Magazine

Ecrire pour les imbéciles, par Gérard Larnac

Publié le 20 août 2009 par Gerard

Ecrire pour les imbéciles

« Quiconque écrit pour les imbéciles ne manquera jamais de lecteurs »

- Schopenhauer -


Ecrire pour les imbéciles, par Gérard Larnac
 

 

 

Stratégie des Lettres, stratégie du Livre


Le roman français fait penser au Titanic juste après l’iceberg, quand chacun se congratule, s’éponge le front en essayant de conserver un air supérieur, croyant tout danger écarté, tandis que le bâtiment, silencieusement, a déjà entamé son naufrage.


Depuis que les avant-gardes ont été prudemment reléguées aux oubliettes au prétexte un peu court de formalisme excessif (comme si la forme n’était pas le sens), c’est le roman « pompier » qui partout triomphe : en pile dans les gares, les supermarchés et, plus graves, chez les libraires eux-mêmes – jusque dans la critique, dont on ne sait plus trop ni ce qu’elle est ni à quoi elle sert.


J’appelle (pour rire, car il faut rire) « roman pompier » tout récit sans audace, tape à l’oeil, convenu, complaisant envers son auteur comme envers l’industrie dont il est le produit. Force est de le constater : jamais la marquise n’est autant sortie à cinq heures, même si les substances dont elle se repoudre le nez ont passablement changé depuis le roman bourgeois du XIXème. Pourtant le public semble lassé de cela aussi, optant de plus en plus pour les surprises rafraîchissantes, décalantes, des traductions venues du monde entier. Il va bien falloir trouver autre chose. Le roman pompier est un produit d’appel de moins en moins efficace. Les séries tévé et les magazines peoples l’ont déjà remplacé.


La rupture est désormais clairement consommée entre d’un côté la production artistique d’un texte, fondée sur une logique de singularité cinglante, d’écart frappant et de rareté, et de l’autre la production d’un livre, fondée, elle, sur une logique de commercialité de masse, de répétition inlassable des « formules gagnantes », pour ne pas dire de psittacisme. Stratégie du Livre contre stratégie des Lettres. Le commerce est consensus quand l’art est dissensus ; jusqu’où les deux registres peuvent-ils se rencontrer sans se nuire, là est toute la question, en ces temps où l’édition se concentre de plus en plus. Question du reste qui semble tranchée, tant le marketing est devenu emblématique de notre scintillante hyper-modernité globalisée et ne pose plus problème à quiconque, bien au contraire. Ni vrai ni faux, il possède cette « légèreté » qui prévaut partout ; cette doucereuse vaporisation inquestionnable de soi qui tient lieu aujourd’hui de bonheur. Alors bon ou mauvais, qu’importe, si le livre est nouveau et susceptible de faire parler de lui.

La production du livre s’est banalisée. Techniquement, chacun peut désormais devenir son propre éditeur – et l’on annonce déjà qu’aux Etats-Unis, le chiffre d’affaires de l’autoédition est en passe de supplanter celui de l’édition traditionnelle. Un galop d’essai peut être réalisé par blog ou site interposés, assurant à l’auteur un public immédiat, ainsi que des commentaires utiles à ses corrections.

 


Tous écrivains !  


Il faut également tenir compte d’une mutation sociologique considérable, qui fait de chaque individu un auteur potentiel : compétence culturelle (80% d’une classe d’âge obtient désormais le bac), facilité temporelle (dans la société des loisirs, chacun dispose matériellement d’assez de temps pour écrire un livre), aisance rédactionnelle (traitement de texte), facilité de recherche (avec Internet vous maîtrisez un vocabulaire spécialisé en cinq minutes et enrichissez sans effort l’effet de réalité de votre récit, là où autrefois de fastidieuses recherches s’avéraient nécessaires), ...


A cette facilité grandissante pour écrire puis publier un livre s’oppose cependant un temps médiatique qui efface tout ce qu’il attrape et brouille les pistes. Vite vu, vite oublié, vite remplacé dans le sani-broyeur de l’actualité, le livre n’a plus pour horizon une « histoire littéraire » mais une courte effervescence médiatique qui suffit parfois pour faire un succès commercial. Et à peine un auteur vient-il présenter sa dernière production qu’on l’interroge déjà sur le prochain, tant l’événement de sa mise en lumière éclipse la chose exposée et la question même de son apparition...


Le livre, objet narcissique : en France, tout homme politique, dans sa quête ou reconquête du pouvoir, commence par publier un livre. Plus de gens veulent écrire des livres au moment même où ils sont moins nombreux à vouloir les lire. L’autorité du livre est menacée : on lit moins, les livres font moins référence durant les études et la recherche du plaisir passe par d’autres canaux, plus directement interactifs. Dominent dans ce paysage les nouveaux media de la compétence sociale, de la relation : téléphones mobiles, blogs, tchat et autres réseaux sociaux, nouveaux vecteurs de l’autofiction, de l’intimité partagée et du commentaire sans fin. Une graphomanie autiste, nerveuse et satisfaite submerge la vieille littérature à laquelle elle prétend même, parfois, se substituer.


