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Blood's a Rover. Underworld USA vol. 3. Ellroy est de retour.

Publié le 21 septembre 2009 par Fric Frac Club
Blood's a Rover. Underworld USA vol. 3. Ellroy est de retour. Blood's a Rover. Underworld USA vol. 3. Ellroy est de retour. Blood's a Rover conclut de manière épique la trilogie Underworld USA de James Ellroy, débutée en 1995 par American Tabloid et poursuivie en 2001 par The Cold Six Thousand (American Death Trip pour les francophones. Le troisième volume doit s'appeler, aux dernières nouvelles, Underworld USA et sortir le 6 janvier 2010 chez Rivages). Près de deux milles pages en tout, des centaines de personnages, et autant d'intrigues emboitées, intriquées les unes dans les autres, une tonne de coke, des litres et des litres de sang, de sueur et de sperme, des complots mégalomaniaques,retraçant l'histoire de l'Amérique, non-officielle, faite par des « flics pourris, des artistes de l'extorsion, et du chantage ; des rois du mouchard téléphonique, des soldats de fortune, des amuseurs publics pédés . »(American Tabloid, p.3) Le projet originel était celui d'une désacralisation du mythe kennedien de Camelot, et plus largement de montrer un autre aspect de la vie politique américaine, où les mains sont sales, le mensonge omniprésent et les alliances contre nature. En couvrant dans Blood's a Rover la période 68-72, Ellroy boucle à la fois son cycle romanesque et lie aussi les deux bouts d'une œuvre dont l'action se déroulait , dans la trilogie Lloyd Hopkins, dans les années 80, alors que celle du Quartet de Los Angeles commençait à la nouvelle année 1947 et inaugurait une ligne temporelle ininterrompue jusqu'à 1972 et une affaire du Watergate qui n'a jamais intéressé Ellroy, comme d'ailleurs Richard Nixon, qui ne fait que de brèves, mais toujours très remarquées et souvent hilarantes apparitions dans ce dernier volume. Pour Ellroy, il n'est qu'un guignol de plus, un de ceux dont on peut se passer d'écrire l'histoire. Quatre années (avec une nette préférence pour les années 68-69) qui nous emmènent jusqu'à Haïti et la République Dominicaine, nous font traverser les États-Unis de long en large, des lieux de pouvoir aux plus sombres officines. Mais revenons à ce dernier volume, qui tire son titre d'un poème d'A.E. Housman et dont la gestation fut si difficile. Première chose : on est en terrain connu. Même dispositif narratif qui reverse l'action sur trois protagonistes différents, même technique des « documents en encart » qui contiennent des coupures de presse, des rapports du FBI, de la police et des transcriptions de conversations téléphoniques. Même volonté complètement folle de raconter, de tout dire sans épargner aucun détail, de nous faire « succomber », mais avec une écriture qui a su évoluer, tout en marquant une certaine forme d'aboutissement en sortant du bourbier où elle s'était elle-même logée dans le roman précédent, écriture staccato transformée en gimmick quelquefois insupportable. Le staccato est toujours là. Mais l'aspect purement répétitif et fonctionnel disparait pour laisser place à une prose qui possède un rythme en diable, presque uniquement composée d'une accrétion de différents slangs et de néologismes si reconnaissables, et qui donnent un texte un groove impeccable, un goût en bouche inimitable, cause importante du plaisir que nous avons eu à retrouver un auteur que l'on croyait perdu et sur lequel nous pensions ne plus devoir compter. Nous avions tort. Bien tort. Les personnages et les amorces d'intrigues donc. Wayne Tedrow Jr, que nous connaissons déjà, et qui à la fin de American Death Trip venait de buter son père à coup de club de golf avec la complicité de sa belle mère/amante après avoir été impliqué dans les assassinats de Martin Luther King et Robert Kennedy, et d'avoir vécu l'enfer au Vietnam. Chimiste de génie, texan raciste, il va tenter, pour le compte de la Maffia, de se mettre au service d'un Howard Hugues plus fantomatique que jamais, et pour ces mêmes maffieux, officiant déjà dans American Tabloid (il est d'ailleurs assez symptomatique que les seuls personnages récurrents dans les trois romans soient les parrains de la Maffia de Miami et de Chicago, et à l'opposé, John Edgar Hoover, directeur du FBI qui possède un dossier sur tout ce que l'Amérique compte de personnalités politiques, artistiques et j'en passe…), de transformer la République Dominicaine en paradis du jeu, un Las Vegas des Caraïbes, un Cuba d'avant Castro. Dwight Holly ,ensuite, là aussi déjà présent dans le volume précédent, est un proche de feu le père de Wayne Tedrow. Agent du FBI, il se voit charger par Hoover de monter une opération de subversion au sein de groupuscules noirs extrémistes qui se disputent la cause des droits