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Québec - La conférence des évêques écrit au Ministre de l'éducation

Publié le 24 septembre 2009 par Hermas
Dans une lettre adressée à la Ministre de l’Éducation le 15 septembre et rendue publique hier, le président de la Conférence des évêques du Québec, Mgr Martin Veillette, a communiqué les résultats d’un premier bilan sur le cours d’Éthique et de Culture religieuse mis en place depuis un an. Dans une conférence de presse tenue dans le cadre de l’assemblée plénière des évêques qui se déroulait du 21 au 24 septembre, Mgr Veillette a souligné d’emblée "que les indices s’accumulent pour démontrer que de sérieux correctifs s’imposent." Cette mise au point trouve un écho d'autant plus grand après le jugement récent de Drummondville, refusant l'exemption de cours d'ECR demandées en raison des convictions religieuses des parents, et dans l'attente d'autres décisions prochaines sur le même thème dont d'autres juges sont saisis (V. le site de la CLE, ICI). Voici le texte de cette lettre :

Québec - La conférence des évêques écrit au Ministre de l'éducation Le mardi 15 septembre 2009

Mme M. Courchesne

Ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport

1035, rue De La Chevrotière, 16e étage

Québec (Québec) G1R 5A5


Madame la Ministre,


Dix-huit mois se sont écoulés depuis que nous vous avons écrit au sujet du nouveau cours d’Éthique et de Culture religieuse.  Nous avions étudié attentivement le programme, noté l’importance de ses deux grandes finalités  —  la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun  — et conclu qu’il comportait  des avantages mais aussi de sérieuses limites.  

Nous nous étions engagés publiquement à maintenir « une attitude d’ouverture et de prudence..., critique et vigilante ».  Pour ce faire, nous avons mis en place ce que nous avons appelé des mécanismes de vigilance: 

• la cueillette des échos des milieux par le moyen de notre réseau de responsables diocésains de la formation à la vie chrétienne;

• des sondages auprès de parents, d’enseignants et de catéchètes;

• une analyse systématique, par un groupe d’experts constitué à cette fin, des manuels approuvés par votre Ministère;

• l’accueil, par notre Comité de l’éducation chrétienne, d’opinions et de témoignages de personnes et de regroupements divers;

• et la synthèse par un comité spécial relevant du Comité exécutif de notre Assemblée.  Nous disposons maintenant d’informations et d’observations concrètes, fondées sur l’expérience vécue sur le terrain et sur l’analyse objective du matériel pédagogique. Nous sommes donc en mesure de faire un premier bilan. Nous devons vous dire que nous sommes inquiets. Les indices s’accumulent qui démontrent que de sérieux correctifs s’imposent, sans quoi le programme ne sera pas fidèle à ses objectifs et ne remplira pas ses promesses.


Nos principaux sujets d’inquiétude sont les suivants:

• la compréhension et la réception du programme sont compromises par le manque d’information des parents, premiers responsables de l’éducation de leur enfant;

• la place et le traitement de la tradition chrétienne dans les manuels approuvés pour le primaire ne respectent pas les prescriptions du programme;

• la formation des maîtres est largement insuffisante et les guides pédagogiques sont encore inexistants.


1. Questions et inquiétudes de parents


Jusqu'à maintenant, comme vos propres données le confirment sans doute, l'implantation du programme se fait assez calmement dans la majorité des milieux, si l'on excepte le mouvement d'opposition au caractère obligatoire du programme. Cependant, la tranquillité constatée ne reflète pas nécessairement une satisfaction générale.  Les parents consultés ont souvent déploré leur ignorance de ce qui se passe en classe. Plusieurs ont exprimé le désir d'avoir accès aux manuels, car ils doivent actuellement s'en remettre aux réactions de leur enfant pour apprécier le nouveau cours. Certains parents reconnaissent des avantages au nouveau programme. C’est, disent-ils, une 

occasion d’échanger avec leur enfant et de s’ouvrir à la diversité culturelle et religieuse de leur milieu. D'autres sont réticents ou carrément opposés au cours, le plus souvent parce qu'ils y voient une occasion de trouble et de confusion pour leur enfant. Un certain nombre demandent l'exemption. Ce mouvement de contestation ne peut être ignoré. Dans notre déclaration publique de mars 2008, nous abordions ce sujet délicat en ces termes:

«L'Assemblée des évêques a toujours exprimé sa préférence pour le respect du choix des pa-

rents en matière d'éducation morale et religieuse. C'est pourquoi elle a favorisé l'établissement d'un régime d'options entre un enseignement confessionnel et un enseignement moral sans dimension religieuse. Cette liberté de choix disparaîtra avec l'implantation du nouveau programme. Cela représente à nos yeux une perte et nous estimons qu'il faudra demeurer très attentifs au respect intégral de la liberté de conscience dans le nouveau contexte qui vient d'être créé. »

(Déclaration du 17 mars 2008) 

De même, dans la lettre que nous vous adressions le 11 mars 2008, nous avions voulu « réitérer notre conviction qu'en  toute matière touchant la liberté de conscience, il faut consentir tous les efforts possibles pour s'assurer d'un respect intégral. »


2. Importantes lacunes dans les manuels approuvés pour le primaire


a. La place accordée à la tradition chrétienne


Votre ministère a émis une prescription très claire sur l’importance à accorder à la tradition chrétienne dans le cours d’Éthique et de Culture religieuse:

«Dans l’élaboration des situations d’apprentissage et d’évaluation, l’enseignant doit s’assurer que le christianisme (le catholicisme et le protestantisme) est traité tout au long de chaque année d’un cycle. » (Mise à jour 2008 du Programme de formation de l’école québécoise. Éducation préscolaire. Enseignement primaire. page 325.)