Milan Kundera déjà, dans Le Livre du rire et de l’oubli, sorti chez Gallimard en 1979, a ces mots prophétiques :

« La graphomanie (manie d’écrire des livres) prend fatalement les proportions d’une épidémie lorsque le développement de la société réalise trois conditions fondamentales :

-   un niveau élevé de bien-être général, qui permet aux gens de se consacrer à une activité inutile ;

-   un haut degré d’atomisation de la vie sociale et, par conséquent, d’isolement général des individus ;

-   le manque radical de grands changements sociaux dans la vie interne d’une nation (de ce point de vue, il me paraît symptomatique qu’en France où il ne se passe pratiquement rien le pourcentage d’écrivains soit vingt fois plus élevé qu’en Israël… Le moteur qui pousse à écrire, c’est justement cette absence de contenu vital, ce vide).

« Mais l’effet, par un choc en retour, se répercute sur la cause. L’isolement général engendre la graphomanie, et la graphomanie généralisée renforce et aggrave à son tour l’isolement. L’invention de la presse à imprimer a jadis permis aux hommes de se comprendre mutuellement. A l’ère de la graphomanie universelle, le fait d’écrire des livres prend un sens opposé : chacun s’entoure de ses propres mots comme d’un mur de miroirs qui ne laisse filtrer aucune voix du dehors ».


Et Kundera de conclure lugubrement : « Quand un jour (et cela sera pour bientôt) tout homme s’éveillera écrivain, le temps sera venu de la surdité et de l’incompréhension universelles ».

 


Triomphe du hors-texte


Le capital symbolique lié à la publication d’un livre n’ayant, pour l’instant du moins, pas fléchi, il est logique d’assister à une surproduction de manuscrits. Quoi qu’il faille désormais prendre ce mot avec des pincettes : un manuscrit était naguère objet secret, intime encore, qui n’accédait à la lumière qu’après le nécessaire travail de l’éditeur, du directeur littéraire, du relecteur, du correcteur. Aujourd’hui apparaît un objet qui n’a pas de nom encore (mais doit-il en avoir un), un hybride entre le manuscrit et le livre qui accède prématurément à un public, sans passer par les étapes de validation et de correction. Un manulivre ? Un avant-livre ? Léo Scheer parle de M@nuscrit. Le principe de cette collection, pour autant qu’il existe : publier tout texte reçu sur le site internet de la maison d’édition, sans distinction, puis faire noter les textes par les visiteurs. Enfin, publier le « Top Ten » en livres de librairie ; le blog de l’éditeur tenant lieu à la fois d’entretien du réseau, de forum critique et d’organe promotionnel. Tout ça s’accorde plutôt bien avec l’ère de la télé-réalité : une même vox populi modèle en permanence le cours du jeu. Mais disparaît là le précieux engagement de l’éditeur envers un auteur, ainsi que son accompagnement presque toujours nécessaire vers un texte achevé. Dès lors, qu’elle est la valeur ajoutée de l’éditeur ? Sous couvert de modernité (la fascination devant une nouvelle technique étant à peu près aussi improductive que l’indifférence absolue), de telles initiatives apprennent surtout au monde des livres à se passer d’éditeur. Et là, danger : entre les promesses de l’autoédition, l’émergence des agents littéraires et les impératifs commerciaux de son diffuseur (dont les effets se font sentir jusque dans ses choix esthétiques), il est au contraire de première nécessité que l’éditeur valorise pleinement le rôle fondateur qui est le sien. C’est l’art du parti pris, du risque seul contre tous, de la découverte solitaire et de l’entêtement qui faisait naguère tout le prix du métier. Concentration aidant, le livre tend à devenir un produit comme un autre pour lequel le retour sur investissement doit être le plus rapide possible. Or le temps du livre n’est pas le temps du strict libéralisme économique. Si ce dernier suffit au livre jetable, en revanche il n’entre pas dans sa logique d’incuber des livres plus exigeants.


