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Le secret de la médiocrité 4

Publié le 17 août 2009 par Collectifnrv

Le secret de la médiocrité 
En guise de conclusion

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"In girum imus nocte et consumimur igni"
réalisé par Guy Debord en 1978

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s’ouvre sur un plan fixe du photogramme ci-dessus

et la lecture en voix off par Debord, d’un ton posé, monotone et mélancolique,

du texte suivant :

« Je ne ferai dans ce film aucune concession au public.

Plusieurs excellentes raisons justifient, à mes yeux, une telle conduite ; et je vais les dire.

Tout d’abord, il est assez notoire que je n’ai nulle part fait de concessions aux idées dominantes de mon époque, ni à aucun des pouvoirs existants.

Par ailleurs, quelle que soit l’époque, rien d’important ne s’est communiqué en ménageant un public, fût-il composé des contemporains de Périclès ; et, dans le miroir glacé de l’écran, les spectateurs ne voient présentement rien qui évoque les citoyens respectables d’une démocratie.

Voilà  bien l’essentiel : ce public si parfaitement privé de liberté, et qui a tout supporté, mérite moins que tout autre d’être ménagé. Les manipulateurs de la publicité, avec le cynisme traditionnel de ceux qui savent que les gens sont portés à justifier les affronts dont ils ne se vengent pas, lui annoncent aujourd’hui tranquillement que « quand on aime la vie, on va au cinéma ». Mais cette vie et ce cinéma sont également peu de choses ; et c’est par là qu’ils sont effectivement échangeables avec indifférence.

Le public de cinéma, qui n’a jamais été très bourgeois et qui n’est presque plus populaire, est désormais presque entièrement recruté dans une seule couche sociale, du reste devenue large : celle des petits agents spécialisés dans les divers emplois de ces « services » dont le système productif actuel a si impérieusement besoin : gestion, contrôle, entretien, recherche, enseignement, propagande, amusement et pseudo-critique. C’est là suffisamment dire ce qu’ils sont. Il faut compter aussi, bien sûr, dans ce public qui va encore au cinéma, la même espèce quand, plus jeune, elle n’en est qu’au stade d’un apprentissage sommaire de ces diverses tâches d’encadrement. »

Dans une certaine mesure j’ai conçu les trois épisodes précédents comme une médiation, au sens que j’y ai donné à ce terme, destinée à distinguer ce préambule de Debord comme une étape décisive dans le dévoilement du secret qui nous tient en haleine depuis quelques semaines. Le lecteur attentif aura trouvé dans ces trois textes préliminaires quelques éléments de nature à correctement informer son jugement au moment de produire sa propre opinion sur le manifeste de Debord, tel qu’il s’exprime dans le type de représentation que nous avons privilégié : le cinéma.

Debord a très tôt, dès sa période lettriste, choisi de s’intéresser au cinéma , en quelque sorte comme support le mieux adapté au métalangage du spectacle, son objet de prédilection ; et c’est donc pour nous un référent commode, mais ce qui nous intéressera ici c’est que ses positions esthétiques, telles qu’elles s’affirment dix ans après la rédaction de « la société du spectacle » ( également « adapté » par Debord pour le cinéma) , y sont fortement articulées à sa critique générale de la représentation des rapports sociaux , qu’il présentait lui-même comme un approfondissement de la philosophie de Marx.

Il faut également replacer cette démarche de Debord dans son contexte historique, ce qui revient à reconnaître sa profondeur visionnaire. Il publie en effet la « société du spectacle » un an avant le déclenchement des évènements de mai 68 et réalise « in girum » plus de deux ans avant le grand basculement des années 80. Deux moments emblématiques qui constituent des étapes importantes dans le processus d’inversion de la modalité de la médiation tel qu’il a été analysé dans les trois textes précédents. Nul n’a mieux vu et interprété que Debord les processus à l’œuvre en ces périodes, mais « la chouette de Minerve ne prend son vol que la nuit »  et Debord s’est éclipsé au crépuscule.

Trente années plus tard, la chouette est en mesure de nous rapporter la suite, depuis le lent effondrement de la critique sociale , celle des philosophes de circonstances dans la confusion et la délectation morose de leur constructivisme relativiste face aux inepties des nouveaux philosophes, faisant écho à la dilution de la gauche « morale » dans le matérialisme démocratique politiquement indifférencié, jusqu’aux pathétiques gesticulations des « radicaux libres » prêchant « l’émancipation du spectateur » comme palliatif à leur incompétence et leur vacuité conceptuelle.

