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Tarantino’s delicatessen ou l’esthétique cannibale (1)

Publié le 06 octobre 2009 par Petiterepublique

Inglorious bastardsPourquoi on peut ne pas être tenté d’aller voir le dernier opus de Q. Tarantino
ou : à propos d’une bande annonce

La bande annonce du film, apéritif supposé attirer en suggérant la tonalité de l’oeuvre m’est déjà insupportable, au sens strict : taches de sang au générique, hystéries et grimaces, saturation, tétanisation des comportements. Contexte historique complexe revu à la manière de règlements de compte et de vengeance. Mise en scène de pratiques d’une violence délibérée : scalps, exécutions de masse, scarifications, exécutions ludiques (base-ball) …personnages plutôt calibrés stéréotypes….le tout emballé dans un comique supposé.

Or même si la chair de l’homme blanc a un goût de vieille banane (affirmation d’un sage maori relatée par Pierre Loti dans « le mariage de Loti »), on peut ne pas souhaiter vérifier. Il en va de même pour les films de Q.T.

Le souvenir cuisant et insupportable des mises à mort et des exécutions dans Pulp Fiction par un Travolta désabusé, comme des giclures de sang orchestrées ou les injections létales de Kill Bill, ne devraient pas laisser indifférent. Il semble qu’il faille chercher à explorer plus avant ce phénomène, sachant que Inglourious basterds, faisait, la première semaine, aux USA, comme en France un nombre d’entrées spectaculaire.

Il faut chercher à comprendre, pourquoi ceci pose problème, pourquoi certain(e)s ( et j’en suis) ne peuvent pas adhérer, ni même dépasser le dégoût et le mépris pour ce genre d’image filmée, ni avoir la curiosité d’aller voir plus loin que ces premières impressions.

Apéritif hallali

Le recul vient déjà du fait que ces bandes annonces, sont supposées mettre le spectateur en demande…ainsi ce que l’on voit est supposé être un condensé de qualités du film que nous pourrions apprécier plus encore, or ces quelques secondes me révulsent. Par souci de justesse, j’ai pu visionner sur l’internet quelques autres scènes… Je ne peux m’empêcher d’y voir à chaque fois, le seul et simple spectacle de la mise à mort. Spectacle, dans la mesure ou l’argument des causes disparaît. Quelle que soit la vengeance et sa légitimité scénarisée, l’insistance sur les moments précédant l’exécution, sur les conditions de la mort, sur le moment du décès, sur sa réalité, sont autant de choix qu’à fait le cinéaste.

Bande Annonce Inglorious Basterds
envoyé par lesfilms. – Les dernières bandes annonces en ligne.

A l’évidence, Tarantino en fait donc un propos central. Les décisions mûrement prises et planifiées des exécuteurs, la programmation des humiliations et mutilations, le jeu de séduction avec la victime choisie (l’interview avant le coup de batte de base-ball), l’anesthésie de toute forme compassionnelle, le shuntage des émotions comme de tout sens moral culminant dans l’enthousiasme et la jubilation des acteurs de ces punitions, sont autant de postures qui devraient donner à penser. Plus encore, le choix est délibéré, par exemple, sur les affiches, de montrer une batte de base ball et sur le générique de faire goutter un sang bordeaux. Tout comme dans Pulp Fiction il y avait les éclaboussures sur les vitres, dans les pièces…tout comme dans Kill Bill, il y a une fascination incontestable pour cette réalité de la mort, la vue du sang, la vue des armes, les regards des victimes et des futurs morts, leurs palpitations, leurs fragilité…. Quel est le sens de cette imagerie, car, qu’ils soient criminels et coupables n’enlève pas dans leur regard, l’universalité de l’angoisse devant la mort.

Les scènes sont montrées de telle façon, qu’elles empêchent, il me semble, l’identification ou l ‘empathie avec les protagonistes, qu’ils soient victimes ou qu’ils soient exécuteurs. Il ne reste alors au spectateur que l’attitude de témoin captif et voyeur de scènes d’une violence inouïe. Ceci me semble pervers et insupportable car il y a une impossibilité de faire sens et il y a danger de renvoyer dos à dos les coupables devenant victimes et les vengeurs devenant bourreaux. C’est la dimension spectaculaire, au sens ou tout se joue dans la perception immédiate, brute et sans recul possible et sans affect. Il y a anesthésie des sentiments au bénéfice d’une émotion brute.

De quel film s’agit-il ?

