Magazine Juridique

Le caractère jurisprudentiel du droit administratif

Publié le 25 août 2009 par Nufroftsuj

Bibliographie
Théron (S.), “La substitution de la loi à la jurisprudence administrative : la jurisprudence codifiée ou remise en cause par la loi”, RFDA, 2004, p. 230
Pontier (J.-M.), “Le droit administratif et l’utopie”, AJDA, 2004, p. 1001
Melleray (F.), “Le droit administratif doit-il redevenir jurisprudentiel ?”, AJDA, 2005, p. 637
Gonod (P.), Jouanjan (O.), “A propos des sources du droit administratif. Brèves notations sur de récentes remarques”, AJDA, 2005, p. 992
Deguergue (M.), “La jurisprudence et le droit administratif : une question de point de vue”, AJDA, 2005, p. 1313
Gonod (P.), “La codification de la procédure administrative”, AJDA, 2006, p. 489
Braibant (G.), “Qu’est-ce qu’un grand arrêt?”, AJDA, 2006, p. 1428
Pacteau (B.), “A propos des Grands arrêts du contentieux administratif”, RFDA, 2008, p. 519
Seiller (B.), “Pourquoi ne rien voter quand on peut adopter une loi inutile ?”, AJDA, 2008, p. 402

Synthèse
Chez les juristes, le législateur a souvent mauvaise presse, tandis que le juge reçoit tous les honneurs ou du moins fait l’objet de toutes les attentions… C’est particulièrement vrai en droit administratif. Longtemps, les spécialistes de cette matière se sont en effet demandé « A quoi servirait de remplacer cet artisan discret, habile et agissant qu’est le juge, par cet amateur, bien intentionné, mais parfois mal informé et maladroit qu’est le législateur ? » (Georges Vedel, « Le droit administratif peut-il rester indéfiniment jurisprudentiel ? », EDCE 1979, n° 31, p. 31).
Guy Braibant rappelle que dès l’origine le droit administratif a été pensé comme un droit qui contrairement au droit civil, pénal ou privé général ne devait pas être codifié mais devait plutôt faire l’objet d’évolutions jurisprudentielles. La nécessité de cette différence de traitement (notamment s’agissant de la procédure administrative) tenait prétendument à la singularité de la matière. Edouard Laferrière doutait déjà que le droit administratif puisse être codifié (voir son Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux). Plus près de nous, Raymond Odent a repris ses principaux arguments. Pouvait-on en attendre moins de la part de cet autre président de la Section du contentieux ? Ne s’agit-il pas d’un moyen de légitimer a posteriori une rente de situation née avant tout de contingences historiques ? Dans tous les cas, force est de constater que le droit administratif demeure très largement non codifié (voir les errements du code de l’administration). On peut encore ajouter que même si les textes se sont multipliés ces dernières années en droit administratif – au point qu’on ne peut plus sérieusement soutenir que ce droit est un droit majoritairement jurisprudentiel – ce dernier « reste fondamentalement jurisprudentiel » dans la mesure où « son origine jurisprudentielle a fortement marqué le droit administratif, soit que les textes intervenus ensuite ne soient que la compilation et la systématisation de solutions jurisprudentielles antérieures, soit […] que ces textes se limitent à des propositions particulières et ponctuelles dans le cadre des principes et directives définis par la jurisprudence » (Yves Gaudemet).
Reste le cas du contentieux administratif, qui a priori fait figure d’exception puisqu’il a été régi dès le départ par des textes juridiques (décret du 22 juillet 1806, loi du 24 mai 1872, etc., jusqu’au code de justice administrative). Pourtant, Bernard Pacteau considère que le juge n’a jamais cessé d’assumer un rôle moteur en la matière. Et cet auteur de citer les arrêts Blanco, Martin, Boussuge, Nicolo, Société Intercopie, Martin/Piteau/Lhuillier, Abisset, Mme Esclatine, L’Haye-les-roses, Magiera, ou encore Mme Hallal. La jurisprudence y aurait avant tout un rôle de finissage et d’ajustage des postulats et principes généraux majeurs (fréquemment fixés, quant à eux, par des textes). On en revient alors à la thèse d’Edouard Leferrière, selon lequel, en droit administration d’une manière générale, la jurisprudence est essentielle parce qu’elle « seule peut faire la part entre les principes permanents et les dispositions contingentes, établir une hiérarchie entre les textes, remédier à leur silence, à leur obscurité, à leur insuffisance en s’inspirant des principes généraux du droit et de l’équité » (Edouard Laferrière). Mais cela est-il réellement propre au droit administratif ?
En réalité, quel que soit le domaine du droit considéré, les textes juridiques ont l’avantage de renforcer la légitimité démocratique des normes juridiques et d’améliorer l’accessibilité des citoyens au droit (une dimension du principe de sécurité juridique) mais présentent l’inconvénient d’appeler beaucoup de précisions concrètes, d’être assez rigides (encore que ce qui apparaît comme un danger de sclérose ou de péremption rapide pour les uns est analysé comme une garantie première à accorder aux administrés au nom du principe de sécurité juridique par les autres), de pas toujours bien s’articuler entre eux, voire de n’être que des opérations de communication (problématique du droit « flou, mou, doux »).
Au total, si Bernard Pacteau n’a peut-être pas tort d’avancer que « le juge conduit toujours le changement » et que « jamais le droit administratif n’a été aussi jurisprudentiel, spécialement le contentieux », il faut garder à l’esprit que l’opposition entre production textuelle et production jurisprudentielle du droit administratif est un leurre. En d’autres termes, suivons le conseil de Maryse Deguergue : pour répondre à la question de savoir si le droit administratif est un droit « essentiellement » (ou « fondamentalement ») jurisprudentiel, commençons par nous interroger sur ce qu’est la jurisprudence. On conclura alors peut-être avec elle que « Juge et doctrine, ou si l’on préfère jurisprudence et loi, sont consubstantiels au droit administratif, comme à toutes les branches du droit, et [que] leur importance respective, du point de vue quantitatif et qualitatif, est variable et peut-être simplement proportionnée aux buts poursuivis, sinon avoués, à une époque donnée : aujourd’hui, par exemple, la démocratie administrative, côté face ; le réalisme économique, côté pile ».


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