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Comment Google défend ses intérêts stratégiques à Washington et à Bruxelles ?

Publié le 07 septembre 2009 par Opinionwatch

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Le Wall Street Journal publiait il y a quelques semaines un article concernant le lobbying de Google à Washington, suite à la mise en ligne d’un rapport administratif détaillé par la Chambre des Représentants dans le cadre du Lobbying Discloture Act, datant de 1995; L’occasion de mieux comprendre les grands enjeux stratégiques et politiques  actuels de ce géant californien.

D’abord en ce qui concerne le budget,  son montant atteint $950,000 pour le second trimestre 2009 soit une hausse de 30% par rapport à 2008 et concerne l’activisme de Google auprès de la Chambre des Représentants, d’organismes de régulations tels que la FTC (Federal Trade Commisson) et de la Maison Blanche. A Bruxelles, Google est inscrit au registre volontaire des lobbyistes et affiche un budget compris entre 300 000 et 350 000 euros pour l’année 2008 (environ 20% du budget global).

“There is a growing number of issues being debated in Washington affecting the Internet and our users and we feel it is important to be involved in those debates,” a déclaré Adam Kovacevich, porte-parole de Google.

Il est clair que le champs d’implication de Google dans le débat public est plutôt large, allant du droit d’auteur aux énergies renouvelables, mais le cœur de ses préoccupations concerne l’adoption des technologies de cloud-computing, l’extension du réseau internet et surtout la régulation de la publicité en ligne sur laquelle repose  97% de ses revenues.

Ses investissements coïncident avec la volonté des législateurs américains de limiter la collecte des données en ligne à des fins de ciblage publicitaire et Google fourni  sur ce point ultra-stratégique un gros effort de pédagogie pour conserver ses droits. Nicole Wong, qui représente la société sur les questions de propriété intellectuelle, livrait en juin dernier à une sous-commission de la Chambre des Représentants une explication détaillée des bénéfices de la “publicité comportementale” et des dernières évolutions d’Adsense (Interest-based advertising) en matière de expérience utilisateur et de protection des données personnelles. A noter que Google fait preuve d’une grande transparence dans ces démarches et rend accessible l’audition en sous-commission, le discours de N.Wong retranscrit et la plupart des documents d’information distribués à Washington.

A la question de l’accès universel au réseau internet, Google participe aussi activement aux débats aux États-Unis  dans le cadre du Broadband Plan, lancé par la FCC (Federal Communications Commission) et qui vise à rassembler les meilleurs propositions à présenter au Congrès en 2010. Parmi les idées que Google défend ouvertement, figurent l’accès des écoles, bibliothèques et autres établissements publiques à la fibre optique et la mise en place de mesures incitatives en direction des FAI pour qu’ils privilégient la fibre optique  sur les nouveaux réseaux. Sa stratégie pour convaincre et peser dans les décisions s’articule autour de deux initiatives : Elle s’appuie d’abord sur la New America Foundation, un think tank créé en 1999 à Washington et dont le Président du Directoire n’est autre que Eric Schmidt, CEO de Google. L’action de Google s’intègre dans un large programme appelé Wireless Futur Program qui entretient des liens  très rapprochés avec la FCC et la presse. Ensuite, Google a lancé il y a un mois une plateforme publique pour  permettre aux internautes de proposer directement leurs idées et voter pour les meilleurs propositions. 2100 personnes ont participé, avec 530 idées qui ont elles-mêmes reçus 45,300 votes. Au-delà de l’aspect “crowdsourcing”  intéressant de l’opération, il me semble que c’est aussi un moyen efficace d’amener une sorte de “légitimité populaire” à son argumentation et de mieux convaincre le législateur américain en jouant la carte de la démocratie. Enfin, Google compte prochainement mettre la pression sur les FAI en apportant aux internautes des outils en ligne leur permettant de vérifier la qualité de leur connexion.

En ce qui concerne le droit d’auteur, Google fait en ce moment  l’objet d’une double investigation lancée  d’abord par le Département de Justice américain début juillet et ensuite par la Commission Européenne pour faire la lumière sur une plainte déposée en 2005 par deux associations représentant les détenteurs de droit d’auteur aux États-Unis, the Authors Guild et the Association of American Publishers. En 2008, Google avait finalement conclu un accord à l’amiable pour un montant de 125 millions de dollars lui permettant de prendre part au profit issus de la vente de ces éditions en ligne. Dans cette affaire, c’est la rentabilisation du service de bibliothèque numérique Google Book Search et ses 7 millions de livres scannés qui est directement visée; Et d’autres acteurs majeurs comme Amazon et Sony ainsi que des experts renommés proches de Tim O’Reilly s’opposent fermement au projet en criant au monopole. Dans ce contexte houleux, Google a organisé à ses frais une visite  à plusieurs membres de la Chambre de Représentants, du Sénat et de la FTC pour s’expliquer plus directement sur la question. En Europe, l’entreprise a récemment rencontré la Commission européenne pour discuter des implications de cet accord au plan européen et rassurer les éditeurs déjà très tendus sur le sujet.

Un dossier brûlant concerne enfin Google Health, la portabilité des données et in fine l’accès des patients a leurs dossiers médicaux. Aux États-Unis, ces informations (Electronic Health Records -EHRs) sont gérées conjointement par les hôpitaux et les médecins selon la loi HIPAA datant de 1996. Aujourd’hui, Google tente de profiter de la réforme du système de santé initiée par Obama pour rendre les dossiers médicaux accessibles au patients (Personal Health Record -PHRs) et conformes aux standards web, ce qui ouvrirait leur exploitation dans le cadre de son service Google Health. L’entreprise forme sur ce point un tandem avec Microsoft, qui travaille de son côté sur le service Health Vault. Eric Schmidh (CEO de Google) et Craig Mundie (CRO de Micorsoft) participaient en août au Presidential technology Council pour faire entendre leur position aux officiels chargés du volet technologique (de cette réforme) dont le CTO Aneesh Chopra en personne. Avant cela et dès le mois de juin 2009, la stratégie de Google pilotée par Adam Bosworth se mettait en place au travers de la ”Declaration of Health Data Right“, un mouvement lancé avec les poids lourds de l’information médicale (Dossia, Web MD, TedMed…) pour donner de la profondeur au débat et inciter les internautes à prendre position. Sans surprise, la question suscite énormément de tensions au plan politique d’autant que l’on commence aujourd’hui à critiquer le Président sur ses relations avec les lobbyistes de l’industrie pharmaceutique…

Enfin l’influence de Google s’exerce de manière directe sur l’administration Obama par l’intermédiaire d’Eric Schmidt, conseiller du président et membre de son conseil économique. Certains ex-employés ont également rejoint la nouvelle administration comme Andrew McLaughlin, anciennement grand patron des affaires publiques chez Google qui a fait partie de l’équipe de transition d’Obama. Après une vive polémique entretenue par le Center For Digital Democraty et Consumer Watchdog, deux associations très actives sur les questions numériques et viscéralement google-sceptiques, sa nomination a finalement été confirmé. Il est désormais en poste sous la direction du CTO Aneesh Chopra dont la fonction est d’organiser l’agenda du Président relatif aux technologies de l’information. Difficile ne pas imaginer dans ce contexte un léger tropisme en faveur de Google.

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Dernier point, il est important de mettre les faits en perspective et de reconnaître que Google reste un acteur presque marginal sur un plan strictement budgétaire par rapport à ses concurrents Microsoft ou AT&T par exemple, qui ont respectivement investi $1.9 million et $3.1 million au second trimestre 2009. Ce tableau comparatif (fourni par Google) permet de mieux se rendre compte de la situation. En définitif, Google prend une part de plus en plus importante dans la gestion des données informatiques aux Etats-Unis et intervient, à ce titre, sur les questions cruciales de santé publique, de développement urbain  et d’infrastructure publique, en plus des sujets qui  relèvent strictement de son métier. Dans ce contexte, la stratégie de lobbying de Google se traduit quasi-systématiquement par le dialogue ouvert avec l’ensemble des parties prenantes, le placement d’employés dans les organisations influentes,  la vulgarisation du débat pour provoquer une réaction auprès du grand public via internet et la communication en toute transparente sur ses ambitions. A noter aussi que l’action de Google s’inscrit parfaitement dans l’agenda présidentiel et dans les grands projets de l’administration Obama, ce qui permet à l’entreprise de profiter des enjeux nationaux pour faire entendre ses préoccupations et d’accroître ainsi son influence au sommet de l’Etat américain.


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