Je voulais publier dans Mouvements cette fiche de lecture du livre de Jean Baubérot : Une laïcité interculturelle : Le Québec, avenir de la France ?, Éditions de l'Aube, 2008. Finalement ce texte ne se trouvera qu'ici en 3 billets.
Les accommodements : «traiter de manière différente des personnes en situation différente »
Le principe de l'accommodement ou de l'ajustement repose sur une discrimination systémique, loin d'être forcément intentionnelle. Des effets non-prévus découlent de certains fonctionnements légaux qui finalement ne sont pas justifiés : ce n'est que lorsque le but recherché est en parfait décalage avec la réalité qu'au nom du principe de proportionnalité les aménagements peuvent exister. C'est d'ailleurs au nom du même principe qu'un aménagement est possible si sa mise en place ne bouleverse ni le fonctionnement d'une institution ni son budget. Le but ultime est donc bien de «protéger les minorités contre les lacunes des lois de la majorité » (p.280). Or nous savons à quel sort est d'ores et déjà réservé la notion de minorité dans le débat français.
Contrairement à ce que semble supposer l'ouvrage de Baubérot, les aménagements raisonnables ne sont pas inconnus dans le droit européen et le refus de réaliser ces aménagements est considéré comme une forme de discrimination. Le Comité européen des droits sociaux interprète déjà la Charte sociale européenne en ce sens, comme la Cour Européenne des droits de l'homme : il faut non seulement, dans une société démocratique, percevoir la diversité humaine de manière positive, mais aussi réagir de façon appropriée afin de garantir une égalité réelle et efficace. Alors pourquoi ne réserver en France les aménagements que pour les handicapés et les femmes enceintes ?
Un exemple d'une telle mesure est la programmation de quelques ascenseurs d'un hôpital juif pour qu'il s'arrête à tous les étages sans aucune intervention sur les boutons électriques proscrite les jours de shabbat. Il peut exister un problème de perception de ces accommodements : tel que ça a été rapporté par la plupart des journaux, l'hôpital en question était sensé avoir reprogrammé tous les ascenseurs, ce qui perturbait la fonction même de l'établissement de soins. En réalité, il ne s'agissait que de deux ascenseurs et aucune plainte n'avait été répertoriée contrairement à ce qui avait été annoncé. Le rapport révèle que, dans 15 des 21 cas les plus médiatisés au Québec de mars 2006 à juin 2007, les faits reconstitués sont très éloignés du compte-rendu des journalistes.
Si le rapport parle de « chasse aux accommodements », les journalistes ont détourné leur attention des cas plus ou moins concrets des problèmes liés à l'intégration dès la mise en place de la commission. Ce phénomène courant explique certainement la déclaration de Gérard Bouchard, le 17 aout 2007 au journal Le Devoir pour qui les « gens qui ne sont pas des intellectuels mais qui regardent les nouvelles à TVA ou à TQS, dans le meilleur des cas au téléjournal » avaient une vision déformée des défis multiculturels. A l'époque, ce propos avait suscité un tollé par sa connotation méprisante. Pourtant la responsabilité des médias dans le problème de l'intolérance n'est pas nouveau. Dans son livre, Jean Baubérot rappelle que ces débats avaient animé du début à la fin les délibérations de la commission Stasi. Quasiment rien du rapport n'avait laissé filtré ce problème.
Face à la multiplication des demandes d’accommodement, les médias (notamment la presse populaire) se sont alarmés de la relation à l'identité nationale de ces nouveaux Québécois. Cet aspect a été souligné par la plupart des partis politiques québécois, certains l'analysant comme un signe de mépris envers la société d’accueil. Cette problématique n'est pas non purement fantasmatique au Québec puisque c'est une minorité culturelle. Taylor avait déjà écrit ailleurs « qu'on ne saurait concevoir un Etat québécois qui n'aurait pas la vocation de défendre ou de promouvoir la langue et la culture françaises, quelle que soit la diversité de notre population. » (Charles Taylor, Rapprocher les solitudes, Presses Universitaires de Laval, 1992, p.143.)
La commission et l'ensemble des débat qu'elle a entrainé a permis de relativiser l'impact de ce dispositif. Si les demandes d’ajustements sont très variées, elles relèvent surtout de nouveaux mouvements religieux (Jehovah,...) avant d'être utilisées par des immigrés. De plus, au Québec, aucun dérapage majeur n'est apparu. C'est d'ailleurs pour ça qu'il faut « privilégier, dans le traitement des demandes d’accommodement, une déjudiciarisation et une décentralisation du processus. ».
Ici aucune volonté de gérer la diversité par décret et on peut espérer que cette formule favorise l'action collective de proximité. Mais jusqu'où ? Placer une grande confiance dans la proximité, n'est-ce pas aussi éluder la question des inégalités pour se mobiliser ? A partir de quand les disparités d'un établissement à un autre seront-elles inacceptables ? Le rapport Bouchard-Taylor ne donne pas de réponse pour laisser la place à l'expérience du terrain. Une étude précédente au Québec avait été organisée par le comité Fleury sur l'école seulement : 51,7 % des demandes sont acceptées, 21,9 % sont rejetées et 26,4 % se résolvent par un compromis. Et quand les refuser ?