La forte progression du MCG, Mouvement des citoyens genevois, aux élections cantonales de Genève (ici) a surpris plus d'un commentateur. En effet ce parti atypique a presque doublé son pourcentage de voix : il est
passé de 7,73% des suffrages à 14,74%, tandis que tous les partis représentés au Grand Conseil ont vu leur représentation baisser, à l'exception des Verts qui n'ont progressé que de
1,51%.
On parle de vote de protestation dû à la crise, de mauvaise humeur temporaire que sais-je. Ce qui me semble une réponse de mauvaise perdants. En réalité cette progression s'explique par
le contexte particulier, au regard du reste de la Suisse, dans lequel ce canton se trouve et dont ce parti a su habilement tirer profit en se montrant
proche des gens et de leurs préoccupations quotidiennes qui en résultent. Je suis arrivé à cette conclusion en me demandant pourquoi un tel phénomène, aussi
spectaculaire, s'est produit à Genève et dans aucun autre canton.
Sur le site du MCG (ici), le mot du président Eric Stauffer [photo
publiée par 24 Heures ici] à ses concitoyens de Genève commence
en ces termes :
Le MCG est né d'un ras-le-bol légitime, contre une classe politique coupée des réalités et suicidaire, perdue dans des combats stériles gauche-droite. Nous avons donné une voix à ceux qui n'en avaient pas. Sans relâche, nous nous battons pour rendre le pouvoir au Citoyen!
D’emblée le MCG se situe donc comme un parti réaliste, à l’écoute du citoyen, comme son seul véritable représentant, soucieux de ses préoccupations quotidiennes, au-dessus des clivages gauche-droite, comme la troisième voie en quelque sorte, celle dont tout le monde rêve, comme on rêve de la quadrature du cercle.
Eric Stauffer poursuit et met le doigt où cela fait mal, là où se trouve le porte-monnaie:
Il est insupportable que les Genevois aient le plus faible pouvoir d'achat, en
raison de taux record d'assurance-maladie, d'impôts, de loyers, de tarifs d'électricité.
L’Hebdo du 8 octobre 2009 (ici) a consacré tout un numéro aux primes d’assurance-maladie en Suisse romande et le fait est qu’Eric Stauffer a raison : les primes à Genève sont indéniablement les plus élevées, du moins dans cette partie linguistique de la Suisse.
Quel est le canton où le montant des dépenses publiques est le plus élevé en Suisse? Le canton de Genève (ici) avec 21'455 francs par habitant, à comparer aux 13'911 francs par habitant dépensés en moyenne en Suisse, soit 54% de plus. Toutes ces dépenses publiques doivent bien être financées … par des impôts.
Si les prix des logements sont élevés à Genève, il y a une raison toute simple : il y a pénurie de logement. Cette pénurie résulte, entre autres raisons, du fait qu’il y a 4 niveaux de possibilités de recours contre la construction de logements dans le canton. Eric Stauffer enfonce le clou :
Il est inacceptable que nous devions de plus en plus partir habiter de l'autre côté de la frontière à cause d'une crise du logement créée par des partis sans vergogne.
Certes le canton de Genève (ici) est aussi le canton où les salaires sont largement au-dessus de la moyenne helvétique : en 2006 le salaire mensuel brut médian, pour 40 heures de travail par semaine, était de 6'350 francs à Genève et de 5'627 francs en Suisse, soit 13% plus élevé à Genève que la moyenne suisse. Mais cela ne compense pas les lourdes charges auxquels ses habitants sont soumis.
Eric Stauffer s’insurge :
Il est scandaleux que des travailleurs genevois - surtout des personnes très qualifiées - soient mis au chômage au profit de frontaliers cherchés à des centaines et des milliers de kilomètres, pour du dumping salarial.
Quel est le canton de Suisse qui a, depuis longtemps, le plus fort taux de chômage de toute la
Suisse? Genève (ici), avec un taux de 7% en septembre de cette année, à comparer avec une moyenne
nationale de 3,9%. En valeur absolue les chômeurs sont passés en un an de 12'115 à 15'451. Les frontaliers au chômage sont indemnisés en France et ne figurent donc pas dans ces
statistiques. Ils ne profitent donc pas du système social généreux de la Suisse en matière de chômage, mais il est vrai qu’ils occupent pour une grande part des places hautement
qualifiées.
La population active de Genève (ici), secteur secondaire ajouté au
secteur tertiaire - hors secteur public international et services domestiques - est de 262'500 à fin juin de cette année. A la même date 65'566 personnes
sont titulaires d'un permis G [frontalier], soit un quart des frontaliers qui travaillent en Suisse, alors que la population genevoise ne représente que 6% de la population
totale...
Ce qui ne veut pas dire que tous les frontaliers sont actifs sur Genève, puisque leur permis leur permet de travailler dans toute la Suisse, mais cela donne une indication de l'importance des frontaliers dans l'économie genevoise, importance croissante puisque le nombre des frontaliers titulaires a tout de même augmenté de 7,4% de fin 2007 à fin 2008, s'il n'a augmenté que de 0,7% au premier semestre 2009.
Pour autant les frontaliers prennent-ils vraiment la place de résidents qui se retrouvent du coup au chômage ? Rien n’est moins sûr, même si des exemples individuels peuvent illustrer cette assertion, car le chômage est toujours plus fort dans les pays où l’interventionnisme de l’Etat est le plus grand, et en l’occurrence la France et Genève se font une sacrée concurrence en la matière. Mais l’argument porte : le chômage monte et, parallèlement, le nombre de frontaliers.
Enfin Eric Stauffer, président d'un parti dont 5 des 17 nouveaux députés au Grand Conseil sont des gendarmes (ici) , s’inquiète de la forte criminalité qui sévit dans le canton de Genève :
Il est inadmissible que les dealers continuent à sévir dans nos rues et que
l'insécurité s'infiltre en raison du laxisme de certains.
Eric Stauffer n’a pas tort : la criminalité par habitant à Genève est plus élevée
que la moyenne suisse (ici). En 2006, il y a eu en Suisse 30'328 condamnations pour
infractions au Code pénal dont 2'566 à Genève, 11'806 condamnations en Suisse dont 893 à Genève en vertu de la loi sur les stupéfiants, soit respectivement 8.5% et 7,6% des condamnations,
alors que la population genevoise représente, comme on l'a vu plus haut, 6% de la population du pays.
Il est significatif que, dans le cas des infractions au Code pénal, 72,4% des condamnés à Genèvesoient des étrangers, alors que le pourcentage
des condamnés étrangers pour l’ensemble de la Suisse est de 50,6%, et que, dans le cas des infractions à la loi sur les stupéfiants, 87,6% des condamnés à Genève soient
des étrangers, alors que le pourcentage des condamnés étrangers pour l'ensemble de la Suisse est de 47,8%.
Ces statistiques sur la criminalité ne disent toutefois pas quelle est la
proportion de frontaliers condamnés sur l’ensemble des condamnés étrangers. A propos d’étrangers, il convient de souligner l’exception genevoise : 39% des quelque 450'000 résidents de Genève
sont des étrangers, alors que la moyenne suisse d’étrangers par rapport à la population totale est de 21,7%...
Le MCG a fait campagne sur les thèmes qui préoccupent les Genevois : le pouvoir d'achat, le logement, les impôts, l'emploi, l'insécurité etc. Il l'a fait bien davantage que les autres
partis, d'où sa forte progression. Maintenant c'est au pied du mur que l'on peut juger le maçon.
Il semble que le MCG veuille à la fois maintenir les acquis sociaux - ce qu'il croit pouvoir faire en luttant contre les abus - et libérer l'économie de ses carcans. C'est ce qu'il appelle être
ni de droite, ni de gauche. Il lui faudra déchanter et peut-être ses électeurs déchanteront-ils dans son sillage, s'il conserve ce cap. Car il lui faudra bien choisir entre deux modèles
incompatibles. La troisième voie est une impasse, une illusion, un ersatz de la politique socialiste.
Francis Richard