Ce n’est pas l’innovation numérique en soi qui est porteuse de sens, mais son inscription dans une époque donnée. L’ère numérique vient accélérer, certes en la modifiant, une mutation plus générale de la lecture. Télévision, vidéo et internet sont socialement mieux insérés dans le temps disponible du public que le livre. Leur rendement émotionnel est bien supérieur. L’acte de lecture est désormais pénalisé en ce qu’il tend à représenter un investissement démesuré, en termes de temps et de concentration. Les nouveaux modes d’échanges sociaux et d’acquisitions de l’information représentent de nouveaux terrains d’aventure : sur le net ou à travers les jeux vidéos se développent des capacités inédites telles que l’affordance (capacité à réagir instantanément à un nuage d’informations avec un maximum d’efficacité), ou encore l’aptitude à acquérir très vite des repères dans un univers dont on ignore les règles, etc. Le monde de l’édition en est encore à croire à une simple révolution des supports (web, blog, e-book, réseaux sociaux de type My Space ou Facebook) quand c’est la notion même de lecture qui est en pleine dislocation-recomposition…


La dernière folie nippone ? Les keitai shousetsu, autofictions à épisodes rédigés sur téléphone mobile par mademoiselle tout le monde, puis accessibles à tous depuis des sites serveurs. Cette « sms littérature » est éditée ensuite en livres par les plus sérieuses maisons d’édition japonaises, avec des scores de vente impressionnants. Ce type de roman-trou de serrure a certes toujours existé, mais il paraît aujourd’hui vital pour le public. Pourquoi ? Pour la même raison qui pousse les spectateurs à regarder les émissions de télé-réalité. La société n’offre plus de repères structurant dans l’espace collectif : donc retour à soi. Ses repères, on va les chercher en regardant comment se débrouillent nos alter ego, en partageant avec eux nos propres façons d’agir. C’est un processus de voyeurisme sans fin qui possède la vertu de l’échange d’expérience, mais aussi un danger majeur : réduire l’existence tout entière à la bande moyenne, et ce de façon puissamment normative. La liberté individuelle n’en sort pas indemne. La banalité connaît-elle une masse critique au-delà de laquelle elle change d’état ?


L’eau de rose s’est recyclée dans la mode tranquille de l’autofiction, même si les états d’âme s’épanchent désormais plus volontiers sous forme d’états de corps. Le lecteur n’entend rien découvrir, seulement se trouver conforté dans son mode d’être par l’exemplarité de cet autre qui se donne à voir, l’auteur. Délice que de plonger dans la pure suffisance de n’avoir rien à changer à sa propre existence. Auto-hallucination.


Bien sûr un succès ne se programme pas. Mais ses conditions se préparent. Vous voilà donc wannabee, selon ce mot détestable désormais à la mode : un « qui veut être » écrivain. Si possible arrangez-vous pour être au centre d’une petite « polémique » au moment de la sortie du livre : ça aide. Mais avant cela, écrire, hélas. Vous aurez donc soin de choisir un bon gros sujet bien dramatique, gros titre surmédiatisé de l’actualité récente. Ou un sujet bien lourdement pathétique (votre cancer, ou la mort de votre enfant) que naturellement vous traiterez « sans pathos »[1], comme on dit. Sans pathos, c’est-à-dire d’une écriture qu’un magnétophone suffit amplement à recueillir et qui ne nécessite généralement aucun travail sur la langue. Méfiez-vous du style. Le style c’est l’homme. Ici il n’est plus question d’homme, mais de marketing. Bref renoncez à toutes les raisons que vous aviez d’être écrivain. Le succès ne viendra pas de la singularité de votre voix (L’écart ? La marge ? La nouveauté ? Vous ne seriez pas suivi) mais au contraire de votre capacité à faire croire que vous êtes « comme tout le monde ». Ecrivez donc le roman de « tout le monde ». Avec juste ce petit élancement au fond de l'âme qui vous vient de votre propre résignation.


Pas si étonnant, au fond, le triste constat de Gilles Deleuze[2] : « La littérature française est souvent l’éloge le plus éhonté de la névrose (…). Une terrible manie de juger et d’être jugé traverse cette littérature : il y a trop d’hystériques parmi ces écrivains et leurs personnages ».


Ce qui ne rentre pas dans les Lettres françaises : l’inclassable, le marginal, l’implicite, l’ambigu, le paradoxal, le non dit, le silencieux, l’étrangeté, le lointain, le tout autre, le mouvant, le nomade, l’indistinct, l’indifférencié, le divers, l’hétérogène, le baroque. Oui, parfaite en notre lumineux Descartes quand il s’agit de flanquer les religieux à la porte pour laisser entrer la Raison, notre langue française ne fonctionne que trop par ses bords les plus tranchants, nous faisant perdre beaucoup de la compréhension des choses dès lors qu’elles échappent à la surdétermination de notre langage hérité. Notre langue fait la part belle au substantif, mais pas aux dimensions multiples qui lient les substances entre elles : elle est sensuelle mais peu rencontrante. Gourmande mais immobile. Tout ça sent le renfermé. L’anglais, pour ne parler que de lui, file mieux.