Une telle exigence n’est spécifiée pour aucune autre tradition religieuse. Elle fait de plus l’objet, un peu plus loin, d’un rappel explicite que « l’importance historique et culturelle du catholicisme et du protestantisme » doit être « particulièrement soulignée » (id. page 325). Cette prépondérance accordée à la tradition chrétienne avait été évoquée par votre prédécesseur, monsieur Jean-Marc Fournier, lors de son intervention à l’Assemblée nationale avant le vote d’adoption du Projet de loi 95, une assurance qui a certainement servi à favoriser  une ouverture au nouveau programme.  Il déclarait en effet:

«Les apprentissages devront prendre racine dans la réalité immédiate du jeune, pour ensuite élargir ses horizons. Or, cette réalité, c’est la culture du Québec, une culture largement façonnée par l’influence des religions catholique et protestante. Le nouveau programme devra donc faire une place appropriée à l’héritage religieux du Québec et il l’inscrira dans une perspective plus large, ouverte à la pluralité religieuse. » (Journal des débats, Cahier 169, 15 juin 2005.)

Sur ce point crucial, cependant, l’analyse démontre que les manuels ne respectent pas le programme. Nos experts ont constaté que la place qui y est faite au christianisme reste très comparable à celle des autres religions, bien éloignée de la prescription d'en traiter tout au long de chaque année d'un cycle. Ces manuels exposeront les élèves à la diversité religieuse bien plus qu'ils ne les introduiront de façon significative à la connaissance de la tradition chrétienne québécoise. 


b. Le traitement de la tradition chrétienne


Dans la présentation du programme d’Éthique et de Culture religieuse publiée par votre Ministère, on lit que le cours permettra aux élèves de ... «... saisir progressivement, compte tenu de leur âge, le phénomène religieux dans ses dimensions expérientielle, historique, doctrinale, morale, rituelle, littéraire, sociale ou politique. » (Mise à jour 2008 du Programme de formation de l’école québécoise. Éducation préscolaire. Enseignement primaire. - page 280.)

Notons que la première dimension mentionnée est la dimension expérientielle.  La foi religieuse est d’abord une expérience vécue  et il est difficile d’y comprendre quoi que ce soit sans essayer de saisir ce que vivent les croyants. En cela, le programme a vu juste.

Malheureusement, ici encore, les manuels  analysés ne sont pas à la hauteur des attentes. Certes, l’approche est généralement respectueuse — nos experts l’ont signalé — mais elle est le plus souvent anecdotique, tout particulièrement en ce qui a trait à certains récits fondateurs de la tradition chrétienne. Les manuels relatent matériellement ces récits, souvent par le moyen d'une paraphrase ou d'une transcription, sans aider le jeune à en découvrir la signification. La dimension expérientielle est absente. Or, sans un effort de compréhension adapté à leur âge, il se pourrait que des préjugés puissent déjà prendre racine dans l'esprit des élèves sur telle ou telle croyance ou pratique religieuse. Cela irait manifestement à l'encontre d'une véritable reconnaissance de l'autre, finalité majeure du programme.


c.  L'apport du christianisme à la vie sociale et culturelle du Québec


L'apport du christianisme à la vie sociale et culturelle du Québec, fréquemment réitéré au cours des démarches ayant conduit à l'approbation du programme, demeure très peu présent dans les manuels étudiés, et même absent dans plusieurs cas. On mentionne parfois la guignolée, la Société de Saint-Vincent de Paul ou le YMCA, et certains manuels vont rappeler des figures comme Martin Luther King ou Mère Teresa. Par contre, sauf  de très rares exceptions, on ne relève pas la trace du christianisme dans des caractéristiques québécoises telles que l'importance du mouvement coopératif ou socio-communautaire, ni la mention de l'engagement de chrétiens dans différentes sphères de la vie sociale et culturelle d'aujourd'hui. 

3. Insuffisance de la formation des maîtres


Chez les enseignants, les répondants à nos consultations se sont montrés généralement plutôt satisfaits, déclarant observer l'intérêt des enfants, notamment pour le volet éthique. Quelques-uns ont mentionné la grande difficulté de tenir une posture de neutralité dans l'enseignement du programme. Tous, ils expriment clairement des attentes pour un soutien plus important.  Malgré les mesures prises à ce jour, la formation demeure largement insuffisante.

En outre, aucun guide d’enseignement n'a encore été approuvé pour le programme d’Éthique et de Culture religieuse  alors que des cahiers d'exercices sont déjà utilisés dans les classes sans que votre Ministère ait pu en vérifier la qualité ou la correspondance avec les objectifs du cours. On se sent justifié de souhaiter que dans le cas si particulier et si délicat de ce cours, on fasse preuve d’une vigilance accrue à cet égard. 

•  •  •

Le programme d’Éthique et de Culture religieuse comporte des défis très exigeants, à la jonction des valeurs et des droits fondamentaux de notre société. Les parents devront être mieux informés et écoutés. Il faudra consentir beaucoup plus d’efforts et de ressources à l’encadrement et à la formation des maîtres. Et les sérieuses lacunes que nous avons signalées dans les manuels devront être corrigées grâce à un processus d'approbation respectant rigoureusement les prescriptions du programme et les engagements explicites du Gouvernement.

Pour notre part, nous continuerons à suivre attentivement la question, comme nous nous y sommes engagés.

Cette lettre sera rendue publique le mardi 22 septembre et nous la commenterons en conférence de presse le lendemain, mercredi 23, à 11h, dans le cadre de notre assemblée plénière, à Trois-Rivières.

En vous remerciant pour votre attention, nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de nos sentiments distingués.

+ Martin Veillette

Président de l’AECQ

Évêque de Trois-Rivières

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