civiques après l'assassinant de Martin Luther King (et c'est l'opération, « BAAAAAD BROTHER »). Don Crutchfield, enfin, gamin de 23 ans, apprenti détective privé, voyeur professionnel, qui s'introduit dans les maisons bourgeoises afin d'y voler des sous-vêtements féminins, et qui tombe sur des secrets qu'il n'aurait pas dû entendre et se retrouve pris dans les filets de l'Histoire. Crutchfield (qui est d'ailleurs un homme de chair et de sang, de nos jours détective privé des stars) ressemble beaucoup à Ellroy, et il suffit pour s'en convaincre (lui ne s'en défend d'ailleurs aucunement) de lire les différents essais écrits sur son enfance et son adolescence, notamment dans GQ (et regroupés dans Destination : Morgue !). C'est à lui que revient de débuter et de clore le roman, et toute la trilogie. Blood's a Rover est inauguré par un cour prélude, une scène de braquage ultraviolente qui va servir de nexus aux différentes intrigues et obsessions des personnages, au même titre que Joan, la « Déesse Rouge », probablement le plus beau personnage féminin jamais écrit par Ellroy, et cela joue beaucoup dans la réussite du roman, là où le précédent avait pêché par une intrigue trop confuse pour paraitre vraisemblable et une volonté de rester dans la stricte sphère de l'action, ce qui avait pu provoquer, un temps seulement, un assèchement de l'investissement émotionnel dans une lecture pourtant passionnante mais des plus ardues. Car c'est bien là que se joue l'essentiel dans Blood's a Rover, dont on ne peut décemment pas brosser toutes les intrigues au risque de s'y perdre. Mais ce qui frappe c'est justement la souplesse dont fait preuve Ellroy dans le traitement romanesque. C'était auparavant tout la structure, la construction romanesque comme une mécanique parfaitement huilée qui importait et qui menait les deux romans, leur conférant volontiers des airs de tragédie grecque. Il y avait par ailleurs une certaine forme de téléologie dans le découpage historique des romans. American Tabloid se construisait petit à petit autour de l'assassinat de JFK pour se terminer quelques secondes avant. American Death Trip se terminant lui par les assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy, et se concentrait en grande partie sur l' « intervention » américaine au Vietnam, mais le point focal restait la mort des deux hommes, qui donnait son sens aux intrigues déroulées, notamment la tentative de décrédibilisation menée par le FBI à l'encontre de Martin Luther King, et la volonté affichée de Bobby Kennedy de mettre fin à la guerre s'il venait à être élu à la Maison Blanche. La période 58-68 est très riche au niveau évènementiel et constitue une période privilégiée (si l'on peut dire) dans l'histoire américaine. La période suivante est tout aussi riche politiquement mais moins retentissante, et de fait laisse les mains libres à un Ellroy qui peut d'avantage prêter d'attention à ses personnages, les faire évoluer de manière plus subtile et en faire le cœur véritable de son roman. Blood's a Rover. Underworld USA vol. 3. Ellroy est de retour. C'est aussi ce rapport à l'Histoire qui peut, enfin, être complètement saisi, avec la conclusion de la trilogie. Au-delà de l'Histoire, ce sont les obsessions personnelles des personnages qui se répètent, et participent d'une itération du même qui peut se lire comme un élément de stabilité, de fixation mais qui en réalité illustre le fait que l'Histoire si elle ne se répète jamais, peut avoir des hoquets, bégayer jusqu'à implosion. Comme dans American Tabloid, la Maffia écrème la fortune d'Howard Hugues qui veut s'approprier Las Vegas. De même, la libération de Cuba du communisme, grande « Cause » dans American Tabloid se retrouvé répliquée ici de manière totalement désincarnée, pour une Amérique qui s'est accommodée de la présence de son voisin rouge et dont l'attention est portée sur l'Asie du Sud-est. De même la Maffia veut recréer en République Dominicaine ce qu'avait pu être Cuba avant Castro. Disque rayé, obsessions monomaniaques qui dégénèrent, et qui en fin de compte, se trouvent vidées de leur sens. C'est un des signes de l'époque, qui s'assèche, qui voit la fin des idéologies, la société se fragmenter encore plus. A la crise de civilisation que va provoquer la guerre du Vietnam (très symptomatiquement jamais évoquée dans le roman, alors même que l'engagement américain demeure une question de plus en plus prégnante pour la société ), va correspondre à quelques mois d'intervalles avec la mort de John Edgar Hoover et l'affaire du Watergate, qui met à mal une bonne fois pour toutes les représentations d'un pouvoir omniprésent, omnipotent, dont les abus sont multiples, et donne à Blood's a Rover une tonalité particulièrement politique, qui s'incarne notamment dans