Souvenez-vous, il y un peu plus d’un an, les Irlandais ont vigoureusement et
non sans une certaine fierté rejeté le traité de Lisbonne sur lequel ils ont
été amenés à se prononcer par référendum. Or, voilà que dans quelques jours (le
2 octobre), on va leur demander de remettre le couvert, histoire de confirmer
ou de préférence (c'est moi qui le dit) d’infirmer leur premier vote.
Seul peuple à utiliser ce mode de décision pour cause d’obligation
constitutionnelle, les Irlandais, avec ce vote, se sont évidemment fait un tas
d’amis du côté des fameux nonnistes de Droite et de Gauche.
J’entends encore les Mélenchon, De Villiers et consorts nous asséner que la
preuve était faite que les peuples refusent le traité de Lisbonne pour un tas
de raison que je n’ai pas encore bien compris je dois l’avouer, mais pour un
tas de raisons certainement très bonnes puisque le Peuple Irlandais en digne
représentants de tous les peuples européens l’a refusé !
J'entend également Jean-Pierre Chevènement clamer: « Le rejet de la
Constitution européenne bis est un service rendu à l’Europe tout entière». «Le
vote du peuple irlandais revêt une signification profonde: les peuples refusent
de se laisser dissoudre dans une Europe à la fois technocratique et
antisociale»….rien de moins !
J’entends encore la réaction euphorique de Philippe de Villiers: «Le peuple
irlandais a parlé au nom du peuple français» en rejetant cette «Constitution
bis». «C'est pourquoi je dis que nous sommes tous des Irlandais.» …eh bien non,
justement, nous ne sommes pas tous des Irlandais et c’est justement là la
difficulté ! Il serait évidemment plus facile de faire l’Europe si nous
étions tous des Irlandais, des Français ou des Allemands !!!
Sans compter tous ces anonymes qui, frustrés de n’avoir pas pu s’exprimer
par les urnes, l’ont fait via les commentaires des blogs et medias avec des
envolées lyriques de la plus belle facture comme : « Le non des
Irlandais est "une victoire de la liberté et de la raison, sur les projets
élitistes artificiels et la bureaucratie européenne » ou encore « Le
peuple Irlandais fait remonter la voix de tous ceux qui en sont privés »
…ben tiens !
En bref, il était clair pour beaucoup, que les Irlandais ont dis tout haut
ce que l’Europe entière pensait tout bas, se faisant ainsi le porte-voix (dans
tous les sens du terme) de 500 millions d’européens muselés par leurs
gouvernants !
Pourtant, pourtant….qu’a-t-il dit le Peuple Irlandais ?
Il a dit « non », ok, mais pourquoi, à quoi ?
Outre les inévitables considérations de politique intérieure qui n'ont rien
à voir avec la question posée, grand classique de tous les référendums (ou du
moins dans les pays qui n’ont pas l’habitude de le pratiquer), la réponse se
trouve dans les exigences de ces mêmes Irlandais :
Pour accepter de revoter, les Irlandais ont demandé aux pays européens de
garantir que l'adoption du traité de Lisbonne n'affecterait ni la neutralité
militaire, ni le régime fiscal irlandais, ni l'interdiction d'avorter, ni le
maintien du principe d'un commissaire européen par pays de l'Union….et qu’elle
n’imposerait pas le mariage gay !!!
Tout ces points leur ont été accordé d’autant plus facilement que 4 d’entre
eux ne sont, de toute façon, pas concernés par le Traité !
Seul le principe d’un commissaire par pays aurait été remis en cause par le
Traité de Lisbonne. Au lieu de cela, la pléthorique Commission restera composée
d’un commissaire par État membre (et donc d’un Irlandais).
Ces exigences, pour l’essentielle inutiles, montrent bien qu’à l’occasion de
ce vote, tout et n’importe quoi a été dit par les nonistes et notamment par le
premier d’entre eux, le richissime Declan Ganley leader de Libertas, le parti
qui s’est pris une tôle aux Européennes.
En tout état de cause, il me parait un peu osé d’aller prétendre qu’avec de
telles considérations, à la fois très spécifiques et somme toute très
nationalistes, les Irlandais ont voté au nom du bon peuple d’Europe dans son
ensemble !
Les Irlandais vont donc revoter mais quelque soit le résultat du vote, on
peut être certains que nos chantres de la « démocratie populaire quand ça
les arrangent » trouveront prétexte à hurler au déni de démocratie
!
Si c’est le « no », ils viendront nous dire : « vous voyez
bien, dès qu’on donne la parole au Peuple, il refuse cette Europe ultralibérale
et technocratique » !
Si c’est le « yes », ils viendront nous dire : « vous n’avez
pas respecté le choix du Peuple Irlandais (sous-entendu des peuples européens),
vous l’avez obligé à revoter en lui mettant une pression telle qu’il n’avait
pas d’autre solution que de voter oui » !
En dehors du cas précis du processus d’adoption du traité de Lisbonne, tout
ceci montre les limites du référendum et, à contrario, met en valeur tous les
mérites de la démocratie représentative !
Cela met aussi en évidence la nécessité d’en finir avec l’exigence
d’unanimité qui, certes force aux discussions afin de trouver un consensus,
mais qui met 27 pays à la merci des exigences extravagantes d’un
seul.
Un processus d’adoption à l’unanimité est d’autant moins acceptable qu’un
refus met celui qui l’impose aux autres en position de force pour obtenir des
concessions au détriment de ceux qui ont dit oui, sans aucun risque en
contrepartie que de rester dans une situation de statu quo. Pourquoi se gêner
dans ces conditions !
C’est pour cela que, pour une fois, je suis en accord avec la position de
…Silvio Berlusconi (ce billet est un collector car c’est probablement la
première et la dernière fois que je dis ça) qui veut appliquer le traité de
Lisbonne même si les Irlandais votent à nouveau "non", ce qui aurait pour effet
de reléguer les Irlandais en périphérie de l’Europe les obligeant ainsi à
assumer leur choix !
Ce qui revient à dire que les Irlandais ont tout à fait le droit de voter
« non » mais que dans ce cas, ils aillent jusqu’au bout du très
explicite slogan du chef de file des nonistes, Declan Ganley :
« L'Europe nous a beaucoup apporté : restons-en là »…ben, oui…si vous
voulez c’est bien si vous voulez pas restez en là !»