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Suicides, France Télécom, Le Monde, Werther

Publié le 12 septembre 2009 par Christophefaurie

Un article du Monde interloque ses commentateurs. Le journal a demandé aux employés de France Télécom de parler de leurs conditions de travail. Deux types de témoignages : 1) conditions de travail abjectes, 2) l’entreprise est un paradis.

L’abjection des conditions de travail est relative

Ce ne sont pas les mêmes personnes qui parlent. D’un côté on a des employés, de l’autre, notamment, un cadre supérieur et des prestataires de service, qui aimeraient bien être fonctionnaires et salariés de FT.

J’enseigne (à temps partiel) à Dauphine. Mes collègues trouvent les conditions de travail effroyables, les élèves insupportables, l’administration soviétique, leurs collègues hostiles. Moi ? Je suis heureux dans ce monde, qui m’aime bien. Il m’est presque inconcevable que l’on puisse gagner sa vie aussi agréablement et en travaillant si peu. Exemple identique. Une parente qui est enseignante dans le secondaire (à mi-temps) et, depuis toujours, se lamente sur son sort, est surprise du bonheur d’un collègue, ancien ingénieur chimiste.

Ce qui explique l’opposition des témoignages, c’est qu’il y a d’une part des gens adaptés à la société libérale, qui ont compris qu’ils ne pouvaient compter que sur eux, et que la fin justifiait les moyens, et de l’autre des gens qui ne le sont pas.

M. Chérèque a vu juste : ce qui est en cause, c’est l’identité des employés de FT.

Le changement ne doit jamais porter sur l’homme

Le changement, s’il touche l’homme, peut le détruire. L’homme a énormément de mal à se transformer. Si le grand changement qu’est la crise de l’adolescence est terrible, plus nous vieillissons plus le changement est douloureux, car l’homme « s’automatise » : ses réflexes deviennent rapides et efficaces, mais peu malléables.

C’est pour cette raison que le changement ne doit jamais porter sur l’homme, mais sur les règles qui guident la société (les évolutions du code de la route ne nous demandent pas d'apprendre un nouveau type de conduite).

Le suicide est contagieux : l’effet Werther

Plus on parle des suicides chez France Télécom, plus ils se précipitent, deviennent spectaculaires (on se suicide à la sortie d’une réunion), et plus on en parle. Ce phénomène est l’effet Werther, du Werther de Goethe, qui a déclenché une épidémie de suicides. On a observé qu’un suicide frappant avait pour résultat :

  1. une augmentation significative des suicides, par imitation ;
  2. une augmentation significative « d’accidents », qui sont des suicides déguisés (par exemple parce que le suicide n’est pas culturellement acceptable par la personne).

Plus le suicide est médiatisé plus il est contagieux.

Le suicide est socialement rationnel

Je n’aimerais pas être le patron de FT, ou même son DRH. De plus en plus, leur nom est associé dans nos esprits non seulement à « suicide », mais à conditions de travail abjectes. Commencent-ils à sentir le regard réprobateur de la société, de leurs camarades d’études ou de corps, qui les évitent... ? Vont-ils devenir des pestiférés ? Le suicide est un terrible moyen de pression sur la société, d’autant plus que les suicides de FT utilisent les médias comme « caisse de résonnance ».

Ce qu’il y a d’étrange c’est que des hommes puissent se donner la mort, en se coordonnant, par esprit de vengeance, pour faire respecter ce qu’ils croient la justice ; et que cette tactique est efficace ; et que ces sacrifices profitent à l’humanité. L’irrationalité de l’homme va jusqu’à se tuer pour faire le bien collectif.

Le nom du changement chez FT : individualisme

FT est un exemple de la transformation libérale qu’a subi la société ces dernières décennies. Cette transformation part du principe que l’homme ressemble à ce que la théorie économique néoclassique modélise : il est « rationnel », il optimise en permanence et de manière optimale son intérêt (surtout financier), ou « utilité ». Cet homme est un asocial.

Cet homme n’est pas loin d’exister dans les entreprises américaines, de plus en plus dans les multinationales occidentales, dans l’intérim, le service… C’est lui qui est sujet à l’aléa moral lors des crises, et qui prend alors ses jambes à son cou, créant ainsi la crise.

Ce qui se joue chez France Télécom, c’est une application sans ménagement de ce modèle. Ces suicides sont le baroud d’honneur de la solidarité sociale.

Compléments :

  • L’effet Werther est une découverte du psychologue David Phillips (voir le livre de Robert Cialdini : Influence : science and practice).
  • Ce que disent les psychologues de la capacité de l’homme au changement en fonction de son âge : L’homme est naturellement résistant au changement.

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