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Refoulement aux frontières des réguliers: une abrogation opportuniste

Publié le 23 septembre 2009 par Combatsdh

Il ne l’aura pas signé un Dimanche mais un Lundi - cette fois-ci ! Afin d’échapper à une suspension, qui devait intervenir le 23 septembre, de la note de la DCPAF du 25 mai 2009, le ministre de l’Immigration a, par circulaire du 21 septembre 2009, adressé à ses services de nouvelles instructions ministérielles s’agissant des possibilités de retour dans l’espace Schengen des étrangers titulaires d’un récépissé de première demande d’un titre de séjour ou d’une autorisation provisoire de séjour au titre de l’asile (v. notre précédent billet à l’issue de l’audience du 16 septembre : “Refoulement des “avec-papiers” aux frontières : recul des ministères à l’audience” ).

La nouvelle instruction ministérielle est justifiée, non sans euphémismes, par “des difficultés par la mise en oeuvre de ces différents textes” et  “un souci de sécurité juridique et et de simplification” amenant à “clarifier les règles applicables”.

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Le “montage” juridique de cette abrogation est d’ailleurs un peu complexe - sûrement pour des problèmes de compétence.

- D’une part, le ministre de l’Immigration abroge sa circulaire du 6 juillet 2009 qui avait été adressée aux préfectures suite aux critiques formulées par l’Anafé sur l’absence totale d’information par les préfectures, au mépris du principe de sécurité juridique, sur le changement d’interprétation du Code frontières Schengen. Comme nous l’avions raconté, à l’occasion d’une audience en référé-liberté devant le Conseil d’Etat sur une affaire individuelle, le représentant du ministère de l’Intérieur (DLPAJ) avait découvert l’existence de la note de la DCPAF du 25 mai 2009 grâce à… l’Anafé.

Lors de l’audience du 16 septembre, le ministère s’était prévalu de la circulaire NORIMIM0900073C du 6 juillet 2009 pour affirmer que les préfectures - et par suite les étrangers - avaient été informées de la nouvelle interprétation.

Là voilà donc abrogée.

Au demeurant, n’ayant pas été publiée sur www.circulaires.gouv.fr, elle n’a jamais été “applicable” et n’aurait jamais dû être opposée aux administrés en application de l’article 1er du décret du 8 décembre 2008.

A vrai dire, elle ne figure même pas au BO du ministère ni même sur le site du ministère de l’immigration (rubrique texte). Même le fin limier responsable de la rubrique “texte” du site du Gisti n’avait pas eu connaissance de ce texte.

C’est dire.

Heureusement que le ridicule ne tue pas les fonctionnaires signataires d’une telle instruction - connue par personne, qui n’a jamais été juridiquement applicable et n’a jamais pu produire le moindre effet à l’égard des intéressés!

- D’autre part, la circulaire du 21 septembre adresse une nouvelle interprétation résultant de “la combinaison du CFS et de la jurisprudence du Conseil d’Etat”.

Comme on s’y attendait, elle “colle” désormais au Code frontière Schengen en prévoyant:

- que le titulaire d’un récépissé de renouvellement d’un titre de séjour ou de n’importe quelle autorisation provisoire de séjour - autre qu’une APS “asile” - peuvent revenir dans l’espace Schengen sans visa retour.

Comme cela a été annoncé à l’audience, la France va notifier à la commission les APS “oubliées” lors de sa précédente notification.

Avec l’absence de publication de l’arrêté de nomination du signataire de la note du 25 mai 2009, ce grief constituait le doute le plus sérieux sur sa légalité et aurait, à défaut d’abrogation, sûrement valu la suspension de la note ministérielle.

- que le titulaire d’un récépissé de première demande d’un titre de séjour ou d’une APS délivrée au titre de l’asile ne peut, en application de l’inteprétation retenue des articles 5§1, 2§15 et 34 du CFS, revenir dans l’espace Schengen que muni d’un visa retour.

Et donc, comme l’Anafé l’a toujours affirmé, cela revient à réinstaurer les visas retour. D’ailleurs ce n’est pas caché dans la circulaire du 21 septembre:

“La règle dans ce domaine est la possession d’un visa consulaire de retour”

La circulaire réintroduit, à titre exceptionnel et sans aucun fondement légal, le visa de retour préfectoral (VRP).

Il est délivré justement aux VRP et dans des cas de force majeure ou humanitaire. Le ministre recommande en effet aux préfets de les délivrer, sur présentations de justificatifs, dans les cas de force majeure, pour les voyageurs d’affaires, les cas humanitaires, les étudiants pendant les voyages scolaires ou universitaires.