Nous avions conclu l’épisode précédent en assignant à la conclusion de cette causerie la mission d’identifier les traits caractéristiques qui font de cette modalité actuelle de la médiation ( dont le projet est le « spectateur émancipé » au sein de la « démocratie d’opinion ») une modalité nouvelle dans la mesure ou elle produit des effets nouveaux, tels la « nullité » généralisée (en voie de généralisation) de la représentation spectaculaire et politique.

Or, ce qu’atteste le préambule de « in girum » c’est que ce constat de « nullité » n’en est pas une (de nouveauté), au moins du point de vue de Debord en 1978 et -oserai-je ajouter- de mon point de vue également, car c’est peu après la sortie de « in girum » ( que je n’avais pourtant pas vu à l’époque) que j’ai globalement cessé d’aller au cinéma, et peu avant que j’avais cessé d’en faire.

On peut naturellement objecter qu’une hirondelle ne fait pas le printemps (quand bien même il s’agirait plutôt d’un hiver ténébreux), et deux (hirondelles) pas davantage … peut-être, mais alors « combien d’hirondelles » pour faire de ce constat une vérité, et surtout depuis quand ? 

Pour identifier ce « trait caractéristique » de la modalité actuelle de la nullité, le « quand » et le « comment/pourquoi » qui en détermine l’apparition, nous débouchons donc sur la problématique du degré de vérité, perçu comme plus ou moins élevé ( notamment à la mesure du nombre de témoins qui attestent le fait) selon les périodes.  
J’écarte d’emblée l’explication par le recours au simple « Laudator temporis acti : C'était mieux avant » qui identifierait ce jugement comme induit d’une forme classique de nostalgie, dès lors que ce jugement déploratoire a été proféré ici même par des « juges » qui n’ont pas vécu cet avant , et dont la prise de conscience actuelle donne la mesure de l’évenement dans sa nouvelle et très forte intensité.

Bien plutôt nous avons été amenés, par tous les développements qui ont précédé dans cette causerie, au «moment» où , au terme d’un « renversement » historique et symbolique, l’opinion est devenue la mesure même de l’organisation sociale dans une forme elle-même en phase de propagation hégémonique la «démocratie d’opinion».  
On observera d’ailleurs que Debord, quelques lignes après le passage cité plus haut, a une formulation largement prémonitoire de la modernité de notre temps, car bien plus assurée et manifeste aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a trente ans :

« Ce sont des salariés pauvres qui se croient des propriétaires, des ignorants mystifiés qui se croient instruits, et des morts qui croient voter »

Formulation qu’on rapprochera ( et opposera) opportunément de l’ « axiome » contemporain du spectateur émancipé ( dernier avatar critique, prétendument « de gauche » et « philosophique » de la société du spectacle ) :

« On présupposerait ainsi que les incapables sont capables, qu'il n'y a aucun secret caché de la machine qui les tienne enfermés dans leur position. »

Sans nous attarder à la question pourtant passablement problématique de savoir comment et pourquoi (et quand) les incapables vont devenir capables , dès lors que nous avons traité « préventivement » ce point ( et l’ineptie de « l’émancipation» sous-jacente) sous celui de la médiation nécessaire à la distinction du divers esthétique (comme première condition de possibilité de l’opinion) ; nous allons plutôt mettre en évidence le rapport fondateur entre les ignorants mystifiés et le secret caché de la machine . Ce rapport qui, vous l’aurez deviné, est (enfin) le secret même de la médiocrité, celui de la mystification des ignorants , celui dont nous avons déjà ( voir épisodes précédents) entamé le dévoilement sous la forme de la « médiocrité sans médiation », autrement dit : le marché , la médiation sous le seul ( réduite au ) rapport marchand.

