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Le 23 Août, à 22h35 sur Arte : "LOVE IN INDIA".

Par Ananda
Arte nous propose ici une "grande enquête" dont le thème est : "comment l'Inde se débat-elle avec le sulfureux héritage du Kâma-Sutra ?"
Le reportage s'ouvre sur l'activité d'une émission de radio locale, Radio-City 91.FM. Cette émission se veut à l'écoute des problèmes les plus intimes. L'un de ses responsables confie :" parler de sexualité reste tabou, globalement. En Inde, le seul mot "sexe" effarouche. Cependant les questions posées à l'antenne sont crues, directes".
Constat : autrefois, les Indiens s'embrassaient sur la bouche; ce furent eux qui inventèrent le Kâma-Sutra. De nos jours, par contre, "l'on vit dans la confusion, la répression, la duplicité".
L'Inde est une des sociétés les plus puritaines qui soient au monde : en témoigne, à titre d'exemple, une scène filmée qui nous paraît digne d'un autre âge, et dans laquelle on voit la police (en personne !) s'en prendre  à un couple qui vient simplement de s'embrasser dans la rue (ce qui, en Inde, est un délit). Le moins qu'on puisse dire est que les policiers n'y vont pas de main morte !
En Inde, encore aujourd'hui, l'union libre n'est guère courante, les propriétaires de logements allant jusqu'à refuser de louer leur appartement à des couples de simples concubins.
Une jeune femme explique : "on n'a pas l'habitude de voir les gens s'embrasser en public, notre société est très conservatrice".
L'Inde apparaît , en regard des autres nations, un pays étrange, où "les gens acceptent leur sort" en raison du système des castes, intimement lié à la pensée religieuse. "N'importe où ailleurs, les pauvres, les défavorisés se révolteraient. Pas ici".
L'immense majorité des Indiens étant pauvre et soumise à la promiscuité , "les relations intimes ont lieu en silence, faute d'espace privé suffisant".
En Inde, il faut savoir que la notion même d'amour est étroitement liée à la figure divine de Krishna. "Krishna est le dieu de l'amour".
Si, depuis la nuit des temps, l'Inde est un pays de tradition orale, de transmission orale, "depuis cinquante ans, le cinéma indien tend à se substituer à cette tradition".
L'Inde compte un peu plus d'un milliard d'habitants dont l'immense majorité n'a accès à aucune forme d'éducation sexuelle. Le cinéma, dans ce domaine, joue un peu un rôle d' "éducateur".
Sa mission ? "Illustrer la sexualité tout en préservant la moralité".
Des professionnels de l'industrie cinématographique nous le confirment : "pour qu'un film marche, il faut du sexe", voilà qui est dit sans détour. Et de préciser : "il y a deux sortes de catégories de films : d'abord, ceux qui tournent autour de la séduction, de la sexualité suggérée, ensuite, les films plus explicites, à l'intrigue sommaire". "Tout le monde, nous affirme-ton, rêve de sexe, et pas seulement les jeunes, nous avons des spectateurs de soixante ans !"
On se hâte de préciser qu'en Inde, "le public apprécie la beauté : on aime voir le sexe suggéré, mais les femmes ne viennent pas voir ce genre de films. Si elles les regardent, elles se cachent le visage pour manifester leur honte".
En ce qui concerne le Kâma-Sutra, un érudit indien explique que tout part de Brahma, le dieu suprême, lequel créa le dieu du désir, encore appellé Kamday, doté d'un arc (comme le Cupidon des Grecs et des Latins). Ensuite, "Brahma et sa propre fille ont eu des rapports, au cours desquels ils inventèrent les soixante quatre arts".
En matière d'épopées et de légendes, l'Inde n'a que l'embarras du choix. Elle reste fascinée par sa riche tradition mythologique, tant orale qu'écrite. Cela n'empêche pas que, comme on nous l'avoue, "beaucoup d'Indiens sont gênés quand ils achètent le Kâma-Sutra en librairie, et, bien sûr, surtout lorque c'est une femme qui se tient derrière le comptoir".
Le mot "kâma" désigne le plaisir des sens, dans son acception la plus large (c'est à dire pas seulement le sexe).
On nous apprend que "tout un  chapitre du Kâma-Sutra traîte de l'adultère" : "le dharma (devoir), nous précise-t-on, n'arrête pas une femme, et il arrive fréquemment que les femmes partent à la recherche d'un amant". Cependant (l'on n'est pas en Inde pour rien) "tout se passe en cachette"..
De nombreux témoignages, bien actuels, d'Indiens et d'Indiennes se font entendre ensuite :
"Notre société a voulu limiter l'accès à la connaissance. Nous n'avons aucune liberté, ici. Il faut changer les hommes. Pour l'instant, les femmes n'ont aucun pouvoir".
Pourtant, quelques jeunes Indiens aux allures plus ou moins "libérées" évoquent, devant nous, la sexualité d'une manière très libre (garçons comme filles).
Comment cerner un tel mélange de romantisme, de sensualité, de machisme et de puritanisme ? Il y a, parfois, de quoi s'y perdre.
Là dessus, le reportage nous ramène vers les ondes de Radio City où nous entendons s'égrener les "confidences intimes et secrètes".
Après avoir entendu un Indien déclarer sentencieusement "notre pays est si vieux que l'on ne peut pas lui donner d'âge", nous nous retrouvons dans une école citadine, en plein cours de biologie consacrée à la reproduction humaine. En observant l'attitude des élèves, on constate que les adolescentes rient disctètement, cependant que leurs homologues masculins écoutent passionnément, les yeux grand ouverts.
Sans transition, on passe ensuite au spectacle d'un sculpteur de sculpture érotique traditionnelle en plein travail : la sculpture érotique indienne est, on le sait, très ancienne, très sensuelle, très suggestive.
Suggestive aussi, une danse traditionnelle au cours de laquelle de jeunes garçons, les gotipura, s'habillent en femmes, se fardent au cours de longues séances de maquillage, et miment, dans leur spectacle de danse, les positions de l'amour.
Puis les incontournables figures du couple Krishna / Radha retiennent l'attention : on ne peut pas parler d'amour, en Inde, sans se référer à ce couple, il est totalement central.
Krishna, apprend-t-on, n'a pas toujours été la figure douce et sympathique, un peu à l'eau de rose, qu'il est maintenant : assez macho, nous dit-on, "il a tué beaucoup de démons à Vrindavan". Après quoi ce fut le coup de foudre pour Radha.
"Le désir de Krisna est le véritable amour", nous précise-t-on.
Mais le dieu était "inconstant", d'où rejets par Radha et querelles. En fait, le couple passait son temps à se disputer, puis à se réconcilier sur l'oreiller. Une raison à cela, sans doute : Radha, amante parfaite, était, nous certifie-t-on, "experte dans les soixante quatre positions".
Ce fut Radha qui apprit à Krishna à jouir sans éjaculer. On ajoute, assez étrangement et sans plus ample explication, que Radha "faisait à la fois l'amour comme une femme et comme un homme".
Quoiqu'il en soit, on y revient : "Radha et Krishna sont des figures essentielles pour comprendre l'Inde". Ils symbolisent, aux yeux de tout  hindou, "la plus grande histoire d'amour", dans la mesure où, en fait, ils formaient un "couple illicite, Radha étant mariée". Ainsi, pour l'Hindou, l'amour plein, véritable, ne peut être que l' "amour interdit".
Radha fut copieusement "insultée, traîtée de femme impure". En revanche, Krishna n'eut droit à aucun de ces traîtements. Cela vous étonne ?
Au surplus, comble du scandale et de la transgression, figurez-vous que "Radha était plus âgée que Krishna, et qu'elle était sa tante" !
"ça montre bien, en profite pour nous expliquer un Indien, combien nous sommes partagés entre le respect des conventions et ce que nous ressentons vraiment dans notre coeur".
Nous avons ensuite droit à un assez long développement sur la conception du corps indienne. En ce domaine, nous déclare-t-on, "il y a un gouffre entre pensée orientale et pensée occidentale". Tout repose sur la notion de chakra.
"Les chakras sont des zones qui appartiennent au corps subtil, cosmique". C'est ainsi qu' "on ne peut localiser un chakra". Dans la pensée hindoue, "il y a toujours cette dichotomie entre cerveau et coeur, ressenti et analyse intellectuelle".
Maintenant, qu'en est-il du mariage, et de la condition des femmes ?
Parole aux femmes, paroles de femmes  : "entre vingt et vingt-cinq ans maximum, de préférence vers vingt deux ans, une fille doit absolument trouver un mari; si elle tarde, si elle attend trop, elle sera carrément harcelée par sa famille, qui elle-même sera harcelée par tout le voisinage". Et même si, aux dires d'une dame indienne bourgeoise et citadine, "les jeunes d'aujourd'hui n'ont plus la même vision de l'amour que nous", il reste patent que "le destin d'une femme indienne est tout tracé".
Une autre femme avoue : "je ne pouvais pas défier la morale".
Aujourd'hui encore, l'Inde est une société féroce envers les femmes : plus des deux tiers des épouses indiennes sont - ou ont été - violées, battues, voire torturées, et elles semblent trouver cela normal (la religion leur enjoint une dévotion totale , si ce n'est même sacrificielle envers leur époux). "La plupart des mariages sont arrangés, avec vierge et dot".
Lorsqu'on parle du mariage aux gens que l'on interroge, on ne peut qu'être frappé par leur air sceptique, désabusé, peu enthousiaste (chez les femmes comme chez les hommes). "Il y a pourtant des mariages heureux", concède quelqu'un, du bout des lèvres. Mais, très, très vite, d'autres recadrent : "le mariage, c'est une institution, une suite d'accords, de compromis". "Il y a les aventures extra-conjugales" ajoute cyniquement un homme. Décidément, on le constate bien, Krishna est leur modèle !
Selon la conseption indienne, "les amants ne se marient jamais et c'est pour cela que leur amour reste fort"
Mais pourquoi rechercher l'amour ?
Une jeune femme donne son point de vue, d'une lucidité singulière : nonchalamment, elle nous expose  que "l'amour est quelque chose d'égoïste et de prétentieux", mais que, peut-être, aussi, "tout le monde a besoin d'avoir un témoin de sa vie". Un jeune homme, pour sa part, profère :" le mariage est une question d'intendance, non de sexe ou d'amour".
On interroge, immédiatement après, un jeune couple, qui s'exprime très franchement : "nous avons encore beaucoup de tabous à lever. Quand, dans un couple, la plaisir sexuel baisse, la colère monte".
Le reportage, sur ce, nous emmène vers le Bengale chez une tribu d'aborigènes aux manière simples, puis, ensuite, fait un détour au Rajasthan, où il nous donne l'occasion bienvenue d'entendre une femme plutôt âgée chanter en langue rajpoute les chants d'adoration de Mira-Bai dans leur version totalement originale, c'est à dire non expurgée de leurs connotations ouvertement sexuelles.
Puis vient la question du Déa Thatva et des préceptes du Tantrisme. Il s'agit, là, d' "utilisation du sexe pour faire pénitence" (c'est à dire à des fins totalement spirituelles), d'une technique sexuelle qui consiste à faire l'amour ("accumuler l'énergie sexuelle par le frottement", en prendre la contrôle) en se gardant d'éjaculer, et d'arriver, de la sorte, à un état de complète béatitude (ananda).
Mais, à côté de tout cela, il reste bel et bien qu'en Inde, "la plupart des gens sont dégoûtés de leurs propres organes sexuels" (très certainement parce que ces derniers sont "sales" et que l'Inde est un pays qui vit dans l'obssession de la pureté, de la souillure) "alors même que, par ailleurs, la religion sacralise le pénis et le vagin" (cf le linga de Shiva).
On interroge un sage soufi (musulman), qui n'hésite pas à déclarer que "nous n'apprenons pas ce qui est le plus important". Il poursuit en citant un précepte soufi : "celui qui se connait lui-même connait toute chose", et en déclarant que "le sexe nous permet de comprendre qui nous sommes". Aux yeux des sages, "le désir sexuel est le premier des ennemis intérieurs de l'homme. Il faut apprendre à le contrôler pour contrôler l'esprit".
Tel est le but de l'ascèse sexuelle tantrique : "au dernier moment, tu t'empêches d'éjaculer pour contrôler ton énergie sexuelle. C'est extrêmement difficile".
Il ne faut jamaisi oublier que "les statues (de Radha et Krishna) sont notre reflet".
La spiritualité hindoue, indienne ne coupe pas du corps. Quelqu'un insiste : "il est nécessaire de connaître son corps et son âme".
La grande question, au travers de toutes ces réflexions, semble être : "comment contenir cette énergie, la canaliser pour qu'elle illumine l'esprit ? Il existe des moyens".
Les Indiens considèrent que, lorque la femme a ses règles, elle est un homme (elle se vide, comme lui). "L'homme représente le simple, la femme le complexe; l'union du simple et du complexe, c'est la relation sexuelle". "Après s'être compris soi-même, la seconde étape est de comprendre l'autre".
Le sexe est donc reconnu comme central. Il est le point de départ de toute vie. Cela, on l'admet volontiers (et même avec enthousiasme !)
Le peuple indien est un peuple sensuel, mais en même temps il est soumis à un contrôle social énorme et toujours influencé par une spiritualité très éxigeante, axée sur le renoncement et le contrôle de soi. L'idéal de détachement et la conviction que le monde est en lui-même illusoire amènent forcément à prendre du recul par rapport à l'univers des sens.
Heureusement, musique, danse, chant (extrêmement présents) et, bien sûr, cinéma, offrent quelques échappatoires, si discrets soient-ils. Mais même là, il ne s'agit jamais de trop s'éloigner de la tradition, de l'esprit indien.
Ne pas oublier non plus (et ceci est autrement plus sombre) qu'aujourd'hui, en ce moment-même, l'Inde est un pays qui en est venu à compter 927 femmes seulement pour 1000 hommes (en raison des avortements systématiquement pratiqués sur les foetus de filles), où la violence domestique déclarée atteint plus de cinquante pour cent des femmes et où de très nombreuses prostituées n'ont pas dépassé l'âge de quinze ans.
Pays déconcertant, unique !


P.Laranco.

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