Encore un opéra qui, dans le monde moderne où nous vivons, avait lui aussi quasiment disparu des grandes scènes lyriques. Et pourtant... Pouvons-nous imaginer le succès qu'il obtint après sa création ? Difficile aujourd'hui de penser qu'en 1955, on fêtait la 2 000ème représentation de Mignon... et que cet ouvrage a fait partie, en Allemagne, des opéras les plus montés avec Faust et Carmen...
Ambroise Thomas, le compositeur de cet opéra oublié pendant de longues décennies mais qui, dieu merci, connaît un regain d'intérêt, naît à Metz en 1811, dans un milieu entièrement voué à la musique. A quatre ans, il reçoit ses premières leçons de solfège et à sept, commence l'étude du violon et du piano. Metz le considère comme un enfant prodige et lorsqu'il arrive à Paris en 1827, il va se trouver face à un « climat » tout à fait particulier dans lequel dominent romantisme et esprit révolutionnaire. Après des études au Conservatoire, il obtient le prix de Rome en 1832 et pendant son séjour à la Villa Médicis, noue des liens étroits avec Ingres.
Revenu à Paris en 1836, il compose une dizaine d'œuvres lyriques et ce jusqu'en 1850 ; ses ouvrages obtiennent un très vif succès. Le Second empire voyant se développer très rapidement un prolétariat ouvrier, Ambroise Thomas, comme nombre de ses confrères, s'intéresse aux classes populaires et compose de nombreux chœurs qui achèvent d'asseoir sa popularité. C'est pendant cette période qu'il va écrire ses deux œuvres majeures : Mignon en 1866 et Hamlet en 1868. Devenu l'un des représentants les plus brillants de l'école française, il va dès lors accumuler les fonctions honorifiques et lorsqu'il meurt en 1896, c'est, entre autres, un règne de 25 ans à la tête du Conservatoire qui s'achève.
Ambroise Thomas est déjà très célèbre à l'époque où il compose Mignon ; cet opéra va apporter au compositeur la gloire nationale et internationale. L'ouvrage est créé à la deuxième salle Favart le 17 novembre 1866 : Célestine Galli-Marié (la toute première Carmen de l'histoire) crée le rôle titre. Les librettistes sont Jules Barbier et Michel Carré, auteurs entre autres des livrets de Faust, Roméo et Juliette, etc. L'histoire de Mignon est adaptée d'un épisode du roman de Goethe, Les années d'apprentissage de Wilhelm Meister. Ce roman, qui n'hésite pas à recourir à l'ésotérisme, reflète à la fois les aspirations et les idées de la société allemande de la fin du 18ème siècle.
De cet ouvrage foisonnant, Barbier et Carré ne retiendront que l'histoire émouvante de cette petite bohémienne qui ne forme dans l'œuvre originale qu'une sorte de digression, sans réel rapport avec le développement des idées fondamentales exposées par Goethe. Après un premier jet qui ne semble guère satisfaisant, Jules Barbier révise son livret, simplifie l'intrigue, supprime des personnages. Lorsque l'œuvre est créée, elle s'achève sur la mort de Mignon ; fin qui ne remporte qu'une vague, mais très vague approbation. A vrai dire, l'ouvrage, en 1866, n'a pas le succès escompté. Il faut le modifier en conséquence.
Afin de plaire davantage au public, Ambroise Thomas remanie la partition, les librettistes ne font plus mourir Mignon mais la marient à Wilhelm Meister. Nouvelles représentations et cette fois, le succès est immense, et durable. L'opéra est donc « exporté » vers l'Allemagne et l'Italie. Seul problème : le public d'outre Rhin n'appréciera certainement pas de voir le roman de Goethe transformé à ce point. Il faut donc « adapter » Mignon à sa sensibilité. Ambroise Thomas se remet donc au travail et « arrange » son œuvre en « grand opéra » : plus de dialogues parlés mais des récitatifs ; Mignon meurt à nouveau afin que le dénouement soit conforme à celui imaginé par Goethe. On reprend des airs abandonnés, on en introduit d'autres. Le Théâtre de Bade monte cette nouvelle version : énorme succès. L'ouvrage parcourt ensuite l'Europe, représenté dans de nombreuses langues, dans des versions différentes. En France, il faudra attendre 1963 pour que Mignon, à l'Opéra Comique, soit donné avec des récitatifs.
Jusqu'à la première guerre mondiale, Mignon est régulièrement monté sur les scènes parisiennes, provinciales, étrangères. Gustav Mahler lui-même en dirigera une série de représentations. Chaque année, l'œuvre est programmée à l'Opéra Comique : la 500ème a lieu en octobre 1878, la 1 000ème en 1894, en présence de l'auteur, la 1 500ème en 1919, et, comme on l'a dit plus haut, la 2 000ème en 1955.
Mignon va connaître par la suite une sorte de « purgatoire » mais l'ouvrage semble vouloir être de nouveau monté à la fin du vingtième siècle : Metz et Tours le programment en 1988, Strasbourg en 1989, Avignon en 1990, Compiègne en 1996. Et dans cette première décennie du vingt et unième siècle ? J'avoue ne rien savoir à ce sujet...
Les voix, dans Mignon, sont soigneusement réparties. Le rôle titre est dévolu à une mezzo-soprano (comme celui de Margared dans Le Roi d'Ys) à qui le compositeur n'impose pas de redoutables vocalises : Mignon chante posément, sans fioritures, dans de magnifiques lignes mélodiques dont l'harmonisation est très simple. Ce personnage soumis, modeste, aimant est ainsi tout intériorisé, ce qui l'oppose à Philine, beaucoup plus extériorisée, dont la voix légère est soumise, elle, à des acrobaties vocales et de nombreuses mélodies rythmées. L'air le plus connu de l'ouvrage, la romance de Mignon « Connais-tu le pays... » se déroule comme une sorte de rêverie intérieure.
ARGUMENT : Il a fallu choisir entre les différentes versions de Mignon : voici le synopsis de la « version allemande », celle qui suit de plus près l'épisode du roman de Goethe.
L'action se situe à la fin du 18ème siècle, en Allemagne pour les actes I et II, en Italie pour l'acte III.
PROLOGUE - Paysage italien imaginaire : La Dame du Lac erre, portant dans ses mains de mystérieux ossements.
ACTE I - Le jardin d'une auberge. Philine et Laërte, comédiens sans emploi, logent dans cette auberge. Arrive d'abord Lothario, vieux chanteur errant qui n'a plus toute sa raison, puis une troupe de bohémiens. Son chef, Jarno, décide de divertir la compagnie et oblige Mignon à danser en la menaçant d'un bâton. Lothario et Wilhelm Meister, jeune étudiant qui loge également à l'auberge, s'interposent. Mignon est un personnage étrange et semble avoir oublié son passé, ses origines ; ne restent dans sa mémoire que quelques bribes de son enfance heureuse dans un pays lointain.
Ce pays, c'est peut-être l'Italie car c'est là que Jarno l'a trouvée et enlevée, explique Mignon. Emu, Wilhelm décide de la racheter à son ravisseur. Lothario ressent pour l'adolescente une inexplicable attirance et propose de l'emmener avec lui mais Wilhelm préfère la garder avec lui car il estime qu'elle ne serait pas en sécurité avec le vieillard. Mignon manifeste sa joie et sa reconnaissance.
La troupe des comédiens est invitée par le Baron de Rosemberg à jouer dans son château ; Philine a déjà un soupirant en la personne de Frédéric, le neveu du baron. Elle demande à Wilhelm de la suivre.
ACTE II - Premier tableau : Un boudoir dans le château de Rosemberg. Philine se prépare pour une représentation du Songe d'une nuit d'été. Wilhelm et Mignon arrivent, l'adolescente est habillée en page. Secrètement amoureuse de Wilhelm, elle fait semblant de s'endormir mais surveille discrètement le jeune homme qui fait sa cour à Philine. Demeurée seule, Mignon décide d'imiter Philine et se maquille, quitte sa tenue et se déguise avec une des robes de l'actrice. Frédéric, qui cherche Philine, entre dans le boudoir, au même moment que Wilhelm qui cherche Mignon. Les deux hommes se considèrent comme des rivaux et vont en venir aux mains mais Mignon intervient et les sépare. Elle est ridicule dans les atours de Philine et Frédéric, la voyant, éclate de rire et sort. Wilhelm, qui voit pour la première fois Mignon dans des vêtements totalement féminins, est troublé et lui dit qu'il vaut mieux qu'il se sépare d'elle ; en fait, il vient de tomber amoureux d'elle.
Deuxième tableau : Le parc du château. Jalouse et désespérée, Mignon veut se jeter dans le lac mais la musique du luth de Lothario l'en empêche. Elle souhaite ardemment que le château prenne feu avec tous ses habitants. Dans une brève conversation avec Mignon, Lothario comprend qu'elle aime Wilhelm. Dans le jardin d'hiver, le spectacle du Songe se termine et Philine remporte un triomphe dans le rôle de Titania. Wilhelm, lui, se reproche d'avoir été cruel envers Mignon. Philine, jalouse à son tour, demande à Mignon d'aller chercher dans sa loge le bouquet de fleurs que Wilhelm lui a donné. Mais le jardin d'hiver s'embrase alors que Mignon vient d'y entrer. Lothario a exécuté son vœu. Au risque de périr lui aussi, Wilhelm se jette au secours de Mignon et la ramène inconsciente, mais sauve. Il sort en la portant sur ses bras.
ACTE III - Une Italie imaginaire rêvée par Mignon. Inconsciente, la jeune fille est allongée sur un lit de feuilles sous de grands arbres au bord du lac. Wilhelm et Lothario sont à son chevet. Dans le lointain, un palais aux fenêtres fermées. C'est le palais des Cypriani. Ce lieu bouleverse Lothario qui retrouve la raison : il est le maître de ce palais et Mignon est sa fille. Cette dernière revient à elle et retrouve peu à peu son identité en récitant une prière qu'elle disait enfant. I'Italie est bien son pays, et Lothario son père. Wilhelm lui avoue son amour, mais trop tard : Mignon meurt.
La Dame du Lac apparaît et lui tend les bras. C'est la mère de Mignon.
VIDEOS
VIDEO 1 - Air de Mignon « Connais-tu le pays... » : Magdalena Kozena
VIDEO 2 - Acte II - Air de Philine « Je suis Titania la blonde... » Ruth Welting