Savoir ce qui « fait texte » aujourd'hui ; ce qui distingue, signe une littérature. La pure subjectivité ? La charge « lexico-syntaxique » ? L'émoi pour « femmes de chambre », comme disait Stendhal ? L'effet pile des grandes surfaces ? La force du pedigree (le « qui » de l'auteur et de ses réseaux l'emportant sur le « quoi » littéraire) ? Le hors-texte triomphe du texte. Trop de récits se donnent par simple ressemblance à ce qu'un récit est supposé être. Nous sommes dans une ère parodique. Des romans parodiques. Des semblances d’auteurs. Une simili littérature. Des robinets d’eau tiède qui prétendent nous faire entendre l’Océan. Des cheminées d’agrément qui se prennent pour des volcans.

D’où repartir ? D'après Laurent Jenny[3] le caractère essentiel de toute énonciation littéraire serait « l’aptitude à faire sens au-delà de son immédiateté ». Ce qui fonde une littérature : « Une densité d’implicite qui en fait une ressource de sens à venir. Et cela tient directement à sa qualité esthétique. Effectivement, une œuvre littéraire ne se contente pas de dire. Parce qu’elle a une forme, comme toutes les œuvres d’art, elle signifie également par cette forme, non pas sur le mode du dire mais sur celui du montrer. Elle montre un savoir perceptif, social, politique, moral, que pourtant elle ne dit pas ».


Une “littérature-monde” ?


« Je suis du monde », dit Montaigne. Faire le tour, mais vraiment, d’une telle pensée, prend du temps. Une vie, sans doute. Vous jette sur les routes. Pour remailler, pas à pas, cette appartenance-là. Certains font de ce voyage-là la matière de leurs livres (c’est mon cas), d’autres pas.


Depuis une vingtaine d’années, autour du Festival Etonnants Voyageurs (Saint-Malo) et forte de plusieurs manifestes, la littérature-monde a fait une entrée remarquée dans l’univers feutré des Belles Lettres. Sous l’impulsion de Michel Le Bris[4], ce mouvement qui regroupe des écrivains aux profils pourtant bien dissemblables entend renouveler une littérature française souvent présentée par lui comme exsangue, en bout de course. Le formalisme des années Nouveau Roman, lié aux névroses à tendance graphomaniaque de l’autofiction, serait cause de cette déchéance. La littérature-monde, faisant un curieux détour par la francophonie (pourquoi la francophonie, si elle est « monde » ?), mais aussi le polar et le roman d’aventure, serait le champ du renouveau.


Michel Le Bris : « La littérature au sens fort c’est celle qui nous dit de manière irremplaçable quelque chose du monde. Or la littérature française a perdu sa capacité à dire le monde. La littérature de voyage est un des moyens pour retrouver le monde. La sclérose de la littérature institutionnelle impose des détours par les marges. Il y a en France une incompréhension devant la littérature à l’anglo-saxonne, qui se considère avant tout comme une forme ouverte où  peuvent se mêler dans un même ouvrage récit, essai, reportage… Il s’agit de dire le monde sous toutes ses formes.  Ces livres échappent aux classifications ordinaires »[5].


Récemment paraissait, de Camille de Toledo, un essai plaisamment intitulé : « Visiter le Flurkistan, ou les illusions de la littérature-monde »[6]. L'auteur y décrit cette fameuse littérature-monde en musique d’ascenseur, style « musiques du monde ». Il n’a pas tort. La littérature-monde n'est pas sans tâche. Les relents coloniaux des débuts ne plaident pas en sa faveur. On se souvient de l’ignoble exotisme à la Pierre Loti[7], de cette crapule de Segalen pour qui la mule valait toujours plus que le sherpa. Quant aux tartarinades convenues du chasseur d’horizon, chacun peut désormais en narrer d’identiques. La distinction sociale et le ricanement vacancier ont fait du voyage un motif aux charmes démystifiés, accessibles, banalisés - donc de plus en plus difficile à saisir en termes littéraires.  


L’opération « Littérature de voyage » a constitué une habile tentative de se tenir à équidistance du roman bourgeois, aveugle à la diversité sociale de son temps, et de l’écriture avant-gardiste, parfois un peu perdue en elle-même. Mais en ne provoquant pas la venue de formes ni d’exigences nouvelles, ce mouvement s’est enfermé dans le roman d’aventure et le récit conventionnel ; en n’anticipant pas sa propre fatigue (car de nos jours qui n’est pas voyageur), elle n’a pas été à même de renouveler en le subvertissant le « travel writing » anglo-saxon auquel elle doit son origine.

Du reste une littérature s’épuiserait vite à n’être que de « voyage ». « Segalen n’est pas devenu Segalen parce qu’il s’est déplacé ; ses déplacements n’ont du sens que parce qu’il disposait d’un imaginaire sensible au Divers du monde », écrit Patrick Chamoiseau[8]. Nos « Etonnants Voyageurs » sont une joviale flibuste pour rire. Une escale indispensable – mais qui ne doit pas nous arrêter en si bon chemin.


Et quitte à prendre cette direction, plutôt mettre nos pas dans ceux de l’auguste Montaigne.