Il est néanmoins précisé qu’à l’exception du visa de retour préfectoral délivré aux mineurs notifié à la Commission, ces VRP ne permettent de revenir dans l’espace Schengen que par la France - ce qui d’ailleurs est une démonstration du caractère extra-légal (pour ne pas dire illégal…) de ces visas.

- en dernier lieu, après 4 mois d’application du changement d’interprétation résultant de la note du 25 mai 2009, le ministre demande enfin aux préfectures d’informer les intéressés de ce que ces titres de séjour provisoires (récépissés de première demande et APS asile) ne permettent pas de revenir dans l’espace Schengen sans visa de retour.

Ayant sûrement retenu la leçon (ou appris à l’audience qu’une circulaire ministérielle non publiée sur circulaire.gouv.fr n’était pas applicable) le ministère a battu des records de célérité puisque la circulaire du 21 septembre a été mise en ligne dès le 22 septembre.

Quel exploit! (v. “Ce 1er mai 2009, débarrassez-vous de vos vieilles circulaires désormais abrogées”, CPDH, 1er mai 2009)

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Refoulement aux frontières des réguliers: une abrogation opportunisteCirculaire NOR:IMIK0900087C du 21 septembre 2009 relative aux conditions d’entrée dans l’espace Schengen des ressortissants d’Etats tiers détenteurs d’autorisations provisoires de séjour (APS) et de récépissés de demande de titre de séjour délivrés par les autorités françaises

2. Par ailleurs, dans une note du même jour, le Directeur central de la police aux frontières informe ses services de l’abrogation de la circulaire du 6 juillet 2009, de son remplacement par celle du 21 septembre et, surtout, de ce que ces nouvelles instructions “remplacent les instructions contenues” dans celles du 25 mai 2009.

Toute la manoeuvre consiste en effet à vouloir empêcher une suspension de celles-ci comme le demandait l’Anafé par sa requête du 23 juillet 2009.

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[Désolé pour la piètre qualité de ce scan d’un document faxé]

Dans des “observations complémentaires” présentées par l’avocat du ministère on apprend d’ailleurs - non sans un certain scepticisme - :

“Que cette note [du 21 septembre] retire ou abroge celle du 25 mai 2009 n’a aucune incidence dans l’instance en référé-suspension. En effet, dans les deux cas, la demande de suspension de l’Anafé n’a plus d’objet”.

Curieux.

Il y a pourtant lieu de distinguer un retrait - qui fait disparaître rétroactivement un acte - et une abrogation qui ne vaut que pour l’avenir.En l’espèce la note du 21 septembre « remplace les instructions contenues » de la note du 25 mai 2009. Il s’agit donc d’une abrogation.

Or, la note DCPAF et la circulaire ministérielle du 21 septembre 2009 contiennent des dispositions impératives et par sa publication sur le site circulaire-gouv.fr la circulaire est applicable et opposable aux administrés.

Or, le Conseil d’Etat a déjà jugé que:

« Considérant que, dans le cas où le refus opposé à une demande d’abrogation d’un acte fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et que l’administration procède, avant que le juge n’ait statué, à l’abrogation demandée, celle-ci, lorsqu’elle devient définitive, emporte des effets identiques à ceux qu’aurait eu l’annulation par le juge du refus initial ; que dès lors, il n’y a pas lieu pour celui-ci de statuer sur le mérite du pourvoi dont il était saisi alors même que l’acte abrogé aurait reçu exécution »

et que
« Considérant (…) que lorsque postérieurement à l’introduction de la requête dirigée contre le refus d’abroger un texte, les dispositions dont l’abrogation a été demandée, sont modifiées, il y a lieu pour le juge de statuer sur la requête en examinant, au regard des moyens soulevés, les textes dont l’abrogation a été demandée, tels qu’ils ont été modifiés »

(CE, 24 janvier 2007, Gisti, n°243976, au Lebon).

En l’espèce, certaines dispositions de la note ministérielle dont la légalité avait été contestée préalablement ont été reprises dans la circulaire du 21 septembre 2009. Ainsi malgré son abrogation par la note du 21 septembre, il y a lieu pour le juge des référés de statuer sur la requête en suspension en examinant, au regard des moyens soulevés, les textes dont l’abrogation a été demandée, tels qu’ils ont été modifiés ou repris.

A l’audience du 16 septembre, le président Martin a d’ailleurs expressément envisagé  l’hypothèse d’une prolongation de l’instance en cours contre les nouvelles instructions ministérielles si elles reprenaient partiellement les instructions abrogées.

Les protagonistes devraient donc se retrouver.

Et espérons que cette fois-ci plus personne ne cherche à reculer devant l’obstacle de l’interprétation du Code frontières Schengen au regard du principe de liberté d’aller et venir…


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