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Retour à Split

Publié le 04 septembre 2009 par Argoul

La ville de Vela Luka est sans caractère, tout est neuf ou refait. Le nom de la ville n’est-il pas celui d’un partisan, mort en 1941 contre les Allemands ? J’ai l’impression de parcourir une ville tout utile, soviétique, dont les constructions égalitaires n’ont ni style ni goût.

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Nous dînons au restaurant du Dalmatija d’un « velouté aux champignons » issu de poudre industrielle, d’une côte de porc grillée accompagnée d’une purée de poivrons, ce qui est déjà plus local, de frites pour faire international, et de deux carrés de flan au caramel tout aussi industriels que la soupe. Ce soir, nous ne buvons pas de vin.

En allant chercher les bagages à la nuit tombée, dans une salle désaffectée de l’hôtel qui donne sur l’avenue, nous apercevons deux prime adolescents se câliner sous les arbres. Ils ont à peine douze ans et c’en est émouvant. Le garçon est un beau petit mâle encore enfantin, rentré torse nu de la plage tout à l’heure avec son groupe de vacances. Il s’est douché, chemisé en laissant son col largement découvert pour exhiber sa chaîne d’acier au cou, les cheveux blonds décolorés artificiellement. Il s’est déjà créé une apparence, comme les stars en herbe de la télévision. La fille est une préadolescente gracile aux longs cheveux bruns soyeux. Elle porte un débardeur à même sa poitrine encore naissante et une jupe mini. Ses cuisses galbées la font voler dans la semi-obscurité tandis que ses petits seins dansent librement sous le coton. Le garçon les caresse parfois d’une main hésitante, la paume en creux comme s’il avait peur de les effaroucher. Les petits amants sont sages à s’étreindre et à s’embrasser, tout entier à leurs sensations. Ils montrent une tendresse éperdue, maladroite plutôt qu’érotique. Leurs mains se touchent, leurs corps se rapprochent, se frôlent, la fermeté de l’un répondant à la douceur plastique de l’autre. Ils explorent les conventions véhiculées par les films, le baiser sur la bouche, longuement, les caresses sur les hanches, la tête sur l’épaule. Ils sont touchants, beaux de leur innocence. Après cette vision attendrissante, nous allons nous coucher dans le square ombré de pins et de palmiers, très sombre, derrière l’église. Un chat huant crie en voletant d’arbre en arbre.

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Nous sommes réveillés peu avant l’aube par la montre d’Eff qui sonne. Nous devons prendre l’hydroglisseur de 5h30, un rapide, l’Adriana des inévitables Jadrolinija qui effectue le trajet Vela-Split en 2h, avec une étape à Korcula. La longue houle fait tanguer l’engin comme une limousine américaine. Mariam en devient nauséeuse. Je finis le gros roman policier d’Elisabeth George que j’ai emporté. Depuis hier soir, le séjour est fini. Le temps qui reste est le sas nécessaire de réadaptation progressive à la vie quotidienne : douche à l’eau douce, rangement des affaires, transports divers du retour. Le bilan est pour moi plutôt positif, malgré des faiblesses d’organisation et le budget nourriture indécent. Eff a rattrapé comme il le pouvait, mais qu’est-ce qu’une centaine d’euros de plus par personne pour manger correctement ? Le hasard du groupe n’a pas été toujours heureux. Au total, Eff calcule que nous avons parcouru 68 milles marins en kayak.

Arrivé à Split, une fois les bagages déposés à notre pension de l’aller, nous allons nous offrir un petit-déjeuner dans une pâtisserie sur une place. Je prends un croissant aux pistaches et, à la terrasse d’un bar, un chocolat réalisé comme un capuccino, nappé de lait mousseux comme de la chantilly. Je fais ensuite une petite sieste sur un vrai lit, dans la pension, pendant que les autres squattent les deux seules douches pour huit.

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Vers 11h30 après ma douche après les autres, je pars vers le musée Ivana Mestrovitcha, à 40 mn de la pension, au-delà du port de plaisance. Rosâne, repassée avant nous, a en effet laissé un mot pour nous souhaiter un bon retour et nous conseiller quelques lieux de visite possibles. Mestrovicth est un sculpteur du début du 20ème siècle manifestement inspiré par Rodin dans son Moïse ou dans son Prométhée, mais parfois créateur très original tel dans ce Job ou dans cette Jeune fille en corolle. Comme souvent des vrais artistes, ses modèles courent les rues de sa ville. Sa jeune fille est la mère de cette nubile à la poitrine déjà pulpeuse, croisée tout à l’heure en haut de bain sur le trottoir ; ce jeune garçon aux épaules et aux pectoraux de nageur dans un torse habitué à s’emplir d’air pour plonger, est ce gamin en short de bain bleu roi, cuit par l’été, une grosse croix au Christ apparent pendant au bout d’une chaîne d’acier jusque sur le sternum, rencontré au bord de port de plaisance avant d’arriver. Dans cette part du monde où se télescopent les croyances, catholique-latin, orthodoxe-serbe, islam-bosniaque, chacun se doit d’affirmer son appartenance. Le musée se visite vite, en trois-quarts d’heure. Il est installé dans une grande villa à étage au péristyle néo-grec dans le goût théâtral début de siècle dernier. Ce « mauvais goût », trop chargé pour notre esthétique d’aujourd’hui, se reflète aussi sur cette « tête de décideur » (qui porte un autre nom) où le caractère se montre au menton carré, aux mâchoires contractées, aux sourcils froncés, d’un volontarisme d’Annunzien passé de mode, aussi spectaculaire qu’inefficace. La force n’est pas dans la rigidité mais dans la souplesse, La Fontaine l’avait dit dans Le chêne et le roseau, mais le 19e siècle bourgeois n’était pas cultivé. Il a fallu les catastrophes du 20e siècle pour que l’humilité revienne et que l’école de l’Asie montre sa supériorité : le zen exige d’être comme de l’eau, plastique et obstinée, s’infiltrant là où elle veut par la moindre fissure.