Sommes-nous en présence d’un film d’horreur du genre « the saw » ?, d’un film historique (non) d’un film politique ? d’une farce ? On pourrait parler du point de vue politique et historique de la fiction : l’éradication préventive des nazis, aurait-elle permis d’éviter l’horreur de la shoah ? Si la réponse est positive pour Tarantino, ceci ne justifie en rien la délectation et la jubilation dans l’exécution de ce projet. Je ne crois pas que le Colonel Fabien, ni Manouchian, n’aient joui de leurs actes. Par ailleurs leur vision n’était pas de teroriser, mais d’excécuter. Ce que semble nous proposer Tarantino, est plutôt, une vision militaire et criminelle de la politique qui semble rejoindre les justifications de la torture par Aussaresse : pour éviter les bombes terroristes, il fallait torturer…..Dans l’armée des ombres, Melville montre avec pudeur et rigueur, la souffrance incroyable, l’épreuve bouleversante de l’exécution d’un traître, la résolution de Ventura et de Crochet n’exclut pas les affres de la morale.

L’argument de vengeance est utilisé comme moteur de l’intrigue par des centaines de cinéastes, il fournit la plupart du temps un fil conducteur efficace, une dramatisation, une identification simple aux héros. Ainsi, quand, dans ce film, l’ennemi s’en prend aux femmes et enfants, aux innocents et incarne une des pires idéologies et un des pires massacres commis dans l’histoire, l’argument de vengeance devient absolu et cet ennemi, comme dans Kill Bill se voit privé de toute humanité ; la question de sa mise à mort devient donc aussi évidente que l’écrasement d’un parasite…Nous assistons à un retournement odieux de l’histoire, car c’est en déshumanisant a priori les ennemis que l’on génère les pires horreurs, et que le nazisme a prospéré….

La vengeance a posteriori des crimes nazis, programmée et opérée discrètement a été effectivement organisée par des services secrets israëliens, traquant d’anciens nazis ; la plupart du temps c’était avant tout pour les confronter au droit, lutter contre le négationnisme et l’oubli, parfois pour exécuter une sentence décidée gravement ; en visionnant ces témoignages, je n’ai jamais vu aucun de ces « vengeurs de l’ombre », se réjouir, jubiler et se satisfaire, encore moins exhiber de cadavre.

Ce qui peut encore choquer dans cette fameuse bande annonce, comme dans les extraits visibles sur Internet, c’est que ce propos intervient au moment ou à Guantanamo et dans les prisons d’Abou Grhaib les pratiques de tortures, l’humiliation, le jeu avec les victimes et de manière symptomatique les polaroïds pris par les bourreaux paradant au côté de leurs prisonniers, révèlent un scandale international. Au nom de la lutte contre le terrorisme islamique, le « mal absolu » , tous les coups seraient permis, il n’y aurait plus de droit : « on n’a pas besoin de preuves quand on a de l’instinct », entend-on de manière prémonitoire peut-être dans Reservoir dogs comme l’on y voit avec insistance un tortionnaire danser devant sa victime.

Du côté des djihadistes, des Kamikazes, comme des sociétés de plus en plus prospères de mercenaires américains, la seule loi est le « permis de tuer ». Ce dernier opus de Tarantino ne va t-il pas exactement dans le même sens ? Au moment ou en Afrique du Sud et au Rwanda, le principe de la vengeance est écarté avec des difficultés incroyables et une audace remarquable, un film faisant il me semble, l’apologie d’une loi du Talion, qui plus est en en faisant non seulement l’apologie mais en insistant sur le côté libérateur, jouissif et cathartique de l’exécution devrait poser problème.

En recherchant cette fois ci, l’assentiment inévitable du spectateur, contre les effroyables nazis, Tarantino bascule clairement vers le racolage, ne l’ammène-t-il pas à accepter, regarder, se satisfaire, des tortures et mises à mort ? Racolage, car que je sache, le propos de Tarantino, entre autres peut être, dans Pulp Fiction, comme dans Reservoir dogs et Kill Bill, est bien déjà, de montrer, de filmer, d’exhiber des crânes éclatés, des éclaboussures de sang et de cervelles, des tortures, des humiliations, le prétexte dans ces opus, était alors assez léger, jouant sur les parodies, mais quel que soit le sujet, une des garanties les plus sûres, avec ce cinéaste, c’est que des corps humains seront violés dans leur intégrité et que ces scènes seront des points forts, des point nodaux de ses films.

J’ai cru comprendre, qu’avec ce dernier film, l’auteur lie plus encore le spectateur aux exécuteurs et l’oblige à cette complicité. Par ce fait, et délibérément, il le souille et je pense qu’il jouit des humiliations consenties qu’il génère. Je vois ceci comme une approche clairement sadique.

A suivre


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