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Nicolas Sarkozy et les chiffres : une relation à géométrie variable

Publié le 16 septembre 2009 par Monthubert

Nicolas Sarkozy aime jouer à contre-emploi. Il l’a prouvé une fois de plus hier, dans son discours de réception du rapport de la commission Stiglitz, en affirmant : “Derrière la religion du chiffre, derrière tout l’édifice de nos représentations statistiques et comptables, il y a aussi la religion du marché qui a toujours raison.”. Pourtant, c’est le même Nicolas Sarkozy qui a imposé dans tous les secteurs de la fonction publique une soi-disant “culture du résultat” à coups d’indicateurs de performance servant de bâtons pour les fonctionnaires pas assez zélés. Mais Sarkozy s’est pris lui-même les pieds dans le tapis.

Récemment, les policiers ont publiquement exprimé leur ras-le-bol d’être soumis à une pression absurde qui les conduit de fait à délaisser des parties importantes de leur travail car elles ne sont pas suffisamment rentables. Quand il devient préférable, au vu des indicateurs, de coffrer un fumeur de marijuana que de tenter de remonter la filière vers les gros trafiquants, on marche sur la tête. Par ailleurs, les chiffres de la délinquance sont mauvais et montrent que la politique initiée par Sarkozy est inefficace.

Le problème avec Sarkozy, c’est qu’il aime les chiffres seulement quand ceux-ci lui sont favorables. Et ce n’est pas vraiment le cas par les temps qui courent, ce qui explique peut-être la sortie d’hier. Il faut maintenant remettre les choses à leur place.

Nous avons besoin d’indicateurs pour comprendre notre société, et le travail de la commission Stiglitz, qui fait suite à celui de nombreux économistes qui ont voulu évaluer, au-delà du PIB d’un pays, son développement, le bien-être des populations, ce travail est utile. Mais il impose désormais une véritable transparence dans l’utilisation des chiffres, et surtout un débat public et politique sur le choix des indicateurs. Car les choix d’utiliser un indicateur plutôt qu’un autre n’est jamais neutre. Il traduit nos priorités politiques. Il appartient donc aux citoyens et aux partis politiques de dire quels sont les indicateurs économiques qu’ils souhaitent mettre en avant. Plus avant, s’ils souhaitent rassembler plusieurs indicateurs dans un indicateur “synthétique”, il doivent dire quels sont les coefficients de chaque sous-indicateur (PIB, développement humain, environnement…).

Mais il faut aussi rendre plus transparente la production des indicateurs statistiques. C’est un enjeu important, car le gouvernement attaque l’indépendance des services statistiques de l’Etat, ou refuser régulièrement la publication de chiffres dérangeants, comme je l’ai dénoncé dans une tribune parue dans Les Echos, Le chiffre et la démocratie. J’en reproduis la fin : “Nous sommes donc au coeur d’un problème dont l’apparence est technique, ou pire encore susceptible d’effrayer nombre de citoyens qui pensent que les chiffres sont une affaire réservée aux spécialistes, alors que nous devons d’urgence rendre plus démocratiques notre production et notre utilisation des chiffres. Nous devons exiger, et obtenir, que tous les modèles mathématiques sur lesquels sont fondées les principales statistiques soient rendus publics, afin de pouvoir les contrôler scientifiquement. Nous devons exiger, et obtenir, que les structures qui ont en charge ces statistiques soient indépendantes des pressions politiques, rendent publics leurs résultats et ne les réservent pas aux gouvernants.”

Mais si nous devons préserver la qualité des indicateurs qui nous permettent de mieux connaître l’état de santé de notre société, nous devons aussi être vigilants quant à l’utilisation d’indicateurs de performance individuelle comme méthode de gestion des ressources humaines, qui conduit souvent à des phénomènes contre-productifs voire dangereux, comme l’expliquaient récemment les policiers, ainsi que de nombreux chercheurs. L’économiste Maya Beauvallet l’a très bien expliqué dans son livre à la fois brillant et drôle “Les Stratégies absurdes, comment faire pire en croyant faire mieux” (Seuil, 2009).

Nicolas Sarkozy ne pourra pas s’en sortir par quelques phrases. Il doit à la fois respecter les indicateurs sociaux et économiques, dans leur diversité, qui permettent à chacun d’avoir un regard sur notre société, et cesser d’utiliser de braquer sur les fonctionnaires les projecteurs d’indicateurs personnels dont l’utilisation, cela a été prouvé, est absurde.


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