Magazine Société

Patatras : Quand le Monde chute sur la monnaie privée

Publié le 20 août 2009 par H16

Pour ce nouvel article dans la catégories des pignouferies de la presse, découvrons à présent une pignouferie … du Monde. Attention, ce n’est pas forcément facile de taper sur Le Monde : moins de fautes d’orthographe que Libé, plus mollement consensuel, moins définitivement marqué à gauche que Libé sans toutefois l’obséquiosité droitière du Figaro, quelques belles plumes, ce journal a su conserver une certaine tenue au fil des années, même si le niveau général s’est amoindri à mesure que les journalistes du quotidien étaient renouvelés par les bataillons de pigistes lourdement ednatisés. Mais, parfois, la moiteur d’un mois d’août aidant, la rédaction se relâche. Et c’est le drame.

Patatras : Quand le Monde chute sur la monnaie privée

L’article, qui vaut son « Label Pignouf » au journal, est de l’inénarrable Hervé Kempf et se déguste ici.

Les premiers paragraphes commencent dans la ouate douillette d’une présentation palpitante. On y constate que les monnaies alternatives existent et que le diable ne s’y cache pas forcément, prêt à dévorer le faible épargnant et le pauvre smicard… On y apprend en outre que ça marche plutôt bien et que finalement, tout le monde y trouve son compte. La monnaie privée, c’est supayr.

Las. Après ces quelques éléments intéressants, le naturel revient au galop, écrase un peu le bébé et boit l’eau de son bain :

Pour comprendre sa démarche ou celle de la Banque Wir, il faut se rappeler un fait, si contraire au sens commun : la monnaie n’est pas fabriquée par une autorité centrale qui l’adosse à des réserves d’or ou d’argent ; elle est créée par les banques privées à partir des promesses de remboursement des emprunteurs.

Oui enfin disons hem. Normalement, quand une banque émet du crédit, elle doit avoir en caisse une certaine quantité de monnaie. 100% en cas de réserve totale, moins en cas de réserve fractionnaire. Cette monnaie initiale a été émise, elle, par … une autorité centrale. Enfin, normalement. Mais dans cet article, on sent qu’il y a eu une petite simplification qui transforme le code bancaire en livre de coloriage.

Pourquoi pas ? Après tout, c’est pour la bonne cause, non ? Et la suite est… heu… celle-ci :

Et durant les dernières décennies, les banques se sont émancipées de toute autorité – avec les résultats que l’on sait.

Voilà, c’est dit : durant les dernières décennies, les banques se sont émancipées de toute autorité.

Actuellement, c’est vraiment l’objet tip-top à la mode, c’est le colifichet fashion, le bidule trendy qu’on peut ressortir dans une swârée de l’ambassadeur.

De même qu’il existe des couleurs, des robes, des montres ou des voitures à la mode, il existe des idées à la mode : c’est du prêt-à-penser branchouille qu’on peut dégoiser niaisement en slurpant du champibulle dans un smoking Hue Bogoss. Encore mieux : le Hervé Kempf des salons peut maintenant taper sur les banquiers, les traders et le système libéral qui est la vraie cause de la crise en touitant le tout sur son iPhone pour que tout le reste de la planète puisse s’abasourdir de la puissance de ses réflexions. Il allie ainsi, dans un geste terriblement vogue, un objet technoculte et une réflexion totalement en phase avec l’air du temps.

Hype, non ?

Ce qui est un peu gênant cependant, c’est que les banques ne se sont pas franchement émancipé de toute autorité. En fait, les autorités ont, très sciemment, orchestré la production effrénée de crédit de ces banques, elles-mêmes trop contentes de pouvoir faire tourner leur boutique. Car, eh oui, la production de crédit alimentait grassement les envolées de prix, notamment dans l’immobilier, secteur économique qui prenait justement le relai des télécoms dont une bulle venait d’éclater au grand dam de nos dirigeants : il faut bien trouver quelque chose à faire croître, même si c’est en pure perte, quand cette croissance est l’alpha et l’oméga de la gestion publique (au détriment d’un budget équilibré, par exemple).

Et pour être sûr que les banques joueraient bien le jeu, les autorités (celles dont on prétend dans l’article que les banques se seraient émancipées) ont donc entravé le marché bancaire à tout nouvel entrant par un monceau de lois et de règlements touffus, et ont tout fait pour favoriser la concentration et l’agglutination des établissements bancaires les uns avec les autres : la concentration, c’est très pratique, puisque ça fait moins de têtes à cogner.

Moyennant quoi, les Hervé Kempf du Monde et de l’altermonde en déduisent qu’on a lâché la bride des banques.

Limpide.

Et la conclusion est évidente :

Les conséquences sont néfastes. La monnaie est indifférente à la finalité de l’échange, et se moque de servir à enfouir des déchets toxiques ou à dispenser des cours d’alphabétisation.

Or ça, pour le bobo conscientisé qui veut faire le bien sur la planète en achetant équitable, c’est insupportable. Il veut de l’Euro Max Havelaar ! Il désire un Dollar Equitable plus que tout ! Il chérit tendrement l’idée d’un Yen Durable !