Bref retour à Badiou

Le lecteur attentif ( et patient) des épisodes précédents aura gardé en mémoire la relation nécessaire que nous y avons établi entre la médiocrité ( en tant qu’elle représente la « population moyenne », et son « opinion ») et le concept badiousien de « matérialisme démocratique » désignant la démocratie marchande et représentative, sous la forme politique, économique et institutionnelle du « capitalo-parlementarisme » communément appelé « (neo)libéralisme », fondé sur la consommation, le relativisme des opinions et le filtre politique de la représentation nationale, et pour qui « il n'y a que des corps et des langages », et Badiou ajoute : « sinon qu'il y a des vérités ».  
Pour dire les choses très vite et n’en retenir que ce qui est nécessaire à la compréhension de notre élucidation du secret de la médiocrité (désormais très proche), nous nous contenterons d’informer le lecteur (qui par extraordinaire ne maîtriserait pas encore totalement le système philosophique de Badiou) que Badiou avait initialement développé ces idées dans un livre paru en 1988 « l’être et l’événement » , mais qu’il considéra devoir compléter son système (une ontologie associée à une philosophie de l’histoire) par une théorie de « l’apparaître » dans le « monde » de ces « êtres / vérités » au fil de l’histoire, autrement dit une phénoménologie.  

C’est ce qu’il fit en 2006 avec « Logique des mondes » qui pour reprendre les propres termes de Badiou est « une théorie des intensités de l’apparaître » « quelque chose est dans un monde avec un certain degré d’existence » cette intensité est variable en fonction des « situations » et au final « l’événement est un changement radical d’intensité » sous entendu « dans une situation donnée ».

Pour conclure ce « bref retour à Badiou » et en justifier la convocation dans notre démarche d’élucidation, je citerai un des meilleurs exégètes de Badiou ( Quentin Meillassoux) :

« L’intensité d’apparition d’un étant dans un monde, Badiou la nomme l’existence. 
Ainsi, Badiou tente de montrer qu’une nouveauté n’est pas tant la création à partir de rien de l’être du nouveau, mais, à partir d’un événement qui affole notre savoir ordinaire, la venue au jour intense de quelque chose de déjà-là, mais dont l’existence, l’apparaître, était profondément dénié par la situation. »

Parvenu à ce point, le lecteur, toujours attentif, voit normalement sa longue patience récompensée car il dispose à présent de tous les éléments qui donnent la clef de l’énigme. 
Résumons tout cela … brièvement : 
L’investigation que nous avons entamée sous le jour naissant de la démocratie d’opinion,  
nous a vu passer son matérialisme démocratique au crible de « l’invention de la tragédie » ;  
puis défaire de même l’histoire de son culte de l’opinion et éclairer son caractère profane et contingent à la lumière de l’aube des temps démocratiques ;  
nous avons découvert la mystification produite par la « médiocrité sans médiation »,  
et compris qu’elle attestait un processus d’inversion de la médiation dans le champ de l’opinion, annihilant toute distinction du divers esthétique au profit du rapport social marchand, en charge de la distinction des œuvres parmi leur diversité ( le divers du donné esthétique) à l’exclusion de toute autre détermination; 
enfin nous avons conclu au terme de l’identification du « trait caractéristique » de la modalité actuelle de la nullité, du « quand » et du « comment » qui en détermine l’apparition, qu’il ne s’agissait en fait que de la manifestation d’un degré de vérité, perçu comme plus ou moins élevé selon les périodes, et plus encore les situations. 
Tout ce chemin nous à donc ramenés à la structure ontologique et phénoménologique de la « logique des mondes » de Badiou. 
De même que Badiou explique parfaitement « ce dont Sarkozy est le nom » par le transcendantal pétainiste d’un monde où l’événement du matérialisme démocratique apparaît actuellement avec un degré d’intensité maximal ( notamment sous la forme bouffonne archi-médiatisée) ;  
de même nous pouvons conclure à partir des mêmes schémas conceptuels, et au terme de notre « longue chaîne de raisons » , que la « médiocrité sans médiation », qui caractérise la situation actuelle dans l’ordre de la représentation spectaculaire, sous la forme concrète du marché hégémonique, apparaît avec l’intensité d’un événement sous une forme de nullité (produite) qui n’est rien d’autre que la société du spectacle à un degré de vérité, d’ intensité maximale :

« quelque chose de déjà-là, mais dont l’existence, l’apparaître, était profondément dénié par la situation. »

Comme toujours ( dans une perspective marxiste) ce qui était dénié , comme dans le cas de toute marchandise, c’est le rapport social,  
c’est la marchandise en tant que forme de ce rapport social,  
c’est la représentation spectaculaire en tant que rapport social réduit au rapport marchand ; 
et ce qui apparaît , apparaît dans et conditionné par ce que Badiou désigne par le transcendantal
et ce transcendantal nous venons de voir qu’il correspond, trait pour trait, à « la société du spectacle », telle que Debord l’avait initialement identifiée et décrite. 
Pour se convaincre de ce dernier résultat, il suffira au lecteur scrupuleux de se référer au texte même de Debord , facilement accessibles sur Internet. Parmi bien d’autres, je lui soumets un passage qui caractérise assez bien ce transcendantal spectaculaire :