 Les contre-feux du roman pompier

Alors que la plupart des suppléments littéraires des quotidiens américains disparaissent les uns après les autres, le journal Le Monde, cherchant à redonner de l’influence à son cahier « Livres », organise depuis trois ans à la Villa Gillet de Lyon les Assises internationales du Roman. Sa première édition avait pour thème : « Comment le roman contemporain s’empare-t-il du réel ? ». Une sorte de contre-feu pour minimiser le succès populaire du Festival Etonnants Voyageurs ; pour imposer l’idée que le roman, autre que voyageur, sait lui aussi, selon le sujet même des premières assises, « dire le réel ».


L’unique question, au fond, que pose la publication d’un livre, un vrai, c’est : « dans quel état va-t-il laisser la littérature ? Et que va-t-il se passer, maintenant, pour elle ? » Or on sait que la forme romanesque est morte au cours de la seconde moitié du XX ème siècle, quand fut digérée la leçon magistrale des Joyce, Musil, Proust et autre Faulkner. Qu’il ne se survit de façon posthume que sous la forme économique d’une industrie du roman sans grand rapport avec un quelconque « art littéraire ».


En tournant le dos aux avant-gardes, en optant résolument pour des textes sans brio relevant d’une production sans audace, le roman français a perdu peu à peu toute nécessité. « Ce n'est pas parce qu'on publie des milliers de romans que le roman est encore d'actualité, rappelle Michel Butor dans une interview récente. En profondeur le roman est dépassé. Il était lié au livre comme mode de lecture. Aujourd'hui nous lisons autrement (hypertexte, textes mobiles...). »

Bien sûr le roman dit encore quelque chose du réel : entre le déjà plus et le pas encore, il dit l’interminable agonie de la forme régressive à laquelle il s’accroche. Il dit une survivance contre nature, un art désormais aussi conventionnel que ces chansonnettes que le pouvoir commandait naguère aux vedettes du show-business pour administrer au peuple la dose d’analgésique nécessaire au maintien de la paix sociale.


 

Autour de trois « figures du dehors » : Michel Butor, Kenneth White, Edouard Glissant


Sortir de l’hallucination solipsiste : voilà l’urgence.


Par mille détours, mille fragments brisés, maladresses et incompétences comprises, je descends de ce que Goethe, bien sûr, appelait Weltliteratur : une Littérature Monde. Ce goût de l’étrangeté allié à un sens profond de l’hospitalité. Un thé au Sahara : ce qui à la fois est lointain, est accueil. Cet autre sous ma langue. Ce moi-même sous la langue de l’autre. Ce loin, cet accueil : la vie même - en son essentiel remuement.


Ce monde est un monde en route. C'est pourquoi le nomade, la culture nomade, a toujours, par rapport au sédentaire, une compréhension d'avance, une responsabilité de plus. Les Hébreux étaient peuple nomade ; Christ était un vagabond ; le Bouddha de l'Asie un homme en chemin ; quant au Tao des Chinois, il signifie « la Voie ». Tout vient chemin faisant. Tout vient à l'homme qui marche. Un homme en chemin : c'est exactement ce que voulait dire ce vieux Grec d'Héraclite lorsqu'il y a plus de 2500 ans il inventa le terme de philosophe : non pas celui qui possède, à la manière d'un propriétaire terrien, un savoir intangible ; mais celui qui est en route, celui qui ose se frotter à l'ensemble des savoirs et des saveurs, qui accepte d'exposer pleinement son esprit au vent froid, à la pluie des voyages – à la tétanie du hors-moi. La vérité elle-même est fille des routes. Pour autant la figure de l'errant n'a pas bonne presse. La raison occidentale s'est construite au contraire contre le hasard et l'errance, qu’elle confond encore avec les errements. Et tout ce néo-nomadisme technologique et friqué dont on nous rebat les oreilles n’est qu’une façon de plus d’effacer, bien sûr, toute trace des cultures véritablement nomades.


Les nobles avaient jadis « le Grand Tour » pour parachever leur formation de jeunesse. On se rendait de capitale en capitale, de palais en palais, reçu par « le meilleur monde ». Mais soudain autre chose est en jeu. Nerval part vers l’Orient. Rimbaud est au Harrar. Segalen en Chine. Cendrars se rend à Cayenne. Le monde n’est plus ce qui retient et environne, mais cette promesse au loin, mais cet emportement. Au tournant du XXème siècle, Valéry Larbaud, prenant acte de la mutation en cours, parle du « sentiment géographique moderne ». On chante les transatlantiques, les aéroplanes, le transsibérien. La rencontre avec le monde se fait le plus souvent dans le cadre colonial de voyages luxueux. Mais pas toujours. La bourlingue devient alors une sortie sociale : un total lâcher prise, un déconditionnement. En ce sens le voyage remet en question les usages, les dogmes, les mœurs, les croyances – la langue originaire, aussi. En une complète subversion des valeurs héritées.


