Philosophie de l'économie

"Si le combat est tellement implacable à la surface de l'être mondial, c'est seulement parce qu'il est livré à l'intérieur, au sein même du monde. Celui-ci n'est capable d'entretenir qu'une vie mortelle ...

La lutte pour l'existence, c'est pour la conscience se sentir captif de la nécessité, du mécanisme inanimé de la nature, des "éléments vides et vains" du monde, qui représentent tous une menace : la mort. ...

Une nécessité aveugle, des forces élémentaires sans raison, une inertie mécanique, un fatum de fer, tels sont les masques sous lesquels se manifeste l'esprit du néant, "le prince de ce monde", la Mort. Une cagoule de réité, d'altérité, d'impénétrabilité recouvre la nature.

Seuls des visionnaires élus savent qu'en réalité elle

N'est pas ce que vous voyez

Une figure sans yeux ni souffle

Il y a en elle âme et liberté,

Amour et langage.

Mais à eux aussi, cela ne se découvre qu'en des instants d'illuminations, non pas dans le quotidien; et pour eux aussi existe ce monde des choses, désert sans eau sous le ciel livide, où la destruction et la mort les guettent à chaque pas.

L'être vivant se sent asservi à la nécessité, au mécanique. A l'opposé, la vie est principe de liberté et d'organique, c'est-à-dire de finalité libre.

...

Cet emprisonnement de l'existence par le prince de ce monde, par l'esprit du néant et de la mort, se traduit par le fait que l'homme dépend fatalement de la satisfaction de ses besoins inférieurs, animaux, que l'on appelle matériels, faute de quoi la vie est détruite. La lutte pour la vie est par conséquent d'abord la lutte pour la nourriture. Ce qui rapproche l'homme de tout le monde animal. Eu égard à une telle parenté, on peut considérer toute l'économie humaine comme un cas particulier de la lutte biologique pour l'existence."

Père Serge BOULGAKOV, La Philosophie de l'économie, L'Age d'Homme, Paris, 1987.