Le procès de l'affaire Clearstream approche. On peut être sûr que d'ici le 21 septembre prochain les révélations et les pressions diverses et variées se multiplieront. Ce spectacle public et judiciaire du déchirement des droites a quelque chose d'inédit et de terrifiant.
Clearstream, un nom familier
Clearstream est l'une des principales chambres de compensation internationale, basée au Luxembourg. La société a été soupçonnée, depuis les révélations du journaliste Denis Robert il y a une dizaine d'années, de gérer des milliers de comptes occultes pour toutes sortes de clients: grandes entreprises, particuliers, banques, dirigeants et partis politiques. Après des années d'enquêtes et de procédures contre lui, Denis Robert a jeté l'éponge. Les juges en charge de l'instruction sur des commissions occultes de Thomson Thalès se sont notamment intéressés à Clearstream. En 2004, des listes de détenteurs de comptes occultes, mentionnant diverses personnalités politiques dont Nicolas Sarkozy, circulent dans la presse. Ils auraient été transmis par un auditeur, Florian Bourges, à Denis Robert, qui lui même les aurait transmis à Imad Lahoud. Ce dernier a reconnu les avoir trafiqué. Dès 2004, Sarkozy soupçonne Villepin, et par ricochet Chirac.
Le 21 septembre, débutera le procès de cette affaire. Cinq prévenus vont comparaître Dominique de Villepin, Jean-Louis Gergorin (ancien dirigeant d'EADS), Imad Lahoud (ancien collaborateur de la DGSE), le journaliste Denis Robert et un auditeur financier, Florian Bourges. Les parties civiles sont 42, dont Nicolas Sarkozy.
Le cas Lahoud
Samedi 5 septembre, le JDD publie des extraits d'un procès verbal d'audition d'Imad Lahoud qui date du 9 décembre 2008: ce dernier reconnait avoir bidonné les fichiers Clearstream en ajoutant notamment le nom du père de Nicolas Sarkozy.
"J’ai recopié sur une feuille Excel deux noms avec des comptes bancaires attachés qui se sont retrouvés dans les faux listings Clearstream. Je reconnais devant vous aujourd’hui l’avoir fait." Avant de s’expliquer en détail: "J’ai fait ce travail à la demande de Jean-Louis Gergorin… J’ai en effet recopié en février ou mars 2004 des noms soit de Nagy Bocsa, soit de Bocsa Nagy, je ne souviens plus dans quel ordre. J’ai recopié ces deux noms sur une feuille Excel vierge avec 5 ou 6 colonnes, noms, pays, banque, numéro de compte, ouverture clôture… C’est Gergorin qui m’avait donné le modèle manuscrit et je n’ai fait que recopier sur une feuille Excel le modèle… Je m’en voudrais toute ma vie"Lahoud explique également qu'il l'avait fait sur demande du directeur des RG de l'époque, et "sous la connaissance" de Dominique de Villepin :
"Gergorin avait un projet pour moi. Il m’a encerclé partout, poursuit Lahoud devant le juge. Toutes ces histoires de secret. C’était me conditionner sur ma sécurité, pour que le jour J on me demande de faire un acte. C’est ce qui s’est passé… Je suis rentré dans leur jeu de secret. C’est ce que je reconnais devant vous aujourd’hui", poursuit l’informaticien. Le juge d’Huy l’interroge sur le "jeu de secret"… "Le jeu de secret c’était de monter une cabale contre Nicolas Sarkozy, embraye Imad Lahoud. C’est ce que m’a expliqué Jean-Louis Gergorin quand il m’a demandé de rajouter les noms de Nagy et Bocsa. Il m’a dit que cette personne était dangereuse pour la France et qu’il fallait à tout prix l’écarter. En faisant cela je contribuais à écarter Nicolas Sarkozy. Je savais que Jean-Louis Gergorin était en contact avec Dominique de Villepin et que la cabale contre Nicolas Sarkozy était montée sous la connaissance de Dominique de Villepin. C’est ce que m’a dit Jean-Louis Gergorin au moment où il m’a demandé de recopier le nom de Nagy et Bocsa sur cette feuille… Jean-Louis Gergorin a fait pression sur moi pour que je rajoute ce nom. Il insistait énormément pour que je le fasse. J’ai cédé et je n’aurais pas dû."
