La saison des conférences est sur le point de se terminer, et une horde de chercheurs retournent vers leurs labos. Il me reste une série de slides à préparer pour une conférence retardataire, si ils acceptent mon abstract, et je profite donc du temps assez long qui me reste avant de livrer le produit fini pour réflechir à ce qu’on fait, dans la pratique, quand on présente. Et surtout, comment faire pour ne pas endormir son auditoire.
On donne une présentation, ou un poster, pour présenter des résultats. Plus rarement pour donner son point de vue sur un sujet particulier, faire une synthèse, etc. En général, dans la situation qui nous préoccupe (je suis un chercheur et je présente des résultats), on suit le cheminement classique: Introduction, problématique, méthodes, résultats et conséquences, perspectives.
On prend l’habitude de faire ce genre d’exercice intellectuel en écrivant des papiers, pour lesquels, sauf journal particulier ou format particulier, on suit le schéma Intro, Matériels et méthodes, Résultats, Discussion. Du coup, on se prend à penser comme ça dans le cas ou on doit présenter des résultats devant des personnes, et non plus simplement les transmettre par écrit. Sauf que la demarche, au fond, n’est absolument pas la même.
Si il fallait simplement refaire le papier sur des slides, et le projeter devant un public, autant le distribuer en version papier, leur laisser 15 minutes pour le survoler, et garder 5 minutes pour des questions. En regardant une bonne centaine de présentations pendant l’été (et en relisant les miennes!), j’ai eu l’impression que le papier aurait été aussi utile, et probablement plus clair – on a tendance, à l’oral, a s’accorder quelques digressions sur un résultat un peu curieux, ou sur un effet à la limite de la significativité qui n’aurait pas lieu d’être dans un papier. La seule présentation qui m’aie réellement collé à mon siège a été celle de Ahmot Zahavi, qui… est arrivé dans l’amphi sans support visuel, et a raconté une jolie histoire pendant 20 minutes.
En le regardant faire (et en écoutant chacun de ses mots, parce qu’il est quand même sacrément intéressant), je me suis rendu compte que si on faisait des présentations, c’est aussi pour échanger directement avec les gens en face de nous, et leur transmettre quelque chose autrement que par écrit. J’en suis arrivé à la conclusion que ça demande probablement des adaptations à toutes les étapes de la préparation du talk: la conception, la mise en page, et surtout la présentation en elle-même!
Trois composantes
J’ai choisi de séparer une présentation en trois éléments distincts : la conception, la mise en page, et enfin la présentation. Les lignes qui vont suivre reflètent mon état d’esprit actuel quand j’aborde la création d’une présentation. Je ne prétend pas que ça fonctionne avec tout le monde, et vos avis sont les bienvenus en commentaires!
La conception est probablement l’étape la plus importante si on veut faire une différence entre un papier et une vraie présentation. Ca revient à se demander : quelle histoire je raconte? Et surtout : comment je vais pouvoir faire travailler l’imagination de mon auditoire avec cette histoire? Dans les faits, c’est à ce moment qu’on sélectionne les résultats dont on parle, les figures qu’on présente, l’étendue de la revue du sujet qu’on sert pendant l’introduction, et surtout, dans quelle mesure on dévoile ses plans pour le futur. Ceci fait, on peut s’imposer un petit exercice pour voir dans quelle mesure notre présentation est cohérente: raconter l’histoire sans support visuel d’aucune sorte. Si la présentation tient debout par elle-même, alors c’est bon, vous avez gagné le droit de passer à l’étape de la mise en page. Sinon, il faut trouver dans votre histoire les éléments inutiles, mais aussi les éléments manquants.
L’objectif est que, au moment de la mise en page, vous vous sentiez un peu perdu : si votre histoire tient debout toute seule, pourquoi lui ajouter des graphiques, du coup superflus? En y réflechissant, je me suis rendu compte que la façon dont on fait (techniquement) les présentations a formaté la façon dont on les fait (intellectuellement). Plutôt que d’adapter l’outil à notre créativité, on se met à penser dans des contraintes que l’outil semble nous imposer. On commence une présentation en ouvrant un document Keynote (ou PowerPoint, selon de quel côté on est), et on se trouve face à un titre avec une bullet list. Et la plupart des présentations auxquelles on peut assister brodent autour de ce modèle. Ce qui fait que les bullets, on finit par se les tirer dans le pied.
Voilà pourquoi, en général, je commence mes présentations avec une diapo entièrement blanche. Si je n’ai pas besoin de titre, je n’ai pas l’obligation de mettre un titre. Si je n’ai besoin que d’un titre, je n’ai pas l’obligation de mettre le moindre élément en plus!
Vos diapos racontent une histoire
Et non l’inverse! L’idée, à ce stade, est de reprendre le fil de son histoire, et de se demander : « Qu’est-ce qui manque »? Qu’est-ce qui peut aider l’auditeur à comprendre ce que je raconte, sans que ce soit superflu. Exemple. L’autre jour, j’avais envie de commencer mon talk en soulignant que, comme je suis très futé (lire: brouillon), je m’intéresse à des choses très complexes (lire: floues). J’ai cru malin de mettre comme titre : « Un trait complexe », et d’utiliser une liste à trois éléments pour souligner les points qui créaient cette complexité. Ce fût stupide. En agissant ainsi, je ne faisais que répéter ce qui était marqué sur la diapo. Pire, je détaillais un peu chaque ligne, ce qui laissait à mon auditoire toute latitude pour lire quelque chose qui n’avait aucun rapport avec ce que je racontais en même temps.
Comment faire mieux? En partant du principe qu’on raconte son histoire de manière linéaire. Autrement dit, il n’y a pas de raison que sur une slide figure plus d’une idée. Plutôt que de rester 3 minutes sur une diapo unique, pourquoi ne pas passer 30 secondes sur chaque diapo? Les avantages sont évidents. Chaque diapo est maintenant consacrée à une idée, ce qui signifie que vous êtes libres d’aérer votre mise en page. Essayez le minimalisme, avec un mot unique au centre de l’écran! En plus, vous n’avez pas à vous demander ce que votre auditoire est en train de lire: il n’y a plus qu’une seule idée présente au même moment, et c’est précisément celle dont vous êtes en train de parler! Pour finir : n’ayez pas peur du blanc, du vide, des grands aplats de couleur. On voit mieux un mot clé s’il est seul à l’écran que s’il est perdu entre un titre superflu, une figure pixelisée, et une liste de références écrit en trop petit en bas de l’écran.
Montrez vos résultats, pas vos diapos!
Paradoxalement, le seul objectif d’avoir un support visuel est donc d’oublier que ce support visuel existe. Vous ne venez pas montrer vos diapos, vous venez montrer vos résultats! On passe donc de la partie mise en page à la partie présentation, autrement dit la livraison du produit fini. Et le produit fini, ne vous y trompez pas, ce n’est pas vos slides. C’est le résultat, la discussion que vous venez amorcer, c’est l’histoire que vous allez raconter.
Si il est important que votre auditoire se détache du support visuel, peut-être est-il plus important encore que vous-même en soyez détaché. Ne vous tournez pas vers vos diapos à chaque phrase. L’objectif de l’étape de mise en page est justement de vous empêcher ce recours, puisque tout ce qui n’est pas absolument nécessaire aura été éliminé. Autrement dit, tournez vous vers votre public, et parlez.
La mise en page devient particulièrement importante pendant votre présentation. Comment traiter un moment délicat, pour lequel aucun support visuel n’apporte d’information supplémentaire, mais qui se trouve quand même au milieu de votre talk? La solution est tellement simple que j’ai mis au moins 20 minutes à la trouver quand j’ai eu besoin de la trouver pour de vrai. Si il n’y a rien à montrer, ne montrez rien. Souvenez vous mon éloge du minimalisme quelques paragraphes plus tôt. Il n’y a pas de honte à avoir une « non-diapo » entièrement vide, puisque, rapellez vous, vous ne présentez pas une œuvre d’art sous forme de diapos, mais vous venez pour raconter une histoire. Si votre support visuel n’a plus de raison d’être pendant une petite minute, alors ne le laissez pas parasiter votre auditoire.
Quelques mots pour finir
Pour conclure, toutes les étapes précédentes ont pour seul objectif de faire oublier au maximum le support visuel au moment ou il devient le plus crucial: pendant que vous donnez votre présentation. Pour mes futures présentations, je compte tenter de m’en rapprocher au maximum, et de faire en sorte que les diapos ne soient pas le centre de mon attention (pendant la présentation), mais uniquement un support qui, dans l’absolu n’est pas nécessaire (dans le pire des cas, seules les diapos avec les figures sont réellement indispensables!). Et vous, comment abordez-vous cet exercice?