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Je vais me perdre dans les petites rues au-dessus du port à voiles pour déjeuner. La Konoba Varos, sise Ban Mladovena au numéro 7, m’accueille. Pour 130 kunas (20€), je suis sustenté d’une salade de poivrons, de deux gros calamars grillés arrosés d’une huile d’olive locale goûteuse, amère et parfumée, d’un demi litre de bière locale et d’un café. L’auberge est chic, référencée par Diner’s club et payable par carte bancaire. Il me reste des kunas à écouler.

J’erre ensuite un moment dans les ruelles pittoresques et fleuries, mais qui se terminent souvent en impasses, puis dans les quartiers neufs, déserts en ce samedi à l’heure de la sieste. Je grimpe le mont Marijan (prononcez « Marianne ») sous une fournaise infernale, où s’élève une chapelle à saint Jérôme du 15e siècle (restaurée). Ne voulant pas aller trop loin du bord de mer, je redescends tant bien que mal par les sentiers en pente, puis par les villas chics entourées de végétation rafraîchissante, aux terrasses dont la vue est « imprenable » sur la mer. Je rejoins la route et le musée archéologique. Il était ouvert ce matin mais est fermé dès 13h car nous sommes samedi. Il est trop tard. En semaine, il ouvre de 10 à 19h. J’achète un demi litre d’eau minérale fraîche et je reviens vers la vieille ville, toujours à pied, pour boire un autre demi litre, mais de bière cette fois, de la Zadgorova à l’étiquette au bouquetin. Je m’installe pour ce faire sur les deux seules tables extérieures de la minuscule Pizza Farino, située à l’angle stratégique de la U. Adamova et de la U. Krechtovkova. Passent sous mes regards des touristes, des filles, des enfants. Je note que les seuls touristes à consulter un plan au lieu d’errer au hasard dans les rues, sont les Français. Ils plongent studieusement le nez dans un guide plutôt que de lever les yeux et de se laisser emplir par ce qui s’offre. Toujours scolaires, les Français !

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Il fait encore très chaud, mais la pension est un lieu assez calme pour mettre ces dernières notes à jour. Je lis un peu jusqu’à 19h30, heure du rendez-vous pour le dernier repas. Nous allons à deux pas de la pension, là où nous avions pris un petit-déjeuner à l’aller. Nous goûtons un vin blanc nommé Gratsevina, un peu râpeux et pas très bon. Il a des saveurs contradictoires d’acide et de fruit. En général, dans le sud, les vins blancs sont inférieurs aux rouges selon mon expérience. Le repas tente de se racheter du démarrage laborieux des premiers jours. Il est plantureux, comprenant une salade mixte et une assiette aux trois viandes, large comme une pizza. Glenn « n’aime pas » un tas de choses, les viandes rouges, le fromage, et j’en passe. Répugnances névrosées d’adolescente. Braque porte un autre tee-shirt de son innombrable collection. Il affiche cette fois « SPLIT », mais ce n’est pas la ville, seulement une marque de skate de plus - pour initiés.

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Je passe une dernière et excellente nuit dans un vrai lit. Le lendemain matin, je tente à nouveau d’aller voir le musée archéologique. Il est encore fermé, tous les musées sont fermés le dimanche ! La tradition catholique l’emporte sur le souci socialiste d’éduquer le peuple. Les voiliers quittent un à un le port de plaisance, les corps libres au soleil sur les ponts. Je petit-déjeune d’un espresso en terrasse d’un café d’habitués, en retrait de l’avenue qui borde la mer. J’assiste à la fin de la messe à la cathédrale, dont je peux voir ainsi une partie de l’intérieur depuis l’entrée. Il y a foule et nombre de fidèles sont debout. C’est un héritage romain, comme tout le quartier alentour d’ailleurs inscrit au Patrimoine Mondial de l’UNESCO.

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Stupidité administrative : depuis la Croatie, sur Croatian Airlines, les piles ne doivent surtout pas être dans la soute mais dans les bagages à main  – à l’inverse de la pratique de toutes les compagnies ! Depuis Roissy, sur la même compagnie, elles devaient être dans la soute.

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