Ils sont arrivés tous les deux en même temps et je les ai dévorés coup sur coup. " Du vent dans mes mollets " de Raphaële MOUSSAFIR et sa version illustrée par Mam'zelle Roüge. J'ai commencé par le roman.
Quel plaisir que de suivre les dix rendez-vous de Rachel, petite fille de 9 ans, et de sa psychologue, Mme TREBLA. Non pas que sa vie soit belle et lisse mais bien pour tous ses travers, ses questionnements d'enfants, ses situations ambigües avec le monde des adultes.
En parlant de son quotidien et surtout de ces prises de position, Rachel se moque, s'interroge, se cabre.
Nous pourrions y voir juste une virée dans cette enfance que quelques uns ont connus (et dont ils se reconnaissent), des blagues téléphoniques pas drôles sauf pour des gamins, des envies de faire partie du groupe, des jouets chargés de souvenir (Barbie et Ken, Musclor), les coupes de cheveux imposées. Et c'est vrai que l'auteur a un vrai talent pour nous inclure dans cette époque souvenir, ressenti.
Mais le plus important reste pour moi ce qui fait la fragilité de l'enfant. Par la parole de Rachel, par ces envies aussi de provoquer sa psychologue, le malaise de l'enfance trouve toute sa place : un manque d'autonomie provoqué par les peurs de la maman, une non-affirmation d'un corps à soi. Son corps lui appartient, n'appartient qu'à elle, souligne Mme TREBLA. Un dégoût aussi d'un corps dont on ne maîtrise pas la représentation, des avis si adultes que la situation n'en devient pas plus facile. " Et moi je sais très bien qu'un physique spirituel, c'est un physique qui a plus d'esprit que de beauté et que si j'avais eu un physique plus beau que spirituel, on n'aurait pas été deux à mon goûter d'anniv'. " Une honte de ses parents, du physique d'une mère trop enveloppée, des propos non écoutants d'un père avec son penchant à la violence, sur soi et sur les parents. Quand il y a malaise, les bases de la vie quotidienne de l'enfant se veulent anéanties : être orpheline, se venger...
Toute l'éducation se trouve aussi cristallisée : un emploi de terme affectueux quand le parent assène des méchancetés et jugements sur son enfant, un pouvoir absolu sur la bienséance, une violence des propos et des allusions imagées pour arrivées à leur fin (des vers de terre trouveraient domicile derrière les oreilles sales des enfants), une écoute parentale non attentive voire même indifférente " [...] l'embêtant avec les parents, c'est qu'on a pas le choix : on est obligé de penser comme eux, sinon, on va dans sa chambre immédiatement. " des activités enfantines imposées à l'école comme une occupation et pas forcément un éveil ou une construction de soi (autoportrait argumenté et dénigré), des amitiés fortuites et non gratuites.
Rachel parle de la politique en ne prenant que les jugements premiers assénés par les adultes, de la mort comme d'un état, le plus important de la vie, le plus dur aussi parce qu'il est le seul moment où nous ne sommes pas conscient de notre situation réelle, de la différence comme d'une notion fugace mais bien réelle, historique et aussi présente au quotidien, de la sexualité naissante comme d'un malaise des sensations, comme d'une gène et d'une envie, de la mémoire des adultes comme de petits moments égarés sur des photos en prise avec une phrase comme un épitaphe. Une acuité et une innocence, une pertinence du regard et une méconnaissance, le tout servi par une impertinence du langage (voire du propos pour certains bien-pensants).
(ce passage me rappelle bien des souvenirs aussi... relation sexuée entre Barbie et Ken, violence d'un malentendu entre enfance et adulte retranscrit aussi en violence sexuelle et pourtant quasi voulue)
Je me rappelle que c'est qui m'avait interloquée là et le billet de n'a fait que me convaincre ici.
La version illustrée ne m'a pas interpellée de la même manière, et pourtant c'est la même histoire (ou presque), à quelques simplifications et personnages près. Quelques détails plus sombres n'y sont pas relatés, le rapport à la mort y reste une image et non une situation tactile. Ce livre/BD avait-il la volonté d'être aussi pour les enfants ? Peut-être pour accueillir les lecteurs encore plus jeunes. C'est possible et cela expliquerait les quelques petites simplifications. Mais l'atmosphère est là.
Les dessins, découpages, mises en scène de Mam'zelle Roüge offrent même une autre vision de l'histoire. Comme une porte ouverte sur les images de l'enfance. Des paper doll, poupées en carton à découper et à habiller, mettre en situation.... Si vous en avez la nostalgie Ribambelles vous ouvre ses tiroirs là et vous invite à la découpe. Du papier peint qui marque un lieu, un tissu qui soutient un état d'esprit. Des amalgames imagiers surprenants. Nous retrouvons aussi tout ce qui peut nous interpeller en tant qu'adulte, un imaginaire, des jeux de vue, des rébus, des caricatures de points de vue pour ouvrir la lecture (portrait d'inculpés, podium, décor de rue comme du carton pâte... tout ce qui peut rendre cette lecture aussi intéressante à un second niveau. Au final, les émotions sont là. Ce livre illustré est pour moi la porte d'entrée au roman. Plus de pages ouvertes ici.
C'est intéressant de savoir que cette histoire était une pièce de théâtre, est passée à l'écriture comme un roman et se poursuit en images enfantines comme de multiples facettes d'une réalité : les mêmes mots et pourtant des visions sensiblement différentes. Pour vous faire une idée, n'hésitez pas à visionner ces extraits de la pièce de théâtre interprétée par Raphaële MOUSSAFIR elle-même et à suivre le parcours de cette œuvre chez ... la page ouverte à l'auteur, celle ouverte pour la collaboration avec l'illustratrice en suivant ce lien là et en allant sur le blog de Mam'zelle Roüge ici.
Merci encore Lily pour ses lectures. Douces et amères comme j'aime. Ce malaise dans l'amitié enfantine, ce sentiment de n'être pas belle, forment un pont avec des lectures jeunesse magnifiques, entre autre "Pas belle", "Le nuage" de Claude K.DUBOIS ou encore "Cassandre" illustré par cette auteur et écrit par Rascal ou encore les collaborations avec NORAC (j'en reparle bientôt).