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Edito : Les cinq cultures civiles de la guerre de l’information

Publié le 02 juillet 2009 par Infoguerre

La France a cette particularité étrange de ne pas savoir gérer certaines de ses richesses. C’est le cas dans un domaine où elle devrait exceller : celui de la guerre de l’information. Il existe aujourd’hui cinq cultures civiles de la guerre de l’information. Leur particularité est de s’ignorer et parfois de se combattre par clients interposés sans être capable de peaufiner leur complémentarité au profit de la défense des intérêts de l’économie française. Quelles sont ces cinq cultures ?

La première est le produit de la communication. Les filiales de Publicis et d’EuroRSCG en sont une illustration. Les méthodes sont bien huilées et s’appuient principalement sur un usage intelligent de l’audimat, un rapport privilégié avec les grands médias et de nouveaux domaines d’expertise comme le marketing viral. De nouvelles petites agences de communication s’engagent sur ce marché porteur et commencent à grignoter des parts de marché aux deux leaders historiques.

La seconde est le produit de la politique. Anne Meaux d’Image 7 en est la digne représentante. C’est  le lien privilégié et reconnu avec le monde des décideurs et des centres de pouvoir. Avec Michel Calzéroni, elle occupe une place dominante sur ce marché très verrouillé par les relations de confiance bâties durant la guerre froide dans la lutte anticommuniste menée par la droite et l’extrême droite soutenue financièrement par la fraction dure du patronat français.

La troisième découle du monde du renseignement. Certains cabinets spécialisés en sont les maîtres d’œuvre. Des anciens du Service Action de la DGSE ainsi que des militaires atypiques occupent une place de choix dans ce qu’il est encore convenu d’appeler un artisanat d’art en terme de chiffre d’affaire.

La quatrième est émergente. Elle est le fruit d’une fusion entre la culture du combat asiatique héritée de Sun Tzi et des techniques subversives générées au cours de l’histoire du XXème siècle.  Elle développe un art particulier de la guerre de l’information, fondé sur la rhétorique et l’usage offensif  de la connaissance. L’Ecole de guerre économique et des petits cabinets comme Spin Partners sont les principaux animateurs de ce courant de pensée et d’action.

La cinquième culture résulte de la faillite du monde politique de gauche et de la pratique syndicale traditionnelle dans le domaine de la propagande. Les structures de formation comme les désobéissants (écouter à ce propos le reportage diffusée le premier juillet sur France Info sur un stage de formation organisé pour le syndicat Sud) commencent à apparaître dans la foulée des stages conçus par des ONG du type Greenpeace ou le manuel de la dissidence informationnelle destinée aux internautes chinois relayé par Reporters Sans Frontières. Les Anonymes qui attaquent l’église de scientologie sur 24 pays, de manière coordonnée et régulière en sont aussi un sous produit beaucoup plus transversal et qui échappe aux clichés de l’appartenance idéologique postmarxiste.

Les trois premières cultures sont le fruit de la pensée du fort. Les deux dernières sont la résultante de la créativité du faible. Cet énoncé  des origines trace déjà les lignes de démarcation des compétences. On les retrouve dans la manière dont les entreprises abordent le sujet. Le mélange des genres n’est pas simple. Le Medef a tenté de se réapproprier les techniques du faible dans sa campagne contre les 35 heures. Le point culminant de sa guerre de l’information a été la réunion historique de plus de trente mille dirigeants lors d’une manifestation commune contre la loi Aubry. Mais le résultat final n’a pas été à la hauteur de l’investissement humain, ce qui a fait dire à l’un de ses organisateurs que la rentabilité n’était pas là. Encore fallait-il analyser les chances de victoire avant de se lancer dans une telle démarche. Que vaut la parole de quelques dizaines de milliers de patrons contre l’aspiration collective à la société des loisirs ? Pas grand-chose. Le fort défend avant tout ses intérêts et ne sait que très rarement changer d’échiquier. Comme le rappelait ce matin Gérard Chaliand dans le journal de France Culture de 8 heures, l’armée américaine (l’expression la plus démonstrative de la pensée du fort) n’a pas de mémoire opérationnelle. Elle n’a pas tiré en Irak les leçons apprises entre 1970 et 1973 au Vietnam, conflit exemplaire de la première grande défaite d’un fort en guerre de l’information.

La pensé du fort est aujourd’hui défaillante et le curseur de la créativité a basculé depuis longtemps du côté du faible. Les derniers évènements en Iran en sont un exemple intéressant. Les universitaires, à l’image de Christian Salmon qui a écrit un ouvrage remarqué sur le storytelling, sont incapables de prendre le recul nécessaire pour analyser avec pertinence cette dimension du problème. Les élites post soixante huitardes sont encore polarisées par la dénonciation implicite des manipulations du fort sans même se rendre compte que le formatage des esprits est aujourd’hui très fortement induit par la légitimité du faible. Une telle erreur de jugement n’est pas sans conséquences. La première pour la France est son incapacité stratégique à tirer les marrons du feu de son potentiel culturel dans la guerre de l’information qui modèle aujourd’hui les nouvelles formes d’affrontement économique. Le politique a sur ce dossier une responsabilité majeure. Nous allons voir dans les mois à venir s’il est capable de dépasser le niveau du pré carré électoral et relever les défis de la guerre économique, éléments-clés de notre survie et de notre développement.

Christian Harbulot


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