les personnages, leurs choix, leurs doutes, leurs secrets, et in fine, leurs échecs. La perfection des intrigues appartient au passé. Blood's a Rover explore autant les échecs que les réussites, bien moins nombreuses qu'auparavant, signe que peut être l'Histoire fait cavalier seul et qu'il devient de plus en plus dur de la modifier une fois lancée. Les manipulations, complots se dérèglent, rien ne finit comme il devait finir et cela contribue à donner un côté beaucoup plus vulnérable au roman qui devient une structure instable, où tout peut arriver, le pire évidemment, mais pas uniquement, et ce, notamment grâce au fait que ce sont moins les affres de la grande politique qui intéressent Ellroy, les cercles du pouvoir, que la politique qui se fait dans les cœurs, au sein des personnages, et décide de leurs actions et de leurs allégeances. Le double cœur autour duquel gravitent les intrigues et les personnages est incarné par John Edgar Hoover et Joan la Déesse Rouge. Loin de constituer une opposition tout de manichéisme, les deux personnages, incarnation de valeurs antithétiques, en symbolisent aussi tous les excès et les impasses. Il n'y a pas un côté obscur et un côté lumineux, tout engagement politique porte en lui cette part de mal qui le fait exister. Les personnages principaux sont tous en quête de rédemption et vont essayer de trouver dans la politique non pas une idéologie pour se revêtir et justifier des actions mais des valeurs pour guider leurs actions, ce qui contribue à faire branler de manière dangereuse l'édifice de leurs croyances et de leurs allégeances. En réalité, c'est pour Ellroy la révolte contre un pouvoir oppresseur qui prime, contre un pouvoir corrupteur et corrompu, qui ne peut qu'entrainer les hommes à leur perte. C'est une solution, elle n'est pas nécessairement suffisante. Et c'est là toute l'ambiguïté de ce roman, qu'Ellroy décrit comme optimiste, certes, mais un optimisme cynique, qui regarde constamment ses arrières, affirme la nécessité de la rébellion, et de la méfiance face à l'autorité établie. L'optimisme dans l'espoir d'un résultat et celui d'être du « bon côté des choses », et non dans celui du résultat. Cet aspect est poussé comme jamais dans le roman, par une subversion même des codes narratifs qu'il a mis en place dès American Tabloid. Si les documents en encart existent toujours, ils sont cette fois-ci en grande partie constitués de fragments de journaux intimes qui centrent le propos sur les acteurs pour lui donner une portée plus universelle, et permet certes assez pratiquement d'explorer leurs motivations dans un roman qui ne le fait pas toujours. La multiplication de ces îlots de tranquillité dans un torrent de furie crée un effet de contraste saisissant, dévoilant la part secrète de chacun, sa nécessité, et complexifie de manière drastique les enjeux moraux posés par les protagonistes. La quête d'une rédemption reste un thème fort dans l'œuvre d'Ellroy et devient un vrai leitmotiv de ce dernier roman, tant l'époque, mais aussi les actions passées semblent commander un ultime sacrifice, une dernière tentative de remettre l'Histoire sur les rails, et enfin d'expier ses crimes. Malgré toute la violence qui se dégage de ce dernier roman, malgré toute la furie, une sorte de paix, d'abnégation, voire de renoncement plane au dessus du récit qui se termine de manière assez évocatrice par des pages pleines d'une grande sensibilité, en forme de double confession, par un ultime coda, où pour la dernière fois Crutchfield prend la parole, reflétant à la perfection le prélude d' American Tabloid. (que l'on peut trouver ici). Et cette quête de rédemption s'identifie à la quête amoureuse. Ce sont les femmes qui tiennent le haut du pavé, incitent au changement, à la subversion des intérêts particuliers et qui possèdent le pouvoir de transformation, des hommes principalement. C'est in fine le roman d'un romantique éconduit qui a toujours cru au pouvoir des femmes, à leur place centrale. Optimiste, oui, optimiste. Peut-être. L'Amérique telle qu'on ne l'avait jamais vue, du côté du crime, mais d'un crime qui ne serait pas uniquement réservé aux seuls criminels, mais qui serait partagé avec ceux-mêmes chargés de le combattre. L'Histoire se fait malgré les grands discours et les bonnes intentions, elle se fait dans l'ombre. Des hommes et des femmes en meurent, nourrissent et perdent leurs idéaux, et tentent, parfois, de rectifier leurs erreurs. Un mythe est détruit, un nouveau est né. Fear this book ! Clay lies still, but blood's a rover ;
Breath's a ware that will not keep.
Up, lad ; when the journey's over
There'll be time enough for sleep.
A.E. Housman Blood's a Rover. Underworld USA vol. 3. Ellroy est de retour.

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