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Le gant obscur de l'existence

Publié le 21 septembre 2009 par Fric Frac Club
Le gant obscur de l'existence
Une croûte de sang séché traçait une ligne sombre sur la peau racornie, fendillée.
L'écriture est épaisse, d'une densité non négligeable, et cependant non dénuée d'une surprenante onctuosité pour une encre d'un noir si profond. Pas de lavis, pas d'ajouts aqueux, la matière noire est utilisée brute et en nombre. La consistance sans grumeaux, n'est pourtant pas tout à fait lisse, on dirait mieux fluide, ou comme le miel ou la sève, même dans son lent mouvement de déroulement ou développement, de déploiement, plutôt que d'écoulement ou de glissement. C'est pas vraiment liquide, et ça n'échappe pas non plus entre les doigts comme le fait le sable, ou le sucre. C'est que ça vous glisse sur la peau des mains et ça vous reste comme un gant obscur, doux et chaleureux. Le gant obscur de l'existence

Personne d'autre que lui ne pouvait le faire, ainsi de ces rêves comminatoires, implacables, sans issue où vous incombe une lourde, une insurmontable et aberrante responsabilité, personne d'autre que lui ne pouvait défendre cette femme déraisonnable. Et il se rappelait confusément quand et comment lui était apparu le sentiment de cette obligation et ce souvenir était si gênant qu'un afflux de sang lui monta aux joues, tandis qu'une crise plus forte encore lui taraudait l'anus.
Et alors qu'il enrobe le corps mental du lecteur, ce gant scriptural découvre trois femmes puissantes, trois psychés profondes et complexes - aussi profond que la nuit de l'âme même sous le soleil de plomb des latitudes exotiques et aussi complexe que les vies partagées entre deux lieux et deux langues -, logées au creux de trois corps à chaque mesure vivants. L'esprit a besoin du corps, et le corps n'est rien sans l'esprit. Mais il est possible de sentir son corps dans le corps d'un autre et de deviner l'esprit d'autrui dans le souffle de sa présence, ou de son absence.
Ainsi Norah revient au pays à la rencontre d'un père, noir corbeau de coeur, et d'un frère réduit à une miette de vie. Ainsi Fanta niche dans la sombre et longue illumination intérieure de Rudy Descat, exilé abattu par l'exil. Ainsi Khady Demba, absurde Ulysse d'aujourd'hui, perd jusqu'à même le chemin que menaient le voyage et la nostalgie du retour.
Enfouir les bras dans le dernier roman de Marie Ndiaye, c'est s'enfoncer dans un volupté certaine, et aussi s'abîmer avec violence dans l'immédiateté hagarde du mystère de la condition humaine. Le gant obscur de l'existence

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