Lorsque Rimbaud s'écrie : « Je est un Autre », c'est toute la culture classique, fondée sur la prééminence du sujet triomphant, qui s'effondre - ou plutôt qui est dépassée. Rimbaud, voyageur rare du Harrar, ne dit pas : « Je suis un Autre ». Nulle schizophrénie. Nulle appropriation ni arraisonnement. Le voyage dans l’étrangeté du « Je » ouvre au cœur de l’être une fissure jusqu’au blanc : le centre possibiliste des différences, des écarts. De toute altérité. La crise de l’identité transforme le  « Je » en « jeu » ; elle le dissout en l’amplifiant, elle le construit à partir de son éclipse, elle le renforce de toute la puissance de son évanescence. La singularité a retrouvé l’universel véritable, seul point à partir duquel la rencontre avec les humanités devient possible. L’un s’est enfin rejoint lui-même à travers les diversités sans cesse proliférantes.


Une profonde mutation de l’intériorité est en cours. La poésie de l’introspection a fait long feu. Désormais il s’agit d’horizon large, de plafond haut. Une pensée hauturière. Et cette mutation continue de nos jours : dans le contexte claustrophobe de l’enfermement dans le monde-un de la globalisation, sur un globe aux dimensions réduites mais aux migrations infinies, une nouvelle Weltliteratur est en gésine. Débordant l’aigre discours du moi. De partout. L’autofiction ? Au mieux un entêtement de vieille fille !


Le pas du voyageur entraîne à sa suite des techniques d'écritures qui relèvent d'un écart disloquant vis-à-vis des littératures convenues, créolise l'art d'écrire en le rendant à sa diversité, à sa fragmentation originaires, à son profond mouvement d’équinoxe. Nicolas Bouvier, parmi d’autres, expérimenta une telle écriture : « Pour moi quand l’écriture approche de ce qu’elle devrait être, elle ressemble comme une sœur au voyage, parce que, comme lui, elle est un exercice de disparition. Elle n’est certes pas l’affirmation de la personnalité mais au contraire, sa dilution consentie au profit d’une réalité qu’il faut rejoindre : faire si bien un avec les choses qu’on puisse ensuite prétendre parler en leur nom. Exercice d’humilité et d’escamotage assez ardu mais auquel il n’est pas interdit de se livrer avec humour. Cela, en tout cas, aiderait »[9] .


Cette autre « littérature-monde » n’a aucun rapport avec un quelconque retour au récit, au roman d’aventure ni au charisme infantile de ses héros. Elle n’a ni forme ni langue définie car elle est voyage vers la forme, voyage vers la langue – littérature sans cesse à venir. Ce qui se joue est de toute autre ampleur. Michel Butor, Kenneth White, Edouard Glissant sont aujourd’hui les voix les plus puissantes de cette littérature des dehors. Oui, des poètes. Chez qui les récits remontent aux sources de tout récit possible. Leur parole est ample, elle accroche le divers. En elle l’ouverture de ce qui fait signe, l’emportement de ce qui vient.


« Le romancier sait que son inspiration, c’est le monde lui-même en train de changer, et qu’il n’en est qu’un moment, un fragment situé dans un endroit privilégié, par qui, par où l’accession des choses à la parole va avoir lieu »[10].


Michel Butor raconte comment, à l'issue d'un voyage aux Etats-Unis, en 1960, il a subitement abandonné le roman, fut-il « nouveau », convaincu qu'il s'agissait là d'une forme dépassée (Tiens tiens : le roman serait-il donc soluble dans le voyage ?). Il se mit alors à écrire, de son propre aveu, « des livres très étranges », « cherchant une façon de raconter le monde ». Le premier de ce nouveau cycle créatif sera Mobile, le bien nommé[11]. Puis le travail avec les artistes, les peintres, les photographes, orienta son écriture vers la poésie. Au-delà du roman, passée la frontière, hors des limites – toujours en chemin.  


Kenneth White, lui, a eu recours au néologisme de « géopoésie » et utilise volontiers l’expression de « nomadisme intellectuel ».  « Je n’aime pas cette idée selon laquelle on est enfermé dans notre petite personne, notre cinéma mental, et qu’on « s’exprime ». Non. Il y a un monde à dire. Un monde, là-dehors »[12].


