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« Apocalypse », sur France 2 : critique en avant-première

Par Sandra.m

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Hier, France 2 projetait dans ses locaux, en avant-première et en présence de toute l'équipe du film, le premier épisode d' « Apocalypse », la série documentaire en six épisodes  sur la deuxième guerre mondiale réalisée par Daniel Costelle et Isabelle Clarke et diffusée sur France 2 les mardis 8, 15 et 22 septembre, à partir de 20H35.

Quand un pseudo homme politique français qualifie la shoah de détail sans que plus personne ou presque ne s'en émeuve ; quand un pseudo comique donne la parole aux négationnistes ; quand des informations télévisées interviewent un ancien nazi disant ne rien regretter, ne comprenant même pas ce qu'il devrait « regretter », et vivant paisiblement à l'étranger, se pavanant avec un cynisme abjecte ; quand les partis politiques extrémistes, notamment en Autriche, connaissent des scores aussi élevés qu'incompréhensibles ; quand chaque jour les informations témoignent d'une terrifiante réminiscence et amnésie historiques, et de notre incapacité à tirer les leçons du passé, comment ne pas se dire que le devoir de mémoire est plus que jamais nécessaire, et même vital ?

 Aussi impensable que cela puisse sans doute paraître à ceux qui ont vécu cette tragédie innommable, un peu plus de 60 ans après, 60 ans après seulement, on oublie, on oublie l'indicible, on oublie l'impensable... On oublie de se souvenir. On oublie de tirer les leçons d'un passé si proche. Pour notre génération encore, des hommes, des visages, des traces vivantes, tangibles et palpables nous relient encore à cette tragédie, un lien fragile et ténu mais si précieux. Pour moi, c'est, au collège, le souvenir de déportés venus nous parler de leur calvaire, témoins poignants et dignes dont le souvenir est à jamais resté gravé dans ma mémoire, comme ce numéro inscrit sur leurs bras, marque à jamais indélébile et preuve irréfutable de la folie humaine. C'est le souvenir, aussi, de mon grand-père résistant et de toutes ces questions que je n'ai pu lui poser. Un regret brûlant qui, sans doute, n'a fait qu'accroître le mélange d'intérêt, de perplexité et de terreur que m'a toujours inspiré cette période. Et puis c'est ce vertige incontrôlable, à Colleville-sur-Mer, devant toutes ces croix blanches et la conscience brusque et violente de toutes ces jeunes vies sans visages, sans noms, brisées et sacrifiées.

Mais qu'en sera-t-il quand ce lien si ténu aura disparu, quand ne restera plus aucun témoin, seulement des croix blanches et des tombes ? Alors... resteront les images. Souvent des images surannées, figées dans le temps, nous paraissant alors d'une époque lointaine, à jamais révolue. Le noir et blanc, l'absence de son parfois créent une distance, finalement confortable. Et c'est avant tout cela qui contribue à faire d'« Apocalypse » un document nécessaire, exceptionnel, poignant, terrifiant, passionnant. C'est d'abord cette reconstitution des couleurs (ici on ne parle plus de colorisation, tant chaque couleur a fait l'objet d'une étude minutieuse) qui donne vie et contemporanéité à ces images vieilles de plus de 60 ans. Des images pour la moitié inédites. Hitler, Staline, Mussolini, Goering, Himmler... : la folie a soudain un visage en couleurs plus proche de nous et d'autant plus inquiétant, la traîtrise aussi avec Darnand.

Mais ce ne sont pas seulement eux que nous montre ce documentaire unique, c'est aussi tous ces anonymes grâce aux paroles et visages desquels nous sommes immergés dans le quotidien d'alors. Avec la couleur, leurs visages, leurs paroles dites par Mathieu Kassovitz, la distance est abolie, et l'horreur, l'atrocité de la guerre n'en sont que plus palpables, à la fois compréhensibles et inconcevables.