« Le spectacle, compris dans sa totalité, est à la fois le résultat et le projet du mode de production existant. Il n'est pas un supplément au monde réel, sa décoration surajoutée. Il est le coeur de l'irréalisme de la société réelle. Sous toute ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissements, le spectacle constitue le modèle présent de la vie socialement dominante. Il est l'affirmation omniprésente du choix déjà fait dans la production, et sa consommation corollaire. Forme et contenu du spectacle sont identiquement la justification totale des conditions et des fins du système existant. Le spectacle est aussi la présence permanente de cette justification, en tant qu'occupation de la part principale du temps vécu hors de la production moderne. »

Alors, me direz-vous (du moins les plus attentifs d’entre vous) , « tout ça est bien beau », mais ça ne nous dit pas pourquoi maintenant, aujourd’hui, cette intensité maximale est atteinte .

À quoi je répondrai : mais çà … vous l’avez sous les yeux, devant vous … Simplement comme tout ce qui est de l’ordre du processus historique, à l’instar de l’être social, c’est à dire des rapports sociaux en général, pour le voir « sous » le réel il faut voir son devenir

Debord, en exergue du chapitre II de la Société du spectacle (« La marchandise comme spectacle » ), 
citait Lukàcs :

« Car ce n'est que comme catégorie universelle de l'être social total que la marchandise peut être comprise dans son essence authentique. Ce n'est que dans ce contexte que la réification surgie du rapport marchand acquiert une signification décisive, tant pour l'évolution objective de la société que pour l'attitude des hommes à son égard, pour la soumission de leur conscience aux formes dans lesquelles cette réification s'exprime... Cette soumission s'accroît encore du fait que plus la rationalisation et la mécanisation du processus de travail augmentent, plus l'activité du travailleur perd son caractère d'activité pour devenir une attitude contemplative. »  
(Histoire et conscience de classe).

Ce processus de soumission, sous-jacent à ce qui devient notre être social, s’applique naturellement symétriquement au « spectacle comme marchandise » sous des formes aujourd’hui historiquement repérables et qui ont déjà été clairement repérées, dans cette causerie même, mais aussi par tous les « bons auteurs ». Il faut même une bonne dose d’aveuglement (soigneusement entretenu il est vrai) pour ne pas l’apercevoir dans la réalité concrète de l’économie et de la politique du moment. 
Ce que, à proprement parler, Debord nous montre (dans « In girum »), au moment ou débute à l’approche des années 80 la sinistre période qui prend fin dans le délabrement complet que nous constatons à la mesure de la confusion actuelle, c’est que cette soumission repose d’abord est avant tout sur la nullification de ce que j’ai identifié comme la « médiation de la médiocrité » par le nouvel appareil idéologique, désormais totalement dépourvu de toute dialectique et donc entièrement déterminé par la « libre régulation bienveillante et spontanée » du marché. 
Il y avait sans doute de troublantes résonances prophétiques dans la suite du
préambule d’ « in girum » , très peu conforme à la doxa de l’époque si on se souvient qu’on est alors en 1978, que trois ans encore nous séparent des « années Mitterrand », et  du « programme commun » de gouvernement ( on ne parle pas encore de « gouvernance » en ces temps archaïques ) d’ « union de la gauche », et que dès ses premiers instants, cette période inaugure la forme canonique des temps à venir : le spectacle/simulacre commémoratif. Une modalité de la représentation sociale spectaculaire en forme de « catharsis par procuration » qui va parfaitement accomplir ce que Debord désignait dès le premier chapitre de la société du spectacle en citant Feuerbach :

I. La séparation achevée

« Et sans doute notre temps... préfère l'image à la chose, la copie à l'original, la représentation à  la réalité, l'apparence à l'être... Ce qui est sacré pour lui, ce n'est que l'illusion, mais ce qui est profane, c'est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l'illusion croît, si bien que le comble de l'illusion est aussi pour lui le comble du sacré. »

Feuerbach (Préface à la deuxième édition de L'Essence du christianisme)