A cet égard son anti-poème Matin de neige à Montréal [13]vaut manifeste :


Certains poèmes n’ont pas de titre
Ce titre n’a pas de poème
Tout est là-dehors


Je me souviens qu’au cours d’une visite que je rendis autrefois au poète, en son ermitage de Gwenved, sur le rivage de granit rose, il m’avait raconté le rêve qu’il venait de faire la nuit précédente et dont il gardait un souvenir reconnaissant. Il s’était vu revenir de voyage sans rien d’autre qu’un carnet de notes. Ce carnet avait ceci de particulier qu’il était vide. Lorsqu’on l’ouvrait, on entendait seulement le murmure d’une rivière, et le vent…


Quant à Edouard Glissant, il élabore chemin faisant la notion de Tout-Monde. Cette impression d’être avec Glissant là où ça joue, où ça bifurque. Voici que le discours reprend vigueur, depuis les périphéries justement, par la vitesse de ce qui lui revient depuis ses propres loins si longtemps méprisés. Les langues cassées se ressoudent, se remaillent à désordre compté. La vieille souche fracassée pousse loin ses surgeons, ses rejets, pour un grand inattendu de langue nouvelle, une belle orgie de verbe activé. Bariolée de monde-un, du bouillonnement des humanités sans fin proliférantes, sans fin disséminantes. Une langue qui crépite comme l’averse à la saison des pluies. « La beauté n’est plus la perfection des essences, mais le rayonnement des différences qui s’accordent. Nous pensions que ce qui était beau c’était ce qui était égal à lui-même. Ce n’est plus vrai. Aujourd’hui il y a une beauté particulière parce que les différences se rencontrent. Et ceci est tout à fait nouveau »[14].


Il faut pour y déceler des éclairs de beauté que la chose s’éloigne d’elle-même, qu’elle revienne à elle par mille diversités désassemblée – sur l’arête vive de cet instant de retour, là paraît la beauté nouvelle de ce monde, chargée de bien d’autres mémoires, de bien d’autres ailleurs, de bien d’autres elle-même.

 

Pour conclusion ouverte


Les centres qui structuraient hier encore nos existences se sont vidés de leur sens : la ville (11 septembre), le système (crise financière, sociale, civilisationnelle), etc. A cette explosion des valeurs traditionnelles centrales répond le retour des périphéries – ce que les cultures impérialistes centralisées ont maintenu en marge (peuples premiers, aborigènes, anciennes colonies, territoires d’outre-mer...). De nouvelles relations se nouent en réseau, de lisière à lisière. L’avenir ne se joue plus au centre mais à la périphérie. Nous sommes pour la première fois dans l’Histoire de l’Homme, entrés collectivement dans un monde d’intenses migrations. Migrations des cultures, des idées et des hommes. D’ici 2050, un milliard d’hommes aura changé de pays. Période de Rencontre à une échelle jamais vue, de grands mélanges. L’avenir est au brassage fécond et accéléré des altérités ; sinon de grands dangers nous menacent. Car ce mouvement génère naturellement un front du refus : repli identitaire, fondamentalisme religieux. Le monde qui vient est un monde métisse, créole. C’est une rupture civilisationnelle sans précédent qui se prépare. Ce phénomène de créolisation, pour Chamoiseau, « nourrira d’étonnants poètes du Divers, errants d’une autre connaissance »[15].


Si nous avons pris la route, c’est pour ne pas faire racines de nos certitudes. Si nous avons pris la route, c'est pour ne rien inscrire dans le marbre. Lui préférer le sable, et le vent. Notre loin dépasse l'imagination. La vulnérabilité du voyageur m’est chère. Son dénuement porte une lucidité plus haute. Car pour qui veut vivre ainsi, il n’y a pas d’arrivée. Il n’y a que des départs.


Il s’agit désormais d’écrire après la fin du roman, après la fin du « travel writing ». Mythe, récit, poésie, philosophie, notes autobiographiques : tout doit concourir à cette nouvelle écriture. Nous savons, depuis l’époque des Grandes Découvertes, que c’est en portant son regard au loin qu’on repousse les limites de l’esprit et de la conscience – et non l’inverse.


Ne pas écouter sempiternellement ce que nous avons à dire du monde, mais ce que le monde lui-même a à nous dire. Par des écritures médiumniques, chamaniques. Artaud savait cela. Breton savait cela. Autant d’enseignements que nous avons perdus. Qu’il nous faut retrouver.


Dans son magnifique discours de réception du Prix Nobel[16], Jean-Marie Gustave Le Clézio rend hommage à Elvira, une conteuse indienne : « Dans toute la forêt des Emberas, Elvira était connue pour son art de conter. C’était une aventurière, qui vivait sans homme, sans enfants – on racontait qu’elle était un peu ivrognesse, un peu prostituée, mais je n’en crois rien – et qui allait de maison en maison pour chanter, moyennant un repas, une bouteille d’alcool, parfois un peu d’argent. A la trame simple des mythes – l’invention du tabac, le couple des jumeaux originels, histoires de dieux et d’humains venues du fond des temps, elle ajoutait sa propre histoire, celle de sa vie errante, ses amours, les trahisons et les souffrances, le bonheur intense de l’amour charnel, l’acide de la jalousie, la peur de vieillir et de mourir. Elle était la poésie en action, le théâtre antique, en même temps que le roman le plus contemporain. Elle était tout cela avec feu, avec violence, elle inventait, dans la noirceur de la forêt, parmi le bruit environnant des insectes et des crapauds, le tourbillon des chauves-souris, cette sensation qui n’a pas d’autre nom que la beauté. Comme si elle portait dans son chant la puissance véridique de la nature, et c’était là sans doute le plus grand paradoxe, que ce lieu isolé, cette forêt, la plus éloignée de la sophistication de la littérature, était l’endroit où l’art s’exprimait avec le plus de force et d’authenticité ».