"Jean-Louis Gergorin m’a demandé à plusieurs reprises dans son bureau à EADS, boulevard Montmorency, de faire ce travail avant que je ne l’accepte, répond Imad Lahoud sur procès-verbal. Je n’ai pas exécuté ce travail dans les locaux d’EADS. Je l’ai fait dans le bureau d’Yves Bertrand au ministère de l’Intérieur, place des Saussaies, et en présence d’Yves Bertrand et de Jean-Louis Gergorin qui m’a donné l’ordinateur portable."Evidemment, cette révélation aurait dû faire l'effet d'une petite bombe. Pourtant, on pourrait sourire: la description de la scène, note l'un des avocats, est risible : le patron des RG convoque dans son bureau un mathéticien pour saisir manuellement des noms sur un fichier Excel vierge... Excel est l'une des applications Windows les plus utilisées du marché. Nul besoin de recourir à un mathématicien, de surcroît tel Imad Lahoud... L'avocat de Dominique de Villepin rappelle un autre élément, troublant : l'audition de Lahoud, révélée opportunément par le JDD une quinzaine de jours avant le procès, a été réalisée... une fois l'instruction close.
Yves Bertrand, barbouze blessé ?
Yves Bertrand est également sorti de son silence. L'ancien patron des Renseignements Généraux sort un livre d'entretiens avec le journaliste Frédéric Ploquin. L'hebdomadaire Marianne en a publié quelques bonnes feuilles. A l'entendre, la vérité est assez simple: son ancien poste est à la croisée de toutes les manipulations, tous les camps jouaient à ce jeu dangereux (Sarkozy comme Chirac), et Sarkozy l'a toujours détesté. Aux révélations d'Imad Lahoud du week-end, il réplique qu'elles sont fausses: il n’a "jamais rencontré" Imad Lahoud. "C’est un fou, ses assertions sont rocambolesques". "Compte tenu des éléments dont je dispose, dit-il également dans son livre, mon intime conviction est que Nicolas Sarkozy a été informé de cette affaire [Clearstream] plus tôt qu’on ne l’a dit." Yves Bertrand ajoute même qu'il surveillait Lahoud depuis 2001, car ce dernier était "traité" par François Casanova, "un homme de Bernard Squarcini". Ce dernier était son second aux RG. Proche de Nicolas Sarkozy, il est devenu patron de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) en juillet dernier.
Un procès politique
Le spectacle commence. Gageons qu'il sera bon. Les pressions médiatiques et opportunes sont légions: il y a quinze jours, le procureur Jean-Claude Marin s'était exprimé au micro d'Europe 1 pour attaquer Dominique de Villepin. Qu'un procureur, en charge de l'affaire, prenne ainsi publiquement position à quelques semaines du procès est tout simplement choquant. Le même Marin fut en charge de l'affaire du "gang de Tarnac". Samedi dernier, c'était donc au tour d'Imad Lahoud et d'Yves Bertrand d'entrer dans la danse.
A qui le tour ?
Comme l'ont noté divers commentateurs, il est clair que ce procès est éminemment politique. Sarkozy souhaite faire payer Villepin. Il espère même l'enterrer politiquement. "Ce procès, qui doit s’ouvrir le 21 septembre, est l’aboutissement judiciaire du combat sans merci que Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy se sont livrés en 2004-2005 pour la prise de contrôle de l’UMP, clé de la présidentielle de 2007" rappelle Luc Rosenzweig sur Causeur.
Rien n'est surprenant dans toute cela. Nicolas Sarkozy n'aime pas la concurrence, mais adore les boucs-émissaires.
Clearstream est du pain béni pour lui. Le spectacle sera bon.
Lire aussi:
- Les rouages de l'affaire Clearstream (Le Monde)
- Sous la connaissance de Dominique de Villepin (Le JDD)
- Le retour des bonimenteurs (Reversus)
- Affaire Clearstream : une Justice exécutive (AgoraVox)
- Halte au Complot (Dominique de Villepin)
- Affaire Clearstream, Penal's Panic (Diner's Room, 2007)