Je dis bien dès les premiers instants car on a vu alors , dès l’annonce « médiatisée » de la victoire de Mitterrand, le « jeune » Rocard d’alors (se) figurant un saint just post-moderne convoquer par voie radiovisée,  le « peuple de gauche », le soir même de « sa victoire », à reprendre symboliquement (déjà) la bastille où il saura mobiliser toute son austère éloquence ( hélas désormais réservée aux pingouins) pour annoncer les couleurs chatoyantes du matérialisme démocratique à venir . Une commémoration un peu improvisée (urgence du moment historique), mais immédiatement complétée par le dispositif symbolique (et spectaculaire) plus « construit » de l’auto-panthéonisation  mitterrandienne ( on n’est jamais si bien servi que par soi-même). Et dans la continuité de ces brillants débuts, efficacement secondé par son histrionnant préposé aux festivités spectaculaires, le « prince de l’équivoque » pourvoira d’abondance toute la décennie. C’est ainsi qu’on pourra, au point culminant de l’année 89, jouir du florilège de bienfaits que constituèrent : l’inauguration du Grand Louvre, de l'opéra Bastille, et de la Grande arche de la Défense, et surtout la très symbolique Célébration du bicentenaire de la Révolution française. 
Trois mois plus tard c’était la « Chute du Mur de Berlin », la « fête » était désormais « complète » c’est à dire « mondialisée ».

Vingt ans après …bouclant la boucle, le carrosse s’est quelque peu re-transformé en citrouille à l’image du dernier en date des courtisans zélés du petit pourvoyeur d’hadoperies à talonettes : le neveu du prince défunt (désormais en charge de la « médiocrité sans médiation » pour le compte du prince bouffon), commémorant un autre panthéon sur le mode « décomplexé ».

Et voilà cher lecteur (attentif et patient) comment , au terme de trois décennies de nullification de la médiation, de « déconstruction » opérée successivement par les « intellectuels organiques » puis les « intellectuels spécifiques » , puis les « nouveaux philosophes » en même temps que les « nouveaux anti-philosophes », d’antipsychiatrie en « biopolitique », de « gouvernementalité » en dénonciation de la « barbarie matérialiste », d’athéisme militant en nouvelles spiritualités, les « processus de subjectivation » se multiplièrent  à grands renforts de « dispositifs », de  « réseaux » voire de « rhyzomes », pour affronter les « biopouvoirs » d’une coté et le « totalitarisme collectiviste» de l’autre .Tout ce joli monde postmoderne ,s’affrontant farouchement sur la scène mondaine en une vaste et longue opération à somme nulle, eut au moins ce trait commun unanime : conchier l’archaïque dialectique, aux motifs parfaitement convergents du nietzschéisme de gauche et de la réaction de droite la plus traditionnelle.  Ces conflits pichrocolins , déployant leur transcendantal spectaculaire et opérant dans les limites qu’il leur fixe, eurent le seul résultat téléologiquement assigné par la société du spectacle : la réduction des rapports sociaux aux rapports marchands et leur travestissement spectaculaire.  
Concrètement , pour en arriver à cette réduction il a fallu, au nom du primat falsifié de la liberté, disqualifier « idéologiquement » toute médiation, transmission , ordre, norme, hiérarchie de connaissance et la connaissance elle-même, pour que ne subsiste et ne prospère sur ces décombres que la médiation « spontanée » … du marché. Enfin pouvait « apparaître » le cyborg postmoderne idéal : le « spectateur émancipé », dans toute la nudité « unidimensionnelle » de sa libre déréliction, sur fond de spectacle généralisé et de « concurrence libre et non faussée » de tous les dogmatismes les plus aliénants et les plus rétrogrades.  
Voici donc, chers lecteurs ( du moins le peu qu’il en reste), le secret de l’extension actuelle du domaine de la médiocrité : désormais « décomplexée » , elle n’est plus elle-même, elle n’est plus ce qu’elle était , ontologiquement et « en droit » : elle n’est plus médiocre, au sens où elle ne revendique plus une moyenne ou une majorité mais une totalité

En ces temps nouveaux qui s’ouvrent sous le régime de la « démocratie d’opinion » accomplie et déployant toutes ses conséquences désastreuses, nous avons compris aussi et surtout que la vérité de cet « événement » c’était la révélation, le « dévoilement » final d’une mystification.

