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Revirement sur le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce (CEDH, GC, 17 septembre 2009 Scoppola c. Italie )

Publié le 18 septembre 2009 par Combatsdh

La Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a opéré un revirement de jurisprudence en consacrant le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce (également appelée rétroactivité in mitius), exception au principe de non-rétroactivité de la pénale expressément prévu par l’article 7 (Pas de peine sans loi).

L’affaire qui a accordé à la Cour l’opportunité d’une telle évolution concernait un homme qui avait commis divers crimes en Italie et qui, lors du jugement, opta « la procédure abrégée, une démarche simplifiée entraînant, en cas de condamnation, une réduction de peine » (§ 11). La législation qui prévoyait la peine encourue pour ces faits et sa réduction en cas de procédure abrégée a cependant évolué dans le temps. Lors de la commission des faits criminels, la réduction d’une peine de réclusion à perpétuité était exclue. Mais lors des investigations préliminaires, une évolution a ouvert cette possibilité, la peine de réclusion criminelle de 30 ans remplaçant la perpétuité en cas de procédure abrégée. C’est à cette première peine que fut d’ailleurs condamné le requérant. Toutefois, et enfin, un décret-loi, entré en vigueur le jour même du prononcé du jugement, éleva les sanctions encourues par cet homme, la procédure abrégée ne permettant de passer que de la réclusion à perpétuité avec isolement diurne à la peine perpétuelle simple. Consécutivement à la cassation du premier jugement, il fut finalement condamné à la réclusion à perpétuité.

1°/ La consécration du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce

Après avoir écarté diverses exceptions préliminaires non dénuées d’importance (§ 42 à 60 et § 62 à 78), la Cour rappelle les principes jurisprudentiels dérivés de l’article 7.1 (§ 92 à 102), en particulier ceux estimant que « l’article 7 ne prévoit pas le droit de se voir appliquer une loi pénale plus favorable » (§ 103). Cependant, les juges européens font suivre ce constat de son discours traditionnel préfigurant un revirement de jurisprudence. Celui-ci repose notamment sur la recherche du « consensus susceptible de se faire jour [entre les Etats contractants] quant au niveau de protection à atteindre », le tout guidé par « approche dynamique et évolutive » dans l’interprétation de la Convention (§ 104).

Ainsi, il est relevé « qu’un long laps de temps s’est écoulé depuis [sa première position à ce sujet] et que pendant ce temps des développements importants se sont produits au niveau international » (§ 105). Suivant une méthode de justification de ses revirements désormais bien éprouvée, la Cour s’appuie sur nombre d’instruments régionaux et internationaux (« La Convention américaine relative aux droits de l’homme », « la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », « le statut de la Cour pénale internationale et affirmée dans la jurisprudence du TPIY », la jurisprudence de la « Cour de justice des Communautés européennes » et, plus surprenant, son application par la « Cour de cassation française » - § 105, v. aussi § 35 à 41). Elle souligne ainsi que le « consensus s’est progressivement formé » à ces niveaux en faveur de la rétroactivité de la loi pénale plus douce, « devenue un principe fondamental du droit pénal » (§ 106). A l’appui de ce consensus et du rejet conscient d’une lecture littérale de l’article 7 (§ 107), la Cour étaye son évolution par l’idée que le refus d’appliquer la loi plus douce sévère « équivaudrait […] à ignorer tout changement législatif favorable à l’accusé intervenu avant le jugement et à continuer à infliger des peines que l’Etat, et la collectivité qu’il représente, considèrent désormais comme excessives » (§ 108).

La juridiction strasbourgeoise entérine donc explicitement son revirement en indiquant que « l’article 7 § 1 de la Convention ne garantit pas seulement le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, mais aussi, et implicitement, le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce » (« Ce principe se traduit par la règle voulant que, si la loi pénale en vigueur au moment de la commission de l’infraction et les lois pénales postérieures adoptées avant le prononcé d’un jugement définitif sont différentes, le juge doit appliquer celle dont les dispositions sont les plus favorables au prévenu » - § 109).

Revenant à l’espèce, les juges estiment d’abord que les dispositions litigieuses entrent bien dans le champ d’application du principe précité car contiennent « des disposition de droit pénal matériel » et non des règles procédurales qui, elles, peuvent être d’application immédiate (§ 113). Puis ils prononcent la condamnation de l’Italie pour violation de l’article 7 car le requérant « s’est vu infliger une peine plus forte que celle prévue par la loi qui, parmi les lois qui ont été en vigueur durant la période comprise entre la commission de l’infraction et le prononcé du jugement définitif, lui était la plus favorable » (§ 119).

2°/ La violation du droit au procès équitable par l’application d’une nouvelle législation en cours de procédure

Une seconde condamnation a été prononcée sur le terrain de l’article 6 (Droit à un procès équitable), plus particulièrement en lien avec le problème de « l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du litige » (§ 132). En effet, les juges du Palais des droits de l’homme reprennent leur jurisprudence classique à ce sujet qui encadre l’action rétroactive du législateur au nom du « principe de la prééminence du droit et [de] la notion de procès équitable ». Ils considèrent ici que « ces principes, qui constituent des éléments essentiels des notions de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables […], trouvent à s’appliquer, mutatis mutandis, au procès pénal » (§ 123).

En l’occurrence, le requérant avait renoncé à diverses garanties du droit à un procès équitable en optant pour la procédure abrégée, et ce, afin d’obtenir d’autres avantages telle la réduction de sa peine. Si cette renonciation n’est pas en soi contraire à l’article 6, à condition toutefois d’être encadrée par des garanties de libre choix (§ 135), les effets du changement de législation intervenu durant la procédure au détriment du requérant est fustigé par la Cour. Selon cette dernière, « il est contraire au principe de la sécurité juridique et à la protection de la confiance légitime des justiciables qu’un Etat puisse, de manière unilatérale, réduire les avantages découlant de la renonciation à certains droits inhérents à la notion de procès équitable » (§ 139). Après avoir rejeté l’argument selon lequel le requérant aurait pu renoncer à la procédure simplifié une fois constaté la perte d’un avantage (« il serait excessif d’exiger d’un accusé qu’il renonce à une procédure simplifiée acceptée par les autorités et ayant conduit, en première instance, à l’obtention des bénéfices souhaités » - § 144), la Cour condamne l’Italie cette fois pour violation du droit au procès équitable.

A la suite de ces deux condamnations, il n’est enfin pas anodin que les juges européens aient souhaité faire usage de leur faculté, dégagée de l’article 46 par la voie prétorienne (Cour EDH, G. C. 22 juin 2004, Broniowski c. Pologne, req. n° 31443/96), d’« indiquer [exceptionnellement] le type de mesures qui pourraient être prises pour mettre un terme à la situation qu’elle avait constatée » (§ 147). Si aucune « mesure générale » n’est suggérée (§ 149), la Cour estime, « eu égard aux circonstances particulières de l’affaire et au besoin urgent de mettre fin à la violation des articles 6 et 7 de la Convention, […] qu’il incombe à l’Etat défendeur d’assurer que la réclusion criminelle à perpétuité infligée au requérant soit remplacée par une peine conforme aux principes énoncés dans le présent arrêt, à savoir une peine n’excédant pas trente ans d’emprisonnement » (§ 154).

Scoppola c. Italie (No 2) (Cour EDH, 17 septembre 2009, req no 10249/03 )

Par l’évolution de sa position sur la rétroactivité de la loi pénale plus douce, la Cour met donc sa jurisprudence au diapason d’autres instruments européens et internationaux. Ce revirement n’est cependant pas sans susciter quelques grincements de dents parmi les juges de la Grande Chambre. En effet, l’opinion partiellement dissidente du juge Nicolaou, ralliée par les juges Bratza, Lorenzen, Jočiene, Villiger et Sajó critique le « revirement total de la jurisprudence de la Cour » mis en œuvre par les juges majoritaires. Selon les premiers, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale et son exception, le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce ne sont pas interdépendants. Le second est « une autre forme de norme, qui exprime un choix reflétant l’évolution d’un processus social à l’œuvre dans le droit pénal » et, faute d’avoir été prévu par le texte conventionnel, il doit « relève[r] de la politique ou du choix que peut exercer l’Etat en matière pénale dans le cadre de sa compétence discrétionnaire ».

C’est surtout sur le terrain des choix interprétatifs que le bât blesse et que les juges se divisent. Il est pourtant remarquable de noter que les minoritaires ne rejettent en aucune façon les fondements de l’analyse majoritaire. L’ « approche dynamique et évolutive » fait, pour ainsi dire, consensus… Mais plus qu’une confrontation sur la nature des choix interprétatifs, c’est un conflit sur le degré du dynamisme de l’interprétation qui se fait jour. L’opinion dissidente énonce ainsi qu’ « aucune interprétation judiciaire, aussi créative soit-elle, n’est totalement exempte de contraintes. Ce qui importe avant tout est de ne pas outrepasser les bornes fixées par les dispositions de la Convention. […] Or, […], la majorité […] a réécrit [l’article 7.1] afin de le rendre conforme à ce qu’elle estime qu’il aurait dû dire. Nous nous permettons de dire que cela dépasse les bornes ». Force est d’ailleurs de constater que le dynamisme de la Cour ne rencontre guère plus de bornes, même textuelles, lorsque les juges décident de s’appuyer sur des normes extérieures au système conventionnel (v. notamment Cour EDH, G.C. 12 novembre 2008, Demir et Baykara c. Turquie, req. n° 34503/97).

Il est enfin important de souligner que cette évolution n’aura toutefois pas vocation à bouleverser le droit français car le principe de rétroactivité in mitius dispose déjà en France d’une valeur législative (Art. 112-1 al. 3 du Code pénal) et constitutionnelle (Cons. Constitutionnel, 19 et 20 janvier 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, Dec. N° 80-127 D.C. § 75).


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