L’émergence d’une écriture-monde ne contredit pas la littérature « ordinaire », ni même la production du « roman de gare ». Elle ouvre une voie possible. Elle nous aiderait même à sortir des oppositions traditionnelles. Il est bon qu’une littérature puisse contenir en même temps la neurasthénie houellebecquienne et l’échappée géopoétique. L’une ne contredit pas l’autre. Le contraire d'un écrivain n'est pas un autre écrivain, c'est ce qui voudrait empêcher toute écriture. L’autodafé. La censure. L’indifférence. Pas un autre texte.


La Littérature-monde convoque d’autres mémoires, se réfère à d’autres territoires, ceux de l’oralité et du mythe, des chants de chamane et des retraits obscurs de leurs rêves, des voix multiples de l’autre et du divers dont elle réimplante les élans premiers au centre de la cité, au centre de ses discours fragmentés, hétéroclites et nerveux.

Pas une littérature de voyage : un voyage qui serait la littérature même.


Rilke : « Il faut devenir un initiateur. Un qui écrit le premier mot derrière un séculaire tiret ».


Et ce qu'il faut bien comprendre ici, c'est que ces quelques propos ne concernent pas seulement la littérature : ils questionnent l'être même de la société qui vient. Culture de l'avidité ou culture de l'harmonie, est venue l'heure historique du choix. Ce choix dira qui nous sommes, qui nous aurons été.  
Une littérature ne sera nouvelle vraiment qu’en portant vers l’avenir, à travers des formes frappantes, la fonction communautaire du chant, les pouvoirs disparus de l’oralité, les mémoires anticipées de toute écriture véritable, au-delà des oppositions traditionnelles, de toute la vigueur de nos racines désormais flottantes, dérivantes, inextricablement mêlées les unes aux autres.

Gérard Larnac[17]

Une Version Wobook de ce texte existe ici :
 http://www.wobook.com/WBDs0zZ81I2z/Ecrire-pour-les-imbeciles.html

 

[1] Cette horreur systématique du pathos a pour origine le raide XIX ème siècle, quand la maîtrise bourgeoise des corps et des émotions devint règle absolue, en réaction de rejet vis-à-vis du flamboyant et révolutionnaire XVIII ème.

[2] Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Flammarion, 1996.

[3] Laurent Jenny, Pour une critique du 3ème type, in La Quinzaine Littéraire n°997, août 2009.

[4] Michel Le Bris est l’auteur, entre autres, de L’Homme aux semelles de vents, Grasset, 1977; Le Grand Dehors, Payot, 1992 ; La Beauté du monde, Grasset, 2008 ; Nous ne sommes pas d’ici, Grasset, 2009. Michel Le Bris est le fondateur du Festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo et de la revue Gulliver.

[5] Conversation avec l’auteur, Paris, avril 1992. Voir, de Gérard Larnac, La Tentation des dehors – petit traité d’ontologie nomade, Ellipses, 1999.

[6] Camille de Toledo, Visiter le Fluckirstan, ou les illusions de la littérature-monde, Presses Universitaires de France, 2009.

[7] On relira, par exemple, Madame Chrysanthème, où la femme japonaise est décrite comme un “bibelot d’étagère”...

[8] Patrick Chamoiseau, Ecrire en pays dominé, Gallimard, 1997.

[9]  Pour une littérature voyageuse, premier manifeste des Etonnants Voyageurs, Editions Complexe, 1992.

[10] Michel Butor, Essais sur le roman, Editions de Minuit, 1964.

[11] Michel Butor, Mobile – étude pour une représentation des Etats-Unis, Gallimard, 1962.

[12] Conversation avec l’auteur, Paris, octobre 1983. Voir La Tentation des dehors, op.cit.

[13] Kenneth White, Matin de neige à Montréal, in Terre de Diamant, Grasset, 1983.

[14] Propos recueillis à Paris à l’occasion de la conférence d’Edouard Glissant à l’Institut du Tout-Monde, mai 2009.

[15] Patrick Chamoiseau, op.cit.

[16] Stockholm, 10 décembre 2008.

[17] Dernier ouvrage paru : Le Voyageur français, Editions de l’Aube, 2009 - roman.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gerard 804 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte