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La mort de mon "père"

Publié le 22 septembre 2009 par Cetaitdemainorg
J'apprends la mort annoncée, sans Gabriel Garcia Marquez, de mon "père". Comment dire avec ces guillemets qui encadrent le mot père ? Mon "père" est également le père de l'Allemand dont j'ai déjà parlé. Mon père de papier. Il m'a reconnu et je figure comme son fils sur les registres de l'état civil. Tadeusz Kurek. Une jeunesse perdue dans la guerre, de la Pologne à l'Allemagne puis dans le sillage de l'armée américaine. Feu et glace. Misères réchauffées au brasero des circonstances quand le sourire pouvait avoir lieu. Errance. Cet enfant qu'il fit avec une Allemande et qui sera je l'espère aux obsèques. Et puis lui et moi. Je l'ai rencontré en 1979 quand j'ai rencontré ma mère. Il m'a bien accueilli. Je veux dire qu'il m'a totalement accueilli. Je lui en sais gré. Je ne l'aime pas mais j'ai de l'amitié pour lui. Et je me souviens. 1980, peut-être, le besoin de dater, comme toujours chez moi, pour entretenir l'illusion de la biographie, pour rédiger une histoire lisible. Nous jouons aux échecs, lui et moi. J'ai 25 ans. Je ne suis pas sûr de mes coups. Il joue vite. Très vite. Je sue. J'essaie d'avoir une vision d'ensemble des 64 cases. Il joue de plus en plus vite. Je vais perdre. Je veux gagner. Je ne veux pas qu'il gagne. Je ne supporterais pas que mon père de "papier" batte aux échecs l'enfant que sa femme, ma mère vient de retrouver. Pourquoi ce vain combat autour du symbolique ? J'étais jeune, ému de retrouver une famille que je n'avais jamais connue. Tadeusz, devenu Michel l'a senti, l'a compris. Il n'avait pas les mots pour le dire en français mais je suis convaincu qu'il l'a compris dans sa chair qui connaissait depuis si longtemps la souffrance. Il m'a laissé gagner. Et nous avons parlé d'autre chose. Des petites choses qui font les grandes choses quand on sait se souvenir. C'était peut-être de son jardin où il semait amoureusement ses légumes, de sa voiture ou de tel ou tel qui lui avait dit ceci ou cela, dans l'infra-ordinaire dont nous nous nourrissons toujours surtout quand nous nous savons aimés. Ce souvenir, je l'ai transfiguré comme une immanence, j'en ai fait peut-être, un motif littéraire, une allégorie, mais, alors que j'écris cet article, je pense à lui, à la main qu'il tendait toujours aux trois enfants que notre mère eut avant lui, Chantal, Claude/Jean-Michel et votre serviteur. Je pense aussi à nos quatre soeurs d'après et à notre frère d'après, marqués qu'ils sont tous et toutes par la singularité de cette histoire de famille, et je les serre contre moi. Que mes mots, puisque je suis le porteur de mots, puissent dire que Tadeusz/Michel Kurek fut simplement quelqu'un de bien, avec ses arrangements pour vivre comme chacun s'arrange, sans idéalisation iconique, mais toujours la main tendue à l'autre. Je n'ai pas de chagrin dans cette relation particulière qui nous traversa, liée à l'intime comme à la grande hache de l'Histoire, mais j'éprouve une vraie tristesse, ni grande ni petite mais vraie, et je serre contre mon coeur tous ceux et celles qui ont connu et aimé ce père qu'il aurait pu être pour moi.

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