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Polanski-Mitterrand : l'histoire d'une norme en construction

Publié le 11 octobre 2009 par Bernard Girard
Les deux affaires Polanski-Mitterrand traitent en réalité du même sujet : de ce qui est acceptable ou pas dans nos comportements sexuels. Que le débat ait été si vif, qu'il ait opposé, front contre front, des gens de génération différente, montre qu'il s'agit de bien autre chose que d'une affaire de politique. Il y avait en jeu, derrière, toute la question de la norme en matière de comportements sexuels.
Celle-ci a profondément changé ces dernières années, comme je l'ai montré dans Pourquoi tant de pornographie sur le net?
La pornographie qui était hier encore interdite, censurée, est devenue objet de consommation courante. L'homosexualité est à ce point acceptée que les politiques ne s'en cachent plus. On parle librement de l'adoption d'enfants par les homosexuels. Les lesbiennes, hier encore invisibles ne se cachent plus.
La nouvelle frontière est devenue l'enfance et ce qui va avec (l'inceste et violence). S'il y a une chose qui est censurée, devenue proprement inadmissible, ce sont les relations entre un adulte et un enfant qui ne peut, dit la nouvelle norme, jamais être consentant, qui est donc forcément forcé, violé.
Cette nouvelle norme ne fait pas vraiment problème, nul ne s'y oppose, sinon peut-être dans la clandestinité. Mais elle est récente, très récente. Et cela a pour conséquence :
- que l'on trouve assez facilement dans les textes littéraires, chez Gide, Proust, Pierre Louys, Montherlant bien plus que chez Frédéric Mitterrand, des allusions à des amours pédophiles,
- que certains qui ont vécu avant que cette norme ne s'impose peuvent avoir tenu (comme Cohn-Bendit ou Frédéric Mitterrand) des propos équivoques.
Ce débat devrait renforcer cette nouvelle norme, contribuer à la rendre plus visible et surtout mieux partagée. Après tout, Polanski, bien loin de se justifier, s'est surtout excusé. Même chose pour Frédéric Mitterrand dont le texte est surtout une longue plainte (qui ne traite pas d'amours pédophiles mais d'amours tarifés qui ne vont jamais sans une certaine violence).
Chaque fois qu'une nouvelle norme émerge, se pose la même question : que faire de ceux qui ont exprimé dans le passé une norme différente? Faut-il les interdire, les censurer?
La question vaut surtout pour les grands textes littéraires. Je doute que l'on expurge Gide ou Proust. Jamais on n'a, à ma connaissance, censuré Aristote pour ses analyses de l'homosexualité présentée dans Politiques (II, 9, 1269b) comme une manière d'éviter le pouvoir des femmes dans les sociétés militaristes. Il en ira de même pour nos écrivains.
Pour les contemporains qui ont tenu des propos équivoques, les choses sont certainement plus compliquées. Ils n'ont d'autre choix que de contribuer à renforcer cette norme par leurs excuses et de s'en faire les meilleurs propagandistes. Au prix d'une mauvaise conscience lourde à porter et de quelques reniements qui ne sont pas sans conséquences : penser que des enfants ne peuvent être consentants, c'est leur enlever un peu de leur liberté et les renvoyer dans cette zone incertaine où les mettait déjà Aristote lorsqu'il leur retirait la faculté délibératrice. Tout le débat sur les valeurs de 1968 dont parle Bayrou porte, en fait, là-dessus.

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