant cela sur l’économie -et l’économique en ce moment est en très mauvaise santé- c’est de l’argent qui pourrait être utilisé bien plus intelligemment. Dans les opérations qu’eux font et dans les commissions qu’ils touchent... Mais l’argent qui est gagné par quelqu’un il est toujours pris quelque part. Ce n’est pas de l’argent qui a été inventé, qui tombe du ciel. C’est de l’argent qui est puisé sur l’économie.

Soyons clairs : dans ce qui se passe actuellement, il n'a pas tout à fait tort. L'argent qui est distribué à ces traders a été, en partie, injecté par l'état qui s'est d'ailleurs défaussé de cette prise de participation massive en refusant d'entrer au capital des banques. Et cet argent vient des contribuables : maintenant, au travers de l'impôt, et plus tard, au travers de l'impôt qu'il faudra percevoir pour payer la dette créée.

Mais je dis : en partie. Parce qu'entre temps, le trader moyen n'a pas fait qu'attendre, dans un coin, que l'argent arrive directement des caisses du trésor vers son portefeuille. Il a, tout de même, réalisé quelques opérations que certains, audacieux voire téméraires libéraux à haut de forme et mangeurs de prolétaires à leurs moments perdus, iraient jusqu'à qualifier de nécessaires voire fructueuses, comme - par exemple - réaliser des arbitrages et des calculs de risques de certains placements pour le compte de leurs clients, arbitrages qui se seraient révélés (oh!) judicieux.

Et je vais encore plus loin : si, à la limite et en étendant le sens des mots assez largement, spécialité collectiviste assez prisée, on peut admettre qu'une partie de l'argent des contribuables va dans la poche de ces traders, il n'en reste pas moins que, non, mon cher Paul, l'argent gagné par quelqu'un n'est pas, nécessairement, pris quelque part. C'est une vision extrêmement basique de l'économie, dans laquelle, snif snif, il n'y a pas, jamais, de création de richesse (et donc, de façon afférente, d'argent).

Ici se cache plusieurs confusions entre croissance du PIB, création de richesse, et augmentation de la masse monétaire.

Par exemple, ces dernières années, nous avons assisté à des croissances notables du PIB de plus en plus décorrélées de la création de richesse, le financement de cet écart étant pourvu par de la création d'emprunts et de dettes qui, d'ailleurs, ont provoqué la crise dans laquelle nous nous trouvons, crise accentuée dans des proportions invraisemblables par l'augmentation de la masse monétaire qui s'est traduit, elle, par l'inflation soutenue que nous avons subie sur les 10 dernières années.

Alors évidemment, partant de ces confusions, on en retient surtout que, comme l'argent a été distribué, c'est qu'il dépossède quelqu'un. Et qu'il faut bien vite réguler tout ça. Là encore, on repart dans la même chansonnette entendue ailleurs dans laquelle les années passées auraient été une foire de l'argent facile où les règles auraient toutes sauté les unes après les autres. Ce serait drôle si ce n'était pas aussi répétitif.

Et voilà notre Jorion, lancé dans une tirade mémorable où l'on apprend que, structurellement, la classe politique a l’impression qu’elle n’a rien à dire que l’économie, ça lui paraît trop compliqué et du coup ça ne passe pas. D'après lui, tenez-vous bien, l'homme politique n'influe plus du tout sur l'économie. Il est là, hébété, perdu, dans son petit pantalon à pince, tremblotant d'inutilité et de faiblesse devant des experts qui lui fourniraient de fausses informations et le conduiraient à penser qu'il ne peut rien faire.

'sont fourbes, ces experts, hein ?

...

Mon cher Paul, c'est une fable. Joliment amenée, mais une fable tout de même.

Les politiques interviennent sans arrêt dans la sphère économique : les collusions entre l'état et les grandes firmes capitalistes sont légion, et c'est d'ailleurs très piquant de constater que les marxistes sont les premiers à pointer du doigt ces mamours humides entre le pouvoir et l'économie. Alors prétendre ensuite qu'en réalité, le pouvoir n'y comprend rien, c'est dire vraiment tout et son contraire, surtout pour un keynésien indécrottable comme notre ami !

Ca va même plus loin : entre le banquier, qui a de l'argent, et le politique, qui a le pouvoir (notamment d'user de la force), une armée, des médias qui soufflent dans son sens et, moyennant quelques manipulations simples, tout un peuple derrière lui, lequel des deux a le plus à craindre de l'autre ? Soyons sérieux.

Le pouvoir comprend parfaitement où est son intérêt. Et son intérêt n'est certainement pas qu'il y ait la crise et que les cours s'effondrent. Son intérêt est clairement que tout ceci reparte aussi vite que possible, à très court terme, puisque les élections sont toujours de court terme.

Dès lors, l'emballage de la machine s'annonce salutaire pour eux.

Evidemment, ceci revient à mettre le principal de la responsabilité sur les hommes politiques et sur, intrinsèquement, le système de démocratie sociale, et ce, bien avant les financiers, et à chercher des causes structurelles bien plus complexes que la simple désignation d'un coupable ("Les Financiers", "Les Capitalistes", "Les Traders"). Et c'est aussi ce qui explique cette magnifique phrase, avidement resservie par Jorion dans l'interview :

Il y a ce qu’on appelle (vous savez c’est la solution classique, en cas de récession) la privatisation des profits et la socialisation des pertes.

Cette socialisation des pertes, elle profite avant tout ... aux hommes politiques : dire à tout le monde "On n'aidera pas les banques, il y aura des faillites, et l'état ne peut pas aider la brebis galeuse à assumer ses pertes, débrouillez-vous !", pour un élu, ça n'est pas possible. La racine du mal, elle est là.

Et si l'élu ne peut pas dire ça, ce n'est pas parce que les banquiers lui graissent la patte : ils n'en ont pas besoin. D'abord, ça risquerait d'être vu. Ensuite, c'est de l'argent inutilement dépensé. Car l'élu ne peut pas dire ça : s'il le dit, il perd son mandat, ce qui veut dire son pouvoir, et donc, absolument tout intérêt pour lui-même et pour ces banquiers qui veulent être sauvés.

Bref : les politiciens ont parfaitement compris qu'en abondant dans le sens des banquiers, ils gagnaient du pouvoir (ce qui se traduit par la flopitude navrante de nouvelles lois financières aussi inutiles qu'encombrantes).

Et quand on a le pouvoir, l'argent est un colifichet purement décoratif.


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