Car en dépit du déploiement hégémonique, et d’abord économiquement déterminé, de la médiocrité sans médiation, accaparant toutes les superstructures de la domination idéologique et y imposant les formats normalisés les mieux appropriés à la plus value marchande, c’est à dire le conformisme le plus auto-répétitif possible, garantissant la reproduction des intérêts et privilèges des oligarchies dominantes ;

en dépit de trente années de renforcement du capitalo-parlementarisme démocratiste ;

en dépit de tout cela … la médiocrité ne recouvre pas et ne pourra jamais recouvrir la totalité

Quand la totalité est encore distincte de la médiocrité ( de la moyenne ) une dialectique subsiste, à proprement parler, et l’être social y demeure pensable, imaginable et représentable, à soi-même et mutuellement c’est à dire socialement. La détermination de la médiocrité est, de facto, et comme il a été dit en préambule de cette causerie, une nécessité ontologique, propre à toute multiplicité. Elle ne peut prétendre à englober la totalité sauf à se nier elle-même.

Dans l’ordre de la représentation, l’art subsistera, y compris dans la représentation spectaculaire, car il est précisément le mouvement dialectique d’affirmation , de détermination, par négation dialectique … de la médiocrité.

En bref, au terme de toutes ces considérations plutôt déprimantes, je vous livre quelques résultats très assurés et très réconfortants : la médiocrité est un fait d’expérience nécessaire , plus et mieux encore : nous avons d’autant moins de raison de la redouter qu’elle est la condition d’affirmation, de détermination (négative) du fait artistique.

Tout le problème, tout le corps de situation qui évolue et fait varier avec lui le degré de vérité/apparition de l’art, en rapport inverse du degré de vérité/apparition de la médiocrité, est déterminé par une caractéristique historiquement contingente aux rapports sociaux et singulièrement aux rapports de production. Cette caractéristique se manifeste sous un rapport idéologique mais résulte , en dernière analyse, des rapports de production .


Pour conclure (eh oui !) en revenant, comme il se doit,  à notre cas d’étude concret : le Cinéma, nous voyons aujourd’hui que, là comme ailleurs, le modèle « dominant » est déjà dénié, contredit par des alternatives pratiques qui permettent aujourd’hui de produire des films ( en HD video par exemple) a très faible budget, donc en s’affranchissant des contraintes associées au mode dominant de production. Cependant la domination demeure assurée par le biais des médiations opérant la distinction : la diffusion et la « communication », étapes du processus économique assurant le degré de « visibilité » de l’œuvre, c’est à dire son degré « d’existence » comme nous avons vu plus haut. In fine et au point où nous en sommes c’est l’étape de « communication » qui demeure le seul obstacle durable car la longue période qui s’achève a largement décimé les rangs des médiateurs « capables » et autonomes.

Les « maîtres » qui peuplent la « démocratie d’opinion » , fruits de la longue « déconstruction » évoquée plus haut, sont bel est bien des maîtres ignorants, parfaitement conformes à l’idéal des sectateurs de « l’émancipation du spectateur » qui candidement l’appellent encore de leurs voeux ( sans même s’apercevoir que leur « vœu pieux » est exaucé de longue date). 
C’est pourquoi un dernier passage du texte qui à ouvert cette conclusion :

« Au réalisme et aux accomplissements de ce fameux système, on peut déjà connaître les capacités personnelles des exécutants qu’il a formés. Et en effet ceux-ci se trompent sur tout, et ne peuvent que déraisonner sur des mensonges. Ce sont des salariés pauvres qui se croient des propriétaires, des ignorants mystifiés qui se croient instruits, et des morts qui croient voter. »

en éclairant l’inéluctable effondrement en cours de ce régime de mystification, déjà visible , m’incite à laisser la conclusion à un indécrottable et sympathique optimiste :

Daniel Bensaïd  « :Quant à la distinction entre « événement » et simulacre ou anecdote médiatique, j’en dirai deux choses. Il y a une théorie formelle de cette distinction, complètement déployée [par Badiou] dans Logiques des mondes. Cette théorie concerne l’intensité d’apparition et la nature logique des conséquences. Mais il est vrai cependant que la formalisation venant toujours tard, il y a une dimension de pari, d’absence de garantie, qu’on ne peut éliminer. Le militant l’est à ses propres risques, même s’il consolide, chemin faisant, les raisons de tenir ce qu’il soutient pour fondé. »

Urbain

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