Manque de bol, la monnaie, finalement, n’est qu’un support pour une transaction, pas la transaction elle-même. Vouloir que la monnaie ne soit pas indifférente à la finalité de l’échange, c’est comme vouloir donner un sexe aux bits d’internet, ou s’assurer que TCP/IP est bien « équitable », ou encore, ça reviendrait à « moraliser les autoroutes » au lieu des conducteurs.

Et à peine avons-nous fini de glousser sur cette phrase qu’une autre déboule, aussi amusante.

La création monétaire étant aux mains des banques, elle conduit à la concentration d’argent d’un côté et à la sous-monétarisation d’une partie de la population mondiale de l’autre : « Cette rareté, écrit un autre spécialiste, Patrick Viveret, oblige les dominés à n’utiliser qu’une faible partie de leur potentiel d’échange et d’activité. »

Ainsi, au Zimbabwe, la création monétaire, entièrement aux mains de l’état qui a, littéralement, fait ce qu’il a voulu, a permis, grâce à l’utilisation judicieuse de tout le contrôle et la clairvoyance qu’on peut lui accorder d’aboutir à une situation de sous-monétarisation de la population. Non ?

En fait, on comprend d’après ce qu’il dit (de façon un peu confuse) qu’il faudrait que la création de monnaie revienne dans les mains de M. Toulemonde. Le problème est qu’actuellement, qui empêche justement cette création de monnaie ? Sont-ce les banques ou ne serait-ce pas là encore l’autorité publique, qui voit dans le pouvoir de création de monnaie détenu par elle-seule un moyen fort efficace de contrôle et de pouvoir ?

Mais digresser sur cet aspect n’est manifestement pas l’objet de l’article, qui reprend donc, guilleret, son petit Capitalism-Bashing.

Et puis, comme l’expérience actuelle le montre, le système financier est intrinsèquement instable.

Et l’expérience en cours est bien – vous en conviendrez aisément – celle où n’importe qui peut faire sa propre monnaie, ou chaque banque est en réserve pleine et non fractionnaire, et où chaque monnaie nouvellement créée est habilement adossée à une richesse palpable.

Non encore ? Flûte et zut.

Serait-ce à dire que l’analyse menée est un peu faite de travers ? Ou qu’elle est exprimé de façon peu claire, peut-être ? Ou peut-être le journaliste n’a-t-il absolument rien compris de ce qu’il notait ? On se perd en conjectures tant il est difficile de faire la part des choses :

  • D’un côté, le système serait instable parce que les banques créeraient anarchiquement de la monnaie
  • De l’autre, on découvre que ça ne le serait pas si l’état reprenait les choses en mains, youkaïdi.
  • Mais d’autre part, où l’on découvre la tendresse du journaliste pour les SEL qui eux, ne semblent pas instables du tout, ce serait plus cool que tout le monde fasse sa monnaie lui-même, youkaïda.

L’idée, au fond et dans un style typique de Mariage de la Carpe et du Lapin, c’est que tout le monde puisse faire librement de la monnaie, mais surtout pas les banques, et que tout ceci soit strictement contrôlé par l’état. Tout ceci sent bon un réalisme ancré dans le solide puissamment armé au béton du factuel tangible mâtiné d’un pragmatisme compact.

Patatras : Quand le Monde chute sur la monnaie privée
Do It Yourself !

En fait, c’est la dernière tirade qui donne le plus de sens à l’article ; manque de bol, elle n’est pas de Kempf :

Les banquiers qui tiennent les rênes des institutions monétaires laisseront-ils ce bouleversement arriver ? Jean-François Noubel ne s’en inquiète pas : « Le processus est énorme, il est dans l’air, il est en train d’arriver. On va déposséder les banques du pouvoir de faire la monnaie. »

En somme, il faudrait arriver à déposséder les banques du pouvoir de création de monnaie. Ce qui revient, dans les faits, à laisser d’autre individus (physiques ou moraux) que les banques créer de la monnaie, laisser à ceux qui le veulent ce pouvoir de création, et ne plus le restreindre aux établissements bancaires. En clair, déréguler la création de monnaie. Oups. Ce qui vient, finalement, en parfaite contradiction avec la première saillie qui, voyant les banques affranchies de toute autorité, trouvait cela … néfaste.

Perplexifiant, non ?

Ceci dit, on se moque, mais le fond, lui, reste très intéressant :

  • Oui, il faut redonner à chacun la possibilité de créer sa propre monnaie
  • Oui, il faut que les banques puissent proposer des monnaies adossées à des biens tangibles (or, argent)
  • Oui, il faut que les banques puissent offrir une sécurité de ses fonds au travers de réserves totales ou à fraction élevée (plus de 50% par exemple).
  • Oui, l’état doit sortir de la création et de la régulation monétaire.

Bref : une pignouferie du Monde mais qui a le bon goût d’amener son lecteur à quelques éléments de réflexion … libéraux.


Note : une brève du Courrier International parle justement de ça …


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


H16 229672 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog

Magazine