Dans un billet précédent, je vous ai parlé des idées reçues au sujet des immigrés au 19eme siècle.
Toutes les classes sociales pauvres étaient en fait considérées comme suspectes et sujettes à toutes les turpitudes.
C’est ainsi que les médecins et administrateurs s’intéressent particulièrement aux prostituées dont ils dressent des portraits assez effrayants.
Le 19eme siècle est caractérisé par l’hygiénisme ; l’on traque la saleté dans les rues (c’est l’époque à Lyon ou l’on assainit les marais de Perrache, à Paris, on construit le système d’égouts et on élargit les voies de circulation) et on la traque dans les esprits.
Il est considéré à l’époque tout à fait inévitable qu’un homme aille voir une prostituée. Comme le dit Parent-Duchâtelet qui écrivit un livre qui fit date, la prostituée est “aussi inévitable dans une agglomération d’hommes, que les égouts, les voiries et les dépôts d’immondices“.
Mais la prostitution symbolisant l’ordure morale, elle doit, elle aussi, être organisée et contrôlée ; car - et c’est toute l’ambiguïté du siècle - on n’imagine pas de la supprimer. Celle-ci est nécessaire pour “éviter un plus grand mal“.
On l’envisage donc comme un “mal nécessaire” qu’il faut organiser.
Comme l’a montré Foucault dans son Histoire de la sexualité la sexualité est contrôlée ; il s’agit d’éviter la dégénérescence, la grande peur du 19eme. L’on est ainsi persuadé de trouver dans l’ascendance d’un homosexuel, un dément ou un handicapé physique. Et l’on est tout aussi sur de trouver dans la descendance d’un “pervers sexuel”, des “dégénérés”. C’est bien pour cela que la masturbation des jeunes garçons de bonne famille est réprimée.
Et a contrario on éloigne les prostituées des femmes honnêtes pour éviter un phénomène de contagion sociale.
Parent-Duchâtelet – et bien d’autres – ont établi des caractéristiques concernant les prostituées. Celles si seraient souvent lesbiennes, nymphomanes, hystériques, coléreuses, gloutonnes. On a également étudié leurs organes génitaux, comme on l’avait fait pour la vénus hottentote et « démontré » que dans bien des cas, ils étaient sur-développés ce qui expliquerait, selon les médecins de l’époque, leur gout démesuré et inconvenant pour le sexe.
Le 19eme siècle est un siècle réglementariste ou l’on organise la prostitution entre maisons closes et prostituées indépendantes mais «”encartées”.
Pour les réglementaristes, la prostituée est, par nature un être à part, marginalisé, et qui diffère à tous points de vue (moraux, esthétiques) des gens “honnêtes”. Se plaçant elle-même hors de la société, il était donc logique de la placer hors du droit commun, et de lui imposer à ce titre des mesures telles que visites sanitaires et inscription. Une femme est tenue, lorsqu’elle désire devenir fille publique de se faire enregistrer sur les registres municipaux.
De plus, le pouvoir municipal se réservait le droit d’inscrire d’office des femmes “se livrant notoirement à la prostitution” et de les poursuivre en justice pour ne l’avoir pas fait elles-mêmes. Le règlement municipal de 1836 de Croix-Rousse explique même que sera considérée comme fille publique toute femme habitant seule et chez qui “il y
aura des réunions habituelles d’hommes ou de femmes qui occasionneraient du scandale ou du tapage par une conduite déréglée et par des scènes de débauche qui seraient de nature à troubler les voisins et à outrager les moeurs“. A la suite d’une simple plainte du voisinage, une femme peut donc être inscrite comme fille publique.
Au dix-neuvième siècle, la prostituée et les maladies vénériennes forment, pour l’opinion publique, un duo inséparable. On impose donc aux prostituées des visites sanitaires – à Lyon elles doivent les payer elles mêmes – qui sont souvent vécues comme une agression sexuelle.
Là encore on constate que les idées reçues sur les personnes prostituées on peut évoluer et que leur situation administrative n’est guère meilleure qu’au 19eme.