Magazine Poésie

Projections (19) Texte en plusieurs parties publié par Arthur Vertrou

Par Yiannis



Une balade à vélo…

Une embuscade savamment orchestrée par la pluie !

Un film bête et mièvre que l’on est sûr de ne pas suivre jusqu’au bout…

C’est facile.

Pendant ces quelques mois passés avec Milena ta chambre est devenue un havre de tendresse, de sensualité, s’éveillant à son arrivée et plongeant dans la pénombre après son départ.

Te décentrant de toi, combien de fois, pendant ces heures de latence où elle n’était pas là, as-tu mobilisé ton esprit ?

L’esprit que l’on bourlingue aux quatre coins d’un monde de suppositions extravagantes…

L’esprit… qui raisonne, qui veut à tout prix offrir des preuves pour le cœur.

L’acte ne vient qu’ensuite…

Elle est là près de toi et tu donnes une importance infinie à l’infime possibilité que tu te sois trompé.

Repars là bas, maintenant !

Ne t’effraie pas de sentir grandir à nouveau Milena en toi… Alors, que l’écoulement de ta vie l’a chasse peu à peu.

C’est sûr. C’est plus facile de claquer la porte… de faire comme si de rien n’était, enfouir tout ça dans un coin, quelque part !

Il est tard.

La revoilà !

Vous venez de regarder un mauvais film...

Ricanant à chaque réplique…

Tu dis à Milena que les acteurs sont comme des automates programmés à sortir la bonne tirade au bon moment !

Mais que dans la vie…

Elle acquiesce.

Ce soir tu as fait des efforts pour ne pas penser égoïstement, réfléchir pour deux, prendre soin d’elle. Tu lui a concédé le film… tu lui as préparé de la tisane…

Elle semble bien ici, chez toi.

Pourtant…

Tu sais qu’à tout moment elle pourrait s’enfuir.

Elle n’a pas sommeil.

Elle redoute le moment de partir ou de s’endormir sur ton lit…

Vous regardez un reportage sur Brel.

L’heure s’écoule et tu voudrais que le documentaire ne s’arrête jamais, tu as peur que la réalité vous assène tout à coup son insupportable banalité. Elle est impressionnée par la présence scénique du Grand Jacques et toi tu es un peu jaloux, tu aurais aimé qu’elle te regarde de la même façon.

Pour te venger de cet imaginaire concurrent tu déploies beaucoup d’arguments à critiquer son ton trop péremptoire, son lyrisme… son accent… sa manière de s’exprimer.

Il est très tard à présent.

Sans force, Milena s’allonge en travers sur ton lit tout habillée…

Elle fait comme si elle s’était endormie. Tu as posé sur son petit corps recroquevillé comme une sardine ; une couverture…

Tu t’es allongé sur le côté, mais pas contre elle, à quelques centimètres, comme si de rien n’était.

Tu sais qu’elle ne dort pas… en bougeant sous le drap, elle te le fait savoir.

Tes yeux s’habituent à l’obscurité…

Sa nuque souple, dans la pénombre de la chambre, couchée sous une mèche de cheveux, te semble une chose si douce que tu voudrais déposer sur elle un doigt délicat.

C’est drôle…

Tu réfléchis.

Pourquoi ne pas faire les choses simplement ?

Pourquoi ne t’a-t-elle pas dit :

_ Ce soir je suis fatiguée… Je peux rester chez toi ?

Au lieu de ça, elle fait semblant d’être submergé tout à coup par un sommeil harassant.

C’est plus facile.

Tu t’amuses de la voir agir encore comme une gamine de 16 ans.

Tu joues le jeu.

Tu voudrais la pousser dans ses retranchements… tu lui glisses une phrase pour la provoquer :

_ Si tu veux… tu peux dormir dans la chambre de mon colloc, vu l’heure, il ne va pas rentrer.

Elle ne répond rien.

Tu la bouscule un peu… elle soupire :

_ Non… je suis bien ici…

Et à ces mots, toi tu te sens comme un enfant !

Pourtant…

Ca te pèse cet entre-deux… Juste avant le premier geste !

Vous êtes sous les couvertures… vous n’avez pas osé ôter vos vêtements…

Vous êtes là et vous ne voudriez pas être ailleurs.

Même l’acte fatidique pour embraser vos corps ne te semble pas essentiel.

Tu le feras… dans quelques instants…

Tu le feras pour une simple raison. Rien à voir avec un désir sexuel effréné.

Tu le feras pour commencer vraiment avec Milena.

Tu crois que tout sera plus simple ensuite.

C’est étrange de découvrir tout à coup son attachement à l’autre…

Voir naître le sentiment.

Les frottis de son corps près du tiens… son pied nu tout chaud que tu effleures et sa façon qu’elle a de se tourner vers toi de manière à te faire sentir que vos visages sont dans le même sens.

Et la cascade de non-dits…

Le langage du corps... Avec ses codes, ses secrets…

Les minutes qui s’écoulent… la lutte contre le sommeil… contre l’autre, lui, le soleil et la voix qui chuchote… toujours sur le point de s’éteindre…

L’acte est là.

Suspendu au-dessus de vous, enroulé dans la nuit… L’acte auquel tu n’as pas donné forme encore, qui flotte dans le silence…

L’acte figé par le décompte des secondes… la force concentrée dans la main qui reste volontairement immobile, le buste qui se retourne comme pour signifier qu’il abandonne, la croyance irrationnelle en un geste de sa part…

Parce que la situation est tellement favorable…

Parce que les sous-entendus sont si expressifs mais c’est aussi parce que tu projettes, après des mois d’incertitudes, dans cet acte une telle délivrance que tu ne peux qu’enserrer sa taille… tendrement… la retourner vers toi… sans un mot, deviner dans l’obscurité ses paupières ouvertes qui accompagnent déjà son souffle si proche de ta bouche…

Voilà.

Déjà tu t’aventures à caresser ses hanches du bout des doigts, son bassin, son tout petit nombril, accompagnant du bout des lèvres le mouvement de ta main. Doucement d’abord, amoureusement ensuite et puis bien sûr…

Corps à corps après le combat des esprits… corps désiré, rêvé, attendu, espéré silencieusement, offert à présent. Et que tu parcours sans en voir la fin, comme un explorateur débarqué dans le nouveau monde.

Milena s’ouvre à toi.

Enfin !

L’esprit s’est tu et avec lui toutes ses horribles contradictions, Milena se laisse aller pour la première fois, un peu, pas totalement, avec une certaine retenue.

Elle a peur.

De toi, de vous, d’elle et de ce qu’elle ressent.

Peur de la suite.

Un instant…

La voilà qui s’enfuit avec la nuit, aux lueurs pâles du soleil.

La voilà qui s’enfuit et dans cette fuite au creux du jour, sans doute se met-elle à raisonner.

Elle cherche à justifier son attitude de la nuit, elle cherche des indices pour lutter contre ces sentiments qui la troublent.

Pourtant…

Pourquoi prendre une décision…

Elle s’enfuit et c’est tout !

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