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Du mariage et du divorce (4) : les « mariages d’enfants ».

Publié le 28 septembre 2009 par Gonzo

Du mariage et du divorce (4) : les « mariages d’enfants ».

Phénomène qui échappe largement à la statistique officielle, le « mariage d’enfants » (child marriage) ou encore en français le « mariage précoce » ruine chaque année l’existence de millions d’enfants, essentiellement des filles, dans de nombreuses sociétés d’Afrique subsaharienne et d’Asie (rapport en français, un peu ancien, de l’Unicef sur cette question). Dans le monde arabe, la presse aborde de plus en plus souvent la question de ces zawâj al-qâsirât (زواج القاصرات), le « mariage de mineures » qui a cours dans certaines zones traditionnelles, surtout en Arabie saoudite et au Yémen, pays dont la législation n’impose pas un âge minimal pour le mariage.

Tout récemment encore, l’opinion arabe (article du Yemen Times) s’est émue de la mort en couches d’une fillette de 12 ans. Elle avait été mariée quelques mois plus tôt, de façon tout à fait légale puisque la proposition de loi pourtant votée en février dernier par une large majorité des députés locaux pour repousser jusqu’à 17 ans l’âge légal du mariage n’a pu être adoptée, en raison de l’opposition farouche de quelques parlementaires. Ces derniers ont donc réussi à repousser encore une modification de la loi que rien ne justifie à leurs yeux puisqu’elle n’est pas prévue par la charia et que le Prophète lui-même a en quelque sorte « donné l’exemple » en épousant Aïcha, alors âgée de 9 ans…

Avant la réunification des deux Yémen en 1994, il fallait avoir au moins 15 ans pour se marier, une disposition supprimée par la suite (article en arabe sur le site Middle-East Online), et qui laisse au chef de famille toute latitude quant au choix de donner sa fille. Une décision lourde de conséquences dans un pays où les familles les plus pauvres vivent dans une telle misère qu’elles n’ont pas d’autre issue que de « vendre » leur fille à plus riches qu’eux.

Paradoxalement, la très relative amélioration de la condition féminine, même au Yémen, rend la situation presque plus difficile. En effet, constatant que nombre de « femmes instruites » restent (ou font le choix de rester) célibataires (cf. billet précédent), les chefs de famille, dans les zones rurales notamment, préfèrent retirer leurs filles de l’école très jeunes, pour les marier encore plus tôt (bon article en arabe).

Dans un pays où on estime que plus de la moitié des femmes ont un mari avant d’avoir atteint leur 18 ans, l’évolution des mœurs se note malgré tout au fait qu’une bonne partie de l’opinion condamne désormais ces mariages d’enfants, comme en témoigne l’histoire, très médiatisée, de Nojoud Ali, une petite fille de 10 ans qui a osé s’adresser à un tribunal pour quitter le mari, trois fois plus âgé qu’elle, qu’on lui avait imposé (récit dans le blog de Delphine Minoui, une journaliste basée à Beyrouth et qui travaille notamment pour Le Figaro).

Quel que soit le courage de cette petite fille, dont certains médias ont exploité l’histoire pour mieux dénoncer la perversité de l’islam (fallait-il d’ailleurs la faire venir à New York pour lui remettre, avec d’autres femmes aux histoires bien différentes, le prix de la « femme de l’année » décerné par Glamour, « le magazine des stars, de la mode et de la beauté » ?), il est aisé de comprendre qu’elle n’aurait pu obtenir son divorce si un juge local n’avait pas écouté avec intérêt son récit, et surtout si elle n’avait pas reçu le soutien d’une femme d’exception, Shadha Nasser (شذى محمد ناصر), avocate militante locale des droits de la femme.

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En Arabie saoudite également, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer une coutume désormais souvent perçue comme un honteux trafic d’enfants. Lors de la dernière fête nationale, en novembre dernier, une pétition a circulé à l’initiative d’une association locale militant pour les droits de la femme. Rappelant que l’exemple du prophète de l’islam ne vaut pas pour le commun des mortels, et que le mariage, selon la loi religieuse, implique le plein consentement des deux parties, elle demande (article sur le site Islam-online) qu’on ne puisse se marier avant d’avoir 17 ans.

Là encore, il apparaît que ces voix se font d’autant mieux entendre qu’elles bénéficient du soutien d’une partie au moins des autorités (et de l’opinion publique). Si l’on trouve toujours des juges qui s’en tiennent au strict point de vue légal pour refuser de casser des mariages mettant en cause des enfants, on observe également que les victimes réussissent de plus en plus souvent à faire reconnaître leurs droits, à l’exemple de cette décision (article en arabe, Elaph.com)en faveur de trois fillettes dans la région de Damman il y a quelques mois.

Il est facile pour des médias avides de scandale de faire résonner aux quatre coins du monde la voix d’un Mohammed Maghraoui, ce cheikh marocain qui a donné un avis juridique, une fatwa en d’autres termes, autorisant « le mariage “pédophile” » comme le dit par exemple cette brève sur le site Le Post. La réalité n’en est pas moins tout autre, à savoir que le fléau du mariage précoce, hérité de la tradition, est inexorablement appelé à disparaître, grâce notamment à la mobilisation de militantes locales qui se font le relais d’une évolution générale des pratiques sexuelles et du mariage.

Illustrations : (tout en haut) Nojoud Ali et sa protectrice l’avocate Shadha Nasser sur les toits de Sanaaa et (plus bas) affiche d’un court-métrage de fiction réalisé par un jeune cinéaste des Emirats, Saeed Salmeen Al Murry (سعيد سالمين المري), qui raconte l’histoire, encore trop banale, d’une jeune femme mariée, enfant, à un homme de 50 ans et qui devient veuve.


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