Le bruit des bottes résonne, nous entoure, plus terrifiant, plus proche encore. Un bruit saisissant grâce au travail remarquable de Gilbert Courtois, dont le perfectionnisme pour reconstituer chaque bruit ( de coup de fusil, d'avion etc) y est aussi pour beaucoup dans cette réussite et ce réalisme. La musique de Kenji Kawai souligne judicieusement la force tragique sans l'exacerber, ce qui l'aurait alors amenuisée, décrédibilisée. Peut-être la voix de Daniel Costelle aurait-elle eu plus de poids, de résonance, de conviction que celle de Mathieu Kassovitz, mais sans doute le nom et la jeunesse de ce dernier étaient-ils aussi destinés à convaincre les plus jeunes.

 « Apocalypse » multiplie d'ailleurs les prouesses et singularités. C'est aussi le premier documentaire français sur la seconde guerre mondiale vendu en Allemagne, d'ailleurs diffusé dans 150 pays (dont également le Japon et les Etats-Unis). Cela reflète un autre grand intérêt de ce documentaire : celui de montrer le caractère mondial du conflit, que l'horreur n'a pas eu de frontières. Daniel Costelle et Isabelle Clarke ont d'ailleurs eu la judicieuse idée de faire commencer leur documentaire en montrant Berlin saccagée, détruite, meurtrie, elle aussi. Puis un flash back nous fait remonter dans le temps, au temps de l'insouciance, puis à la crise économique qui a fait accéder Hitler au pouvoir, en 1933. On redécouvre en images l'emprise qu'il exerçait sur son peuple, le pacte germano-soviétique, l'invasion des Sudètes, les évènements qui ont précédé le 3 septembre 1939 et la déclaration de guerre...

Alors bien sûr, nous connaissons ces évènements historiques (mais le document nous apprendra aussi des évènements moins connus et d'autant plus révélateurs), mais jusqu'alors, ces visages et ces évènements ne nous avaient jamais été montrés avec autant de réalisme, correspondant souvent à des dates abstraites sur des manuels d'Histoire; et s'y ajoutent des scènes du quotidien et des « anecdotes » qui font prendre toute la mesure de cette démesure meurtrière que ce chiffre de 50 millions de morts ne parviendra jamais à nous faire envisager, tant il est lui aussi monstrueusement inconcevable.

 Le froid redoutable. Les regards vides de ces hommes qui partent à la guerre et qui, pour certains, ont déjà vécu la précédente. Les gestes brusques, le pouvoir de manipulation d'un dictateur fou, le mystère insondable d'un peuple aveuglé. Des masques à gaz qui emprisonnent des visages angéliques. Et puis ces bruits qui vous glacent le sang et que redoutent encore ceux qui ont vécu la guerre. Tout cela nous heurte, nous réveille, nous révèle finalement tout ce que nous savions sans l'envisager vraiment.

« Apocalypse », en nous immergeant dans l'atrocité de la seconde guerre mondiale est un plaidoyer vibrant pour la paix, un appel à la vigilance et la conscience des générations actuelles et futures, un témoignage irréfutable sur l'absurdité de la guerre, un cri de désespoir et de révolte face aux oublis et réminiscences de l'Histoire, un document nécessaire pour notre génération et celles à venir, une leçon d'Histoire qui a un visage et un corps en couleurs, une voix rententissante: une âme.

Je regarderai les 5 autres épisodes et vous encourage fortement à regarder cette série documentaire unique, nécessaire, un travail remarquable (650 heures de rush pour 6 heures de film, 30 mois de travail, 100% d'images d'archives, 50% d'images inédites, 800 plans différents par épisode...),  une pierre indispensable  dans l'édifice colossal qu'est le devoir de mémoire, aussi indispensable que le « Shoah » de Claude  Lanzmann.

Je vous recommande également le site internet du documentaire, extrêmement bien fait, avec de nombreux documents inédits et le making off très instructif.


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