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La presse online joue-t-elle son avenir avec le payant ?

Publié le 07 septembre 2009 par Jérémy Dumont


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La crise actuelle aggrave la situation déjà précaire des groupes de médias et les patrons de presse en ligne cogitent : et si le modèle économique des sites accessibles gratuitement, financés par la publicité, devait être remis en question ? Pas faux à première vue. La crise est telle cette fois ci que les annonceurs se font plus rares et surtout, ils choisissent les supports qui leur offrent un retour sur investissement maximum. Et dans ce domaine, on ne peut pas dire que le web soit particulièrement mirifique : taux de clics en constante dégringolade, campagnes de publicité sans effet – au mieux – ou même parfois vertement critiquées par les internautes-consommateurs, bref, la publicité en ligne s'apparente plus à la déception voire au chemin de croix qu'au nouvel âge d'or promis il y a quelques années. Ce mauvais état de santé de la publicité en ligne complique encore la tâche des grands groupes médiatiques, souvent propriétaires de sites en lignes aussi onéreux que prestigieux. La liste est longue : Le Monde, le Figaro, Libération en France, le New York Times, le Washington Post aux USA pour la noble et respectable presse papier, les sites des grandes chaines de télé ou de radio (TF1, France Télévision, CNN, CBS et autres), toutes ces plateformes massivement consultées voient leur chiffre d'affaire publicitaire baisser, parfois s'effondrer.

Et en face, les coûts sont élevés : les systèmes de gestions dynamiques de sites (Content Management System ou CMS) utilisés sont des solutions professionnelles très coûteuses à l'achat et à la maintenance; les architectures de serveurs sont lourdes et elles aussi très chères à mettre en place et à maintenir. Car, bien évidemment, il est hors de question pour des sites d'une telle notoriété de souffrir des bugs et autres interruptions de services que peuvent subir leurs petits frères moins connus ou « pure players » … S'ajoutent à cela des rédactions qui, si elles ne sont pas au niveau de leur homologues de la presse « off-line », génèrent tout de même des charges substantielles. Le web serait-il donc un gouffre financier, comme semble le penser Rupert Murdoch ?

Pourquoi, dans un tel cas de figure, ne pas faire payer les lecteurs ? Après tout, cela marche bien avec le journal papier. Il ne viendrait à l'idée de personne (ou presque) d'arriver au kiosque à journaux, de se servir et de partir sans rien débourser. Il y a bien les gratuits qui bénéficient d'un lectorat record, mais leur image de marque est … ce qu'elle est ! Le groupe de Murdoch réfléchit donc sérieusement à cette solution : mettre fin au règne quasi absolu de la gratuité sur le web et commencer à faire payer les lecteurs des sites du groupe : vous voulez lire le Times, payez, braves gens ! Cette solution pourrait être mise en pratique d'ici l'été 2010 sur l'ensemble des sites internet du groupe.  Après tout, le Wall Street Journal s'en sort avec plus d'un million d'abonnés, à raison d'une centaine de dollars par an.

Oui, mais.

Mais le New York Times a déjà testé cette idée et y a renoncé, n'ayant pu drainer que 230 000 lecteurs payants. Mais Médiapart en France, qui refuse depuis son lancement de fournir une information – présentée comme de qualité – gratuitement, n'a pour le moment gagné que quelques dizaines de milliers d'abonnés, loin du point d'équilibre financier. Mais les premières réactions des internautes sont particulièrement négatives : la fin de la gratuité est assimilée à la fin de la liberté, les commentaires exaspérés s'indignant de la main mise de l'argent roi sur un secteur encore protégé se multiplient.

Le constat de News Corp. est, à mon avis, dangereux pour eux : je suis prêt à parier que les grands sites du groupe ont une audience forte, même si elle est difficile à capitaliser d'un point de vue publicitaire, mais cette audience sera-t-elle la même quand il faudra que l'internaute paie pour lire les mêmes papiers, accéder à la même actualité ? Le Figaro.fr, l'un des premiers sites d'information francophone, se portera-t-il mieux si l'accès à ses articles est rendu payant ? Pas sûr. Car, le passage au crible des commentaires postés par les internautes après chaque article donne un résultat mitigé. Certes, les lecteurs sont là. Mais ils sont souvent râleurs, insatisfaits de ce qui leur est proposé. Papiers médiocres, sujets bateaux ou convenus, fautes d'orthographe et de grammaire, conformisme ambiant, absence d'une ligne éditoriale tranchée, les griefs du lectorat sont nombreux. Dans ce cadre, il n'est pas certain que ce que les internautes consomment gratuitement avec de la frustration, il soient prêts à le consommer encore, s'ils doivent payer. En clair, le passage au payant risque fort d'engendrer une baisse significative du lectorat. Quel intérêt, alors, si les abonnements génèrent moins de revenus encore que la publicité et se traduisent par une baisse d'influence du titre ? Sans compter qu'une information payante sera nettement moins reprise par les agrégateurs de contenus, au premier rang desquels on compte Googlenews. Les sites gratuits – car il en restera – vont-ils damer le pion aux grands sites payants en terme de notoriété, génératrice d'influence et d'augmentation du lectorat ?

Est-ce à dire que la tentative est vouée à l'échec ? Pas si sûr. La passage au payant est une stratégie intéressante pour peu qu'on se donne la peine de fournir aux clients – car là, on doit parler de clients ! - un produit qui les satisfait. Le Wall Street Journal a réussi son pari parce qu'il est l'un des quotidiens économiques de référence, lu partout autour de la planète. Spécialisé, incontournable, de qualité, il réunit de sérieux atouts pour séduire un vaste lectorat malgré la barrière de l'abonnement.

Mais cela peut-il s'appliquer à la presse généraliste ? Oui, à condition que celle ci sorte enfin d'un mode de fonctionnement qui l'a amenée à ne plus être qu'une machine à reprendre les dépêches d'agence sous un habillage parfois tellement succinct qu'il m'arrive souvent de retrouver une même info présentée quasiment au mot prêt sur le Figaro ou Libération. La presse généraliste a oublié ces dernières décennies que l'information n'est pas un produit comme un autre et qu'on ne la vend pas comme un paquet de lessive interchangeable. La presse, née avec l'avènement de la démocratie (cf les premières lois sur la liberté de la presse pendant la révolution), véhicule bien autre chose qu'une bête actualité. Un journal est encore un signe social distinctif. Lire un site web plutôt qu'un autre, c'est s'engager. Dire qui on est et où on se situe socialement.

Le passage réussi au payant ne pourra se faire que si les sites internet se remettent à fonctionner selon ces principes anciens mais toujours pertinents : un abonné de Libération ne supportera pas de voir son journal, ou son site, tenir le même discours que le journal d'en face. Le passage au payant signifie peut être que les patrons de presse vont devoir remettre de l'argent dans le système pour que les journalistes cessent de faire du « desk » pour retourner sur le terrain, traquer l'info, le scoop, donner l'éclairage original, dire ce que personne d'autre ne dit.

De plus, il y a fort à parier qu'au delà d'une information de qualité, les abonnés demanderont des services complémentaires : outils de réseaux sociaux, forums de discussion de nouvelle génération, newsletters personnalisables, e-alerts sur des sujets choisis, site accessible sur des supports multiples et variés, la liste des demandes possibles est longue.

Autrement dit, le passage au payant pourrait s'avérer coûteux !

Qui, dans un tel cas de figure, trouvera le bon dosage ? Qui saura trouver le juste prix, qui aura le tarif d'abonnement assurant à la fois le financement d'une activité journalistique renouvelée et la rentabilité d'un site web se devant d'être à la pointe de la technologie ?

C'est la question à laquelle News Corp. le groupe de Murdoch, va devoir répondre. Lui ainsi que tous les autres groupes de presse. Car si j'ai une certitude sur ce sujet, c'est la suivante: pas un internaute ne paiera pour lire une information de mauvaise qualité. Et si cela est un casse tête pour la presse en ligne, permettez moi de m'en réjouir car c'est un signe de bonne santé démocratique.

La presse en ligne doit désormais prendre son destin en main. Quelle direction va-t-elle prendre ?


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