La Milena que tu connais n’existera jamais en dehors de toi-même !
Son caractère, sa façon d’agir, de se livrer, de se protéger, tout ça… Cet être que tu t’attaches à dépeindre depuis le début est certainement mort aujourd’hui !
Mort, en même temps que votre relation.
Bien sûr, qu’il doit y avoir quelques constantes chez elle.
Cette relation ambiguë qu’elle entretient avec l’art et les mots, indépendamment de toi, par exemple.
Milena aime les mots, les belles phrases, le théâtre classique, la poésie romantique et éprouve souvent de la difficulté à s’exprimer de vive voix, elle accorde à l’écrit une valeur presque sacerdotale. Elevée dans l’amour de la lecture, habituée à se poser dans l’herbe tout à son aise ou à s’étendre bien au chaud sous sa couette, elle vit avec ce monologue silencieux que proposent les livres.
Sous la plume des grands écrivains - Milena ne lit que des classiques - elle cherche des réponses à sa vie bancale.
Elle se tient là, hors du monde, à dépoussiérer la pensée de ces êtres sensibles qui, dit-elle, lui ressemble.
Parfois, elle souligne au crayon à papier un passage… une phrase d’un auteur à laquelle elle s’identifie, qui lui appartient… Ca la rassure de partager avec un autre son mal de vivre, son mal d’aimer.
Elle a le cœur romanesque, la paix qu’elle ne décèle pas dans sa vie de tous les jours elle va la chercher dans l’art. Pourtant, elle n’aime que les livres qui lui ressemblent et fuit comme la peste les auteurs qui la mettent en danger par des propos trop brusques, Céline et autres André Gide.
Milena réclame des livres qui répondent à sa peine et qui s’écoulent, lentement, comme une douce mélodie, égrenant un monde poétique et reposant.
Elle prend un livre comme d’autres prennent des calmants, pour fuir ou s’évader, la différence est mince.
Cinéma, littérature, peinture, ne sont pas pour elle des supports ludiques, l’art est une nécessité pour son être qui s’y abreuve. Elle y voit un langage mystérieux qui ne parle qu’au cœur des initiés, elle pense que pour vivre il est vital pour elle de le déchiffrer.
L’art… seul moyen de fuir, finalement, plus que de s’évader, mais seul moyen de trouver la solution à ses angoisses, par hasard, là, au détour d’une phrase.
Il semble que ses valeurs, ses idées, plus généralement son rapport à l’existence, elle ne l’a pas forgé au gré des expériences mais rêvé à travers la parole artistique de quelques-uns.
Tu te demandes souvent si elle était fragile au départ ou si peu à peu, à travers ses lectures, elle s’en est persuadée ?
Tout ça tourbillonne en elle…
Idéologie, morale, raisonnements fabriqués, concepts vagues nés de sa fréquentation des lieux artistiques…
Elle croit impérieusement à ces amours préfabriqués qui fleurissent les recueils de poésies comme en été fleurissent les bars au cachet faussement autochtone dans une station balnéaire !
Elle croit à la supériorité des poètes sur le commun des mortels, à la hauteur d’âme des femmes qu’ils ont aimées, elle croit à tout ce que la littérature a de fantasmatique et d’orgueilleux…
Elle accroche son cœur à la parole de tous ces types qui ont écrit, qui ont maquillé le squelette afin de donner de l’homme une image satisfaisante !
Elle ne veut pas de du quotidien.
L’amour, pour elle ?
Deux êtres se rencontrent et tout est là.
Elle ne conçoit pas l’effort, le compromis.
Elle voit dans la relation l’œuvre finale, sans se douter que pareils à ses chers écrivains qui tournent en rond, raturent, effacent, ajoutent, tronçonnent, remanient l’ouvrage… les balbutiements d’une relation ne sont rien au départ.
Alors, Milena garde précieusement toutes les traces écrites de ses histoires : lettres, textos, mails…
Comme si les souvenirs trop vagues ne lui suffisaient pas et qu’elle voyait dans l’empreinte verbale la seule preuve tangible.
Il doit lui sembler que ces morceaux de phrases brèves ou de textes plus conséquents, mis bout à bout, savamment agencés, peuvent lui donner la solution de ce qui a été et n’est plus aujourd’hui.
Comme si dans son esprit les actes passés, les étreintes, les caresses, les paroles jetées en l’air ne comptaient pas et que les mots seuls étaient la trace vivante et palpable de ce qui fût…
Car Milena ne parle jamais de ce qu’elle ressent qu’en des termes confus.
Ce sont des métaphores, le plus souvent liées à la nature ou des comparaisons floues.
Tu te souviens ?
Elle ne te dit rien.
Ne sait pas dompter pas son émotivité… Bégaye… Et… Tout à coup, elle te serre très fort, à bras le corps…
Puis, aussitôt, elle s’éloigne et te glisse dans le cou, tout doucement :
_ Tu sais, il vaudrait mieux.
Il vaudrait mieux…
Et toi…
Tu te convaincs qu’elle n’exprime pas ce qu’elle ressent.
Alors…
Frustré, en colère, tu as envie de l’insulter, de l’écorcher et c’est ce que tu fais. Elle est blessée, prête à s’enfuir…
Tu la retiens.
Te dévoile, elle ne comprend pas, elle ne dit rien, elle revient.
Elle t’agace de plus belle, tu te mets à boire....
Il vaudrait mieux…
C’est infiniment plus simple !
La norme, la bonne ornière, la justification pour ne pas se mettre dans une situation incertaine et dangereuse.
Clouer le bec du corps pour suivre ce qu’il vaudrait mieux.
Parce qu’on en souffre moins, parce qu’on croit que notre vie est ailleurs et qu’il faudrait déployer tellement d’énergie pour construire à nouveau quelque chose. Parce que si Milena envie les héroïnes de romans, elle n’a pas la force de leur ressembler et ce n’est plus la bonne époque…
Il vaudrait mieux…
Parce que sa vie continuera alors sans fièvre, mais aussi sans douleur !
Le destin ne vous a pas fait signe, rien ne vous pousse tangiblement l’un vers l’autre, vous n’avez pas de preuves… ce qu’elle ressent pour toi ne lui suffit pas.
Il vaudrait mieux…
Parce que sinon ça serait plus facile, une évidence, un coup de foudre et patati et patata…
Il vaudrait mieux…
Parce que toi aussi tu sembles douter !
Carcans merdeux, œillères, fausses justifications…
Il vaudrait mieux… car sans doute elle ne t’aime pas.
Il vaudrait mieux, Milena a raison !
Il vaudrait mieux, mais tu n’écoutes pas…
Il vaudrait mieux… Il est trop tard…
Déjà, Milena se laisse convaincre !