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Chassez Le Naturel, Et Je Reviens Au Galop.

Par Mélina Loupia
Ils sont dans le couloir allumé. Il est 10h43 du début de jour. Ils sont tous les 3, sur 4 mètres de long et 60 centimètres de large. Au mur, leurs premiers dessins ou empreintes de mains de quand ils étaient bébés tremblent sous leurs dérapages incontrôlés. Incontrôlables comme la situation actuelle, ils se font une partie de passe à 3 avec les minis ballons de rugby que Copilote leur a ramenés du magasin. Copilote, il est formidable, il a pas besoin de buzzer comme un acharné pour obtenir des cadeaux lui. Il lui suffit d’aller se faire exploiter 8 heures par jour pour se faire offrir généreusement des joujoux. En l’occurrence, Ovalie oblige, une célèbre marque de matériel de sommeil s’est fendue de 3 ballons oblongs en matière de dodo qui tiennent dans la main de mes enfants.   A présent, la mêlée se déplace vers le salon. Le couloir est toujours allumé alors que sa surface est vide.   Jérémy vient aplatir à mes pieds, chevauché par Nicolas lui-même plaqué par Arnaud.   Un chapiteau d’enfants.   « Ne faites pas les fous ».   Un gimmick chez moi.   14 ans ou presque que ça dure.   Mais ce matin, j’ai décidé de les laisser faire jusqu’au bout, les laisser éclater de leurs rires en trio perlé. De les laisser se vautrer sur le carrelage froid et dur de leur stade éphémère. De les laisser apprécier le moment de partage, et de complicité fraternelle, rare.   Comme jeudi dernier.   Sortie vaincue d’une sieste appuyée, j’avais la défaite amère et seul un café a pu chasser le gris de ma tête. Dehors, au même moment, le soleil avait lui aussi décidé de faire fondre la brume. Mon trio n’allait pas tarder à envahir les murs avec toute une sale journée à effacer à grands renforts de pillage alimentaire et disputes de décompression. Je savais que si je m’en mêlais de façon autoritaire, la situation n’allait que se dégrader et finirait en silence pensant troublé par le cliquetis des fourchettes rageusement plantées dans les nouilles au repas du soir.   J’ai donc pris le parti d’en rire pour une fois.   C’est Arnaud qui a pris sa revanche sur ses frères en arrivant le premier. Lui, je sais que si son maître n’a pas crié de la journée, peu importe qu’il ait bien bossé ou non, la journée aura été bonne et le sourire illuminera son petit minois. Ce qui a été le cas. « Salut maman ! Devine quoi ? -Il a pas grondé ? -Non, mais on s’en fout de ça, devine ? -Je sais pas, t’as pas de devoirs ? -Si, mais juste à lire. -Alors dis-moi, je vois pas, à part qu’une fille t’aime ? -Non, en fait, j’en ai trouvé 4 de plus maman ! -4 filles ? Tu vas avoir des soucis de gestion mon fils. -Mais non… Des vers maman, regarde ! » Sous mon nez à peine réveillé, il ouvre sa boite en plastique dans laquelle se tortille mollement un quatuor invertébré, au milieu d’un amas de cailloux et de feuilles mortes. La boite en question avait séjournée hermétiquement close dans le cartable depuis le début de l’après-midi, inutile de vous dire la réserve de mon pronostic de vie des vers. « Mais tu sais que les vers ne mangent pas de feuilles ? -Oui, mais j’ai pas eu le droit de prendre la terre de la cantine. -Vas en chercher dans le jardin et ensuite, viens la mouiller un peu. -Ouais ! Chic maman merci ! » Il me claque un bisou frais et se précipite dehors en quête de la terre promise.   Il en faut peu pour être heureux et suffisamment pour me mettre en joie face à l’arrivée imminente des collégiens amers.   Amers, doux euphémisme. Les mines sont basses et sombres, d’après ce que je déduis du silence que scellent les deux mâchoires de mes ados. « Salut, ça a l’air d’aller super fort les gars. -Salut. » Direction cuisine sans aucune forme de procès. Compensation alimentaire. 20 minutes de mastication nécessaires plus tard, la sale journée a disparu dans les estomacs. « Bon, pour votre pénitence, vous allez me faire un café.  -J’étais sûre qu’elle dirait ça. -Je te le fais. -Et moi, je te le porte. » Avec la tasse, Jérémy me pose une copie double froissée. Nicolas se vautre sur le canapé et plonge sa tête dans les oreillers. « Bon, 7,5, t’as bien fait de la broyer la copie, qu’est-ce qu’il s’est passé ? -Comme tu vas me le dire, j’ai pas assez révisé. -Bonne réponse, je te mets 20. -Si tu pouvais être prof… -Allez, fais péter, que je la signe. Des devoirs à faire ? -Oui, j’y vais là. »   Et il disparaît le cœur un peu plus léger.   Je me suis contenue facilement, je commence à comprendre qu’enfoncer le clou ne serre que d’avantage le cœur de mon enfant tourmenté.   « Bon Nicolas, t’as trouvé ce que tu cherchais dans les oreillers ? -Tu vas pas comprendre. -Ah c’est sûr que vu comme ça, la tête dans les coussins et la bataille perdue d’avance… -Non mais tu vois, on est jeudi. -Oui, plus pour très longtemps et du coup, vendredi n’est pas loin et avec lui, le super week-end. -Et voilà, c’est ça le souci. -Attends, tous les jeudis, tu me fais le coup, qu’il te tarde trop demain pour être enfin tranquille et quitter ce collège de merde. -Oh ça tu l’as dit mais là y a un souci. -Bon, t’as perdu un truc ? -On peut le dire comme ça oui. -Bon écoute, j’ai plus rien à te dire à ce sujet. Que tu te fasses barboter tes affaires, c’est un fait, mais que tu les sèmes partout et que tu te foutes en colères, c’est autre chose, mais bon, c’est que des affaires finalement. -Oui mais là c’est quelqu’un. -… Attends je finis mon café. J’attends qu’il reprenne la parole. Je lui laisse le choix de trouver les mots. « Tu vois, demain, c’est vendredi et pendant 2 jours, je vais pas la voir. » Il n’y a rien que je puisse lui dire qui pourrait le réconforter tant il a raison de souffrir du manque qu’il anticipe. Je me lève et le rejoins dans son exil. « Elle doit certainement se dire la même chose que toi, du coup, vous êtes ensemble dans la tête et le cœur, en attendant, nous, on est là et le week-end, c’est plus sympa quand t’es avec nous tu vois ? »   C’est à son tour de ne rien dire et de sourire enfin. Il se lève et tire son sac plombé. Je n’ai pas sorti mon couplet habituel et cassant selon lequel sa rengaine hebdomadaire commençait à ne plus faire avancer les choses. Curieusement, l’idée ne m’est pas venue à l’esprit. La victoire sur mon autorité serait-elle en vue ?   Requinquée à mon tour par le ressort que j’ai donné à mes fils, je me remets à surfer au petit bonheur la chance. Alors que secouée de rires partagés avec ma bretonne correspondance, j’entends à peine ceux d’Arnaud et de Nicolas dans le couloir, je sens une présence sur mon épaule. Jérémy semblait fort intéressé par ce qui pouvait bien me faire bidonner comme un cétacé. « Tu es là depuis longtemps ? -Oui, tu as l’air de bien t’éclater. -C’est Cécile. -Ah je vois… -Les devoirs sont finis ? -Oui… Enfin juste un exo de maths super rapide et facile que je ferai demain en perm’ -Tu le vois. » Immédiatement, je sens qu’il son menton, alors appuyé sur mon épaule, se détache lentement de son logement d’appoint. Il a senti mon recul. Il s’éloigne lentement de ma présence, prévoyant le courroux. Je ne dis rien, mais les mots «  maths, facile, demain » tournent comme des avions dans ma tête. Je sais qu’il est encore dans le hall d’entrée, mais je hausse tout de même le ton. « Tu sais, ça serait mieux de le faire maintenant, il est pas tout à fait 6 heures, au moins tu pourrais le commencer. -Mais maman… Il est déjà presque 6 heures et j’ai même pas pris le temps de jouer. -Mais je te dis, tu le vois, t’étonne pas après de me ramener des cartons. Fin de la discussion. -Bon allez, t’as gagné, c’était trop beau, je vais le faire. »   Il est 17h53 quand il ouvre son cahier, sur la table de la salle à manger. Je tente de matérialiser une cloison entre lui et moi, de façon à n’entendre ni ses soupirs, ni ses réprimandes envers les maths, la prof, le collège et la vie en général. A 19h17, il s’avance vers moi. « Question 2, j’y comprends rien. -Tu as vu l’heure ? -Quoi l’heure ? -Ca fait plus d’une heure que tu y es et t’as pas dépassé la 2nde question ? T’as bien vu qu’il y en avait 5 hein ? -Mais je te dis que j’ai pas compris la 2 ! -Alors passe aux suivantes, c’est pas des questions dépendantes et tu le sais, juste là, t’as pas envie de le faire cet exo et tu pensais le torcher rapidos en étude demain, après qu’un pote te l’aura filé. -J’avais surtout prévu que tu me tombes pas sur le dos avec ça. -Dans ce cas, je vais t’écouter, tu vois, ton exo de maths facile, rapide et toi, je vais vous foutre une paix royale là, fin des émissions de variétés mon grand. »   Je n’ai pas le temps de le voir plier ses affaires et foncer dans sa chambre, j’entends juste la porte claquer.   La tension est à son comble, je suis pétrifiée par la colère et l’échec que je viens de subir. Je réalise que j’ai perdu contre moi. Quand Copilote rentre tout sourire, il tourne les talons rapidement, après avoir constaté les ravages que la colère avait laissés sur mon visage.   Ce n’est qu’à table qu’il décide de prendre le relais. « Bon alors il est où le problème ? -Le problème est que ton fils ici présent en face de moi avait décidé de ne pas forcément faire son exo de maths, estimant qu’il avait largement le temps demain matin en étude. -Et ? -Et il se trouve qu’une heure d’étude ne comporte qu’environs 45 minutes, entre déballage d’affaires, menaces du surveillant et bâillement aux corneilles et que là, il lui a fallu largement plus que ce délai pour traiter 2 des 5 questions de l’exo. -Et ? -Et que si j’avais pas insisté, son exo, il l’aurait pompé sur un pote et il aurait cru devenir soudainement matheux. -Et ? -Et qu’il nous aurait trahis, mais visiblement ça ne choque personne dans cette maison d’avoir à répéter 55 fois par jour que sans bosser on arrive à rien, que sans s’avancer dans son boulot, on finit par être débordé et ramener des 7,5 en physique, par exemple. -Oui, mais si c’est pour que tu me tombes dessus à chaque fois, j’ai pas le choix. -Là, d’acc avec lui, d’autant plus qu’après tout, c’est plutôt son problème, s’il choisit de gérer son temps comme il l’entend ou de faire ou pas ses devoirs tout seul, je le prends pas comme une trahison, il reste du fromage pour finir ton super pain ? »   J’ai encore perdu. Après la victoire du fils, celle de son père. Ils ont tous les deux raison. Je refais le match. Je reconnais ma défaite. Jérémy veut tout simplement que je le lâche un peu, beaucoup. Qu’il s’agit de son temps, de sa vie. Qu’il déteste les maths, tout simplement, quitte à tricher pour me faire croire le contraire. Et après ? J’aurais dû lui laisser prendre le dessus, me taire et ne pas tenter l’offensive. Le laisser vivre.   Les laisser vivre.   Comme ce matin.

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