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Le (tout) petit emprunt de la commission Juppé-Rocard à la gauche

Publié le 31 août 2009 par Lbouvet

487904392_0b8098fd0c_mLa composition de la commission sur le grand emprunt, co-présidée par Alain Juppé et Michel Rocard, témoigne d’une nouvelle tentative – et d’une nouvelle réussite… – de Nicolas Sarkozy de déstabiliser le PS. On y trouve en effet des personnalités socialistes plus ou moins éminentes qui vont, comme chacun en a désormais pris l’habitude visiblement, jouer le matin dans les réunions de cette commission les utilités d’un pouvoir qu’elles prétendent combattre l’après-midi dans d’autres réunions.

La première question qui vient immédiatement à l’esprit est : pourquoi ? Pourquoi cautionner cette énième entreprise de manipulation sarkozyste ?

Ecartons d’emblée l’argument des technocrates qui ont tendance à se prendre pour des serviteurs de l’intérêt général dès qu’ils s’assoient à côté d’un camarade de promotion qui n’est pas de leur bord politique. Il consiste, en l’espèce, à dire qu’il n’y a là qu’une commission (de plus…) qui travaille dans le sens de l’intérêt général, et qu’il est donc tout à fait normal de dépasser les clivages partisans, etc. Faut-il alors leur rappeler, à tous ces commis, que ce n’est plus, allez… au hasard, le Général de Gaulle qui est à l’Elysée, mais un certain Nicolas Sarkozy, dont la conception même de l’Etat impartial et du service de l’intérêt général est, pour dire le moins, assez particulière.

L’autre argument couramment invoqué par les mêmes pour justifier leur présence dans ce genre d’entreprise, est celui de leur supposé pouvoir d’inflexion sur les propositions finales de la commission – et donc, pourquoi pas, sur la politique choisie ensuite par le président de la République, son gouvernement et sa majorité UMP. On doit avouer ici un certain découragement. On peine toujours en effet un peu, dans ce cas, à discerner la bêtise de l’irresponsabilité chez ceux qui osent proférer de telles incongruités.

Une deuxième question surgit alors : pourquoi ceux-là ? Pourquoi ces socialistes-là en particulier se compromettent-ils ainsi ?

A tout seigneur tout honneur. On se gardera de tirer sur l’ambulance rocardienne qui franchit depuis un moment déjà allégrement la ligne jaune pour rouler à contresens, du côté sarkozyste de la route, sans que cela ne paraisse poser de problème à quiconque. Un peu comme si les prolongations qu’il prend visiblement plaisir à jouer dans le camp adverse n’étaient finalement que la récompense d’une longue carrière politique, au nom des innombrables services rendus à la gauche au cours de celle-ci.

Il ne s’agit pas plus de s’étonner de la troisième participation à une telle entreprise d’Erik Orsenna, qui en est devenu une sorte de spécialiste. La liberté dont il semble jouir – et le mot est faible ! – est visiblement aussi artistique que le flou de ce qu’il peut apporter à ce genre de commission.

Le cas de Nicole Notat est plus compliqué. Comme elle est encore identifiée à la CFDT, qui n’a vraiment pas besoin de ça en ce moment, on comprend bien pourquoi elle a été requise. Le président de la République manipule aussi bien les syndicats que les partis, soit. Mais même si chacun se souvient de son soutien, en 1995, comme responsable de la CFDT, à Alain Juppé, on ne comprend pas bien l’intérêt qu’elle y trouve. Comprenne qui pourra.

Ceux qui sont finalement les plus à blâmer dans cette affaire, ce sont encore ces socialistes ou proches du PS, anciens membres de cabinets ministériels de gauche (particulièrement celui de Lionel Jospin à Matignon) : Olivier Ferrand (qui est rapporteur général adjoint de la commission !), Bettina Laville ou encore Laurence Tubiana. Que leur présence soit (auto)justifiée par leur sympathie pour Michel Rocard ou par leur indispensable compétence technique – on peut s’étonner, pour la forme, que la droite n’ait pas en réserve les mêmes technocrates et experts sur les sujets concernés tant cette « élite » paraît interchangeable d’une commission à l’autre… – n’enlève rien à la double faute politique et morale de leur présence dans cette commission.

La faute politique est de sauter à pieds joints dans un nouveau « piège » sarkozyste. Et même si cela semble devenu une figure habituelle de la politique française, on peut tout de même continuer de s’étonner que certains s’y adonnent aussi facilement.

Une telle attitude est plus gênante encore en ce qu’elle révèle l’état de dévastation morale du Parti socialiste et de ses cadres. C’est là une des raisons profondes, nous semble-t-il, de la désaffection prolongée dont souffre le PS au niveau national. Comment en effet faire confiance aux représentants d’un parti, même les plus subalternes ou accessoires –surtout quand ils doivent une bonne partie de leur carrière professionnelle à leur appartenance politique – lorsqu’ils oublient aussi vite leurs supposées convictions et acceptent de servir d’alibi à un pouvoir qui pourtant ne cache rien de ses ambitions ? Cet étonnement est redoublé quand ils prétendent incarner l’avenir et préparer l’alternance politique contre ce même pouvoir précisément !

On laissera le mot de la fin à George Orwell qui rend bien compte du désastre induit par des faits pourtant aussi dérisoires: « si le mouvement (il parlait du socialisme…) attirait en masse des hommes dotés de meilleurs cerveaux et d’un sens plus élaboré de la décence ordinaire, les personnages douteux (…) cesseraient d’y tenir le haut du pavé. » (Le Quai de Wigan, tr.fr., Paris, 10/18, p. 247).

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