Criticus mieux que Le Dessous des cartes, non. J'aime beaucoup l'émission de Jean-Christophe Victor, en dépit du gauchisme manifeste du géopolitologue. Je préfère un gauchiste intelligent à un ministre UMP, c'est quand même bien plus enrichissant.
Mais il arrive qu'il tombe dans la propagande , un sentiment que partage Jean Robin, qui m'a envoyé cette vidéo (que ses talents d'informateur soient ici célébrés).
Il s'agit d'une émission intitulée « Occident VS Orient », dans laquelle il est question des tensions entre le monde occidental et le monde arabo-musulman.
Comme souvent dans le discours géopolitique dominant, Victor commence par dénoncer l'analyse effectuée en 1993 par Samuel P. Huntington dans la revue Foreign Affairs, où il prophétisait, après une Guerre froide marquée par l'idéologie, le « clash », le choc des civilisations.
Victor s'insurge contre l'équivalence faite par Huntington entre civilisation et religion. Des neuf grandes civilisations répertoriées par Huntington (Afrique noire, Amérique latine, Chine, Inde, Islam, Japon, Monde bouddhiste, Occident, Orthodoxie), quatre sont en effet définies selon la seule religion (Inde, Islam, Monde bouddhiste et Orthodoxie), auxquelles on peut ajouter l'Occident et la Chine, dont les héritages judéo-chrétien et confucéen respectifs vont de soi pour tout amateur d'histoire.
Même si cela doit chagriner M. Victor, les principales civilisations du monde ont toutes des racines religieuses, dont les principales valeurs fondatrices procèdent.
Il n'y a qu'en Occident que la religion (chrétienne) a été sécularisée, laïcisée, mais pour être vite remplacée par des messianismes politiques (communisme, fascisme, nazisme, et aujourd'hui écologisme), plus religieux encore que le christianisme...
L'athéisme, l'agnosticisme, ne sont peut-être qu'un luxe d'intellectuel (occidental).
Un autre luxe d'intellectuel occidental, qui relève d'ailleurs plus du fantasme, est le « dialogue des civilisations », que Victor s'attache à défendre tout au long de l'émission. Ce débat entre universitaires et politiciens du monde entier (comme si les tensions entre les cultures pouvaient être réglées par des colloques entre des personnes ayant peu ou prou le même mode de vie) a pour but de conjurer le choc des civilisations. Étonnant, que l'on puisse réfuter un processus, puis tout mettre en œuvre pour l'enrayer. C'est que, pour Victor, et les gens qui partagent ses idées, le choc des civilisations ne résulte pas des civilisations elles-mêmes, mais de la seule volonté des idéologues huntingtoniens. C'est accorder beaucoup d'importance à un article de revue vieux de 16 ans déjà que d'en faire la matrice de l'ordre mondial.
Mais il est une chose plus curieuse encore dans le discours de Victor, et que Maxime Zjelinski a magistralement déconstruite : on ne s'accuse que par orgueil, on ne dédouane que par mépris. Victor n'attribue en effet les tensions - dont il reconnaît du coup l'existence - entre les mondes occidental et arabo-musulman qu'à ce qu'il présente comme les prédations du premier, quitte à faire passer l'URSS dans le camp occidental, lors de l'invasion de l'Afghanistan (1979).
L'idée qui préside au « dialogue des civilisations » est que les Occidentaux sont les seuls responsables des évolutions qu'ont prises les pays musulmans au cours des dernières décennies. Par exemple, Victor attribue la Révolution islamique de 1979 à la fragilisation de l'Iran par le coup d'État de Reza Shah contre Mossadegh, en 1953, avec l'aide des services secrets américains et britanniques. Il attribue également l'instauration du régime des Talibans en Afghanistan à l'invasion soviétique en Afghanistan, puis au financement de la rébellion victorieuse par les Occidentaux.
Pour reprendre les termes de Maxime Zjelinski, c'est à la fois beaucoup d'orgueil de la part des Occidentaux et beaucoup de mépris pour les islamistes. Si seuls les Occidentaux sont coupables, s'il leur suffit de ne pas faire le mal pour que règne le Bien, c'est donc qu'ils prétendent à une toute-puissance qui ne peut que reléguer l'autre dans une position de faire-valoir, sa riposte n'étant plus qu'un ricochet.
Ce « dialogue des civilisations » où les Occidentaux s'affligent entre eux de leurs crimes réels et supposés pour mieux se féliciter de leur rédemption, ce « dialogue » où autrui n'a pas droit à la parole a un nom : le soliloque. Le soliloque occidental.
Roman Bernard