Quand on parle de prisons dans les journaux romands, on ne traite généralement que de la surpopulation et des prétendus dysfonctionnements de Champ-Dollon à Genève, devenue l'établissement phare des médias et de leurs critiques. C'est un peu court toutefois, et simplificateur. Dans le cadre d'une enquête plus large sur ce sujet, ouVertures.info a notamment rencontré et recueilli les témoignages d'un certain nombre d'anciens détenus de la Colonie pénitentiaire de Crêtelongue en Valais, située aux portes de Sierre et de Grône, en plein milieu de la nature. Cet établissement se veut une sorte de prison semi-ouverte destinée à l'exécution des peines exclusivement (donc pas de détention préventive), et se targue de conditions particulièrement favorables. Elle accueille des détenus en provenance de tous les cantons romands, en application d'un concordat intercantonal en vigueur.
Mieux qu'une description quelques témoignages en diront plus long sur ce qui s'y passe vraiment (les prénoms ont été volontairement changés). Serge est une peu simple d'esprit, personne ne sait vraiment pourquoi il est là, mais il traine à journées faites dans cet établissement depuis plus de 15 ans comme un souffre-douleur des détenus et surtout des gardiens, qui lui assignent toutes les corvées. De temps à autre il a le droit de sortir au village voisin pour prendre une bonne cuite durant le weekend. Puis il revient par lui-même ou dûment raccompagné et la vie continue. Il s'occupe de ses poules. Paul est atteint d'une affection grave, complexe et irréversible qui l'empêche de se baisser. Il doit néanmoins travailler à mi-temps tous les matins à la vigne entre les mois de janvier et octobre.
Jules est un "petit mouilleur" et parvient à se faire des weekends tranquilles et rémunérateurs; il part en voiture avec l'un des responsables pour s'occuper du jardin de ce dernier, contre rémunération évidemment, et contre un traitement plus que favorable. Jacques quant à lui ne sort pas vraiment du lot, mais il s'occupe de préparer les bottes de paille de la course de côte Ayent-Anzère et surtout va sur le parcours de la course sans que personne ne se soucie vraiment de ce qu'il va faire.
John travaille à l'écurie, le nec plus ultra. Il vit dans un bâtiment à part, dépourvu de barreaux, dispose de sa clé pour en sortir quand il le souhaite nuit et jour sans surveillance et dispose notamment d'un vélo qui lui permet nuitamment d'aller prendre livraison de bourraches d'huîtres, de force alcool (interdit évidemment dans l'établissement) et d'autres friandises qu'il partagera avec quelques initiés.
Peter est un grand travailleur physique. Presque tous les weekends de son été sont consacrés à la cueillette des fruits des vergers de certains gardiens…cueillette pas gratuite non plus. Tel autre est un spécialiste du bois, et fabrique des tables en pin ou mélèze massif magnifiques pour un "salaire" appelé pécule de Fr. 3.10 de l'heure si tout va bien, alors que lesdites tables valant des milliers de francs seront soit vendues à des clients tiers, soit achetées à prix "d'amis" par des gardiens.
Bref tout ce petit monde ne ressemble pas vraiment à un établissement pénitentiaire comme on l'imagine de l'extérieur et que les films les représentent à la TV et même si ce qui précède n'est pas vraiment d'une bien grande gravité, on se demande sur quelles bases légales tous ces "petits trafics" fonctionnent.
Un dimanche à cueillir des pommes dans le verger d'un gardien, logé nourri et abreuvé compte-t-il pour un ou deux jours de détention ? où donc ce genre de traitements qui laisse la place grande ouverte à l'arbitraire le plus total et à l'iniquité trouve-t-il sa justification légale officielle ? qui peut décider de laisser sortir un détenu sans que sa sortie soit décomptée sur ses congés pour lui faire effectuer un travail rémunéré à l'extérieur de la prison et donc dans une situation potentielle de fuite facile ?
On craint de ne pas avoir de réponse bien satisfaisante à ces questions. En attendant, pour le détenu X, par hypothèse un peu rétif à ce genre d'arrangements, on lui réserve un traitement de faveur à l'interne qui ne manque ni de piquant ni d'injustice.
Et surtout tout le monde sait tout ceci et bien d'autres choses, mais la loi de l'omerta règne. Pour le bien de qui finalement et avec quelle garantie d'égalité de traitement ? et en vue de quel type de réinsertion sociale dument prévue par la loi ?
Dans quel bizarre monde nous évoluons.