Ce mardi 15 septembre, la loi très controversée Hadopi a été adoptée au Sénat. Retour sur un long feuilleton de deux ans.
Mais tout d’abord, qu’est-ce qu’Hadopi ? Pourquoi cette loi est-elle si critiquée ? Et enfin, dans quelles conditions est-elle passée au Sénat ?
Hadopi, une loi très controversée
Le 23 novembre 2007, Nicolas Sarkozy annonçait l’« avènement d’un Internet civilisé ». Une haute autorité allait être formée pour lutter contre le piratage. Celle-ci adresserait aux contrevenants des avertissements gradués, menant à la suspension de la connexion Internet. Le Président de la République concluait: « Je vous propose que l’on se retrouve dans six mois pour tirer le bilan de l’application de ces nouvelles normes ».
La première mouture de la loi Création et Internet voulait que tous les pouvoirs soient dans les mains de la haute autorité. En effet, après avoir envoyé un courriel puis un recommandé à la personne présumée coupable, elle pouvait tout simplement suspendre la connexion internet du contrevenant par le biais de son FAI.
Critiques
Les critiques sont très nombreuses, et émises aussi bien par l’opposition que par la communauté du net, notamment à travers le site de La quadrature du net.
La première critique visait son anti-constitutionnalité. En effet, la loi dans sa première version ne respectait pas un des fondements de la justice française : la présomption d’innocence. Plutôt que ce soit à l’autorité de prouver que l’accusé est coupable et d’en amener les preuves, c’était à la personne inculpée de le faire. Aussi, le conseil constitutionnel s’est prononcé sur la suspension de la connexion à internet : étant une liberté immuable, seul un juge a le droit de l’ôter.
Une autre critique concerne l’absence de mentions concernant les entreprises et les personnes morales. Ainsi, la connexion internet d’une entreprise, d’un CHU, pouvait être coupée à cause du comportement d’un patient, d’un employé…
Une troisième critique concerne le « mouchard », payant, propriétaire et disponible uniquement sur Windows, qui permettrait de prouver son innocence. On pointe ainsi du doigt l’inégalité que ce logiciel mettrait en place (tout le monde ne peux pas forcement se permettre des dépenses supplémentaires ou ne possède pas Windows) et la possible sécurité jugée trop faible du logiciel, aubaine pour les crackers.
Premier passage à l’Assemblée nationale
En octobre 2008, la loi est adoptée à la quasi-unanimité au Sénat, seul le PCF se démarquant par son abstention.
Toutefois, un fait, soulignant la faible mobilisation de la majorité, sera le premier coup de théâtre de ce feuilleton : le jeudi 9 avril, la loi est rejetée à l’Assemblée nationale par 21 voix contre 15. En effet, l’opposition et la communauté du web marquent une forte opposition à cette loi, exposant les critiques décrites ci-dessus. Un député UMP, opposé à la loi, explique :
Citation : Lionel Tardy
A l’UMP, il y avait un malaise par rapport au texte. Peut-être que ça a joué sur la présence des députés ce matin. C’est le boulot du groupe UMP de rameuter les troupes. Ou au moins aux élus parisiens d’assurer la majorité. Normalement, quand un texte est bien ficelé, on a la majorité sans problème. On peut trouver beaucoup de raisons pour ce rejet, mais il faut peut-être se poser les vraies questions sur le texte.Toutefois, la majorité (approuvant principalement ce projet de loi) dénonçait à travers la voix de Franck Riester, rapporteur UMP du projet de loi, « une obstruction de plus de la part de la gauche ».
Une nouvelle lecture devant l’Assemblée nationale est annoncée, dénoncée comme un passage en force du gouvernement par la secrétaire nationale des Verts, Cécile Duflot, et le député Nicolas Dupont-Aignan.
Deuxième passage
Le 12 mai 2009, après 40 heures de débats tendus, la loi est adoptée par 296 votes positifs, contre 233 négatifs. Un seul représentant de l’opposition (Jack Lang) a voté pour cette loi, tandis que la majorité compte 6 votes négatifs. La loi a fait l’objet de 500 amendements, dont plus de 200 votés en 20 minutes, lors de cette séance où les députés de la majorité s’opposant au texte, Christian Vanneste (rapporteur du projet de loi DADVSI) et Lionel Tardy, sont privés de micro. A l’issue de cette séance, Christine Albanel se déclare déçue par la faible majorité.
Le lendemain, le Sénat vote également pour, par 189 voix contre 14.
Saisie du Conseil Constitutionnel
Le 19 mai 2009, le Conseil constitutionnel est saisi sur 11 griefs d’inconstitutionnalité. Le dix juin, celui-ci rend son jugement: 2 passages clef sont censurés.
La loi enfreint deux passages clef de La Déclaration de l’Homme et du Citoyen : l’article 11 qui protège « la liberté de communication et d’expression » et qui « fait l’objet d’une constante jurisprudence protectrice ». Donc, le pouvoir de « restreindre l’exercice, par toute personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement » ne peut « incomber qu’au juge ».
De cette façon, la riposte graduée, clef de voûte d’Hadopi, s’effondre. La haute instance en sera réduite à envoyer les avertissements.
Adoption de la loi
Malgré les revers subis par la loi, Nicolas Sarkozy insiste pour qu’elle soit promulguée.
Mais suite à la critique du Conseil Constitutionnel de la loi, un changement important y a été apporté. Désormais, ce sera un juge unique qui pourra décider de couper la connexion à Internet d’un usager.
Le texte a été débattu au Sénat et à l’Assemblée Nationale et a été adopté le mardi 15 septembre. Le P.S. a déjà annoncé qu’il porterait à nouveau recours devant le Conseil Constitutionnel, jugeant la politique du juge unique inadaptée. La droite pointe du doigt une nouvelle tentative d’obstruction.
Finalement, cette loi tant médiatisée a enfin été adoptée, bien que très amputée. La Haute Autorité Hadopi, censée avoir un pouvoir sur la décision d’interrompre l’accès internet, ne pourra plus qu’envoyer les e-mail et courriers de prévention, si toutefois la nouvelle requête du Parti Socialiste devant le Conseil Constitutionnel n’aboutit pas.
Toutefois, cette loi aura fait quelques dégâts dans la sphère politique. La popularité de la ministre de la culture, Christine Albanel, celle des relations avec le Parlement et celle Roger Karoutchi se sont effondrées, sans parler du licenciement considéré par certains comme abusif de Jérôme Bourreau-Guggenheim, car celui-ci avait envoyé une lettre à l’intention de sa députée pour exprimer son opinion anti-Hadopi.
